Easy Rider (1969), film de Dennis Hopper, avec Peter Fonda, Dennis Hopper et Jack Nicholson
Quand on parle de film culte, de film générationnel, Easy Rider vient tout de suite à l’esprit. Avec un budget pourtant réduit, il faut reconnaître que le pugnace Dennis Hopper a su livrer une œuvre inoubliable, ayant changé la face du cinéma américain. Pourtant, le temps l’a démontré, c’est bien l’épicurien Peter Fonda le véritable instigateur de ce projet. En parcourant l’historique de ce film indépendant, devenu un standard du genre, on comprend mieux pourquoi…
L’idée d’une ode à la liberté sous forme de western moderne née dans l’esprit du jeune Peter en 1966, alors qu’il tourne The Wild Angels, un film de Roger Corman avec Nancy Sinatra et Bruce Dern.
The Wild Angels (1966) – Bande-Annonce
Bien qu’il bénéficie d’une petite production, ce dernier rencontre un franc succès auprès des jeunes adeptes de la contreculture. Contre toute attente, Peter Fonda et son personnage deviennent très populaires.
Il fait alors la connaissance de Dennis Hopper et Jack Nicholson. Ce dernier vient d’écrire un script abordant un thème encore sensible : le trip sous LSD ! La famille Fonda disposant de moyens confortables, Peter décide de pousser l’expérience subversive encore plus loin, en adaptant le script.
Avec ses histoires d’expériences sous psychotropes hallucinogènes directement inspirées de l’étude d’Aldous Huxley, The Trip dépasse largement le seuil de tolérance habituel de la censure américaine. Pourtant, encore une fois, le personnage de Peter Fonda exerce une certaine fascination sur la jeunesse. Le film trouve son public avec la vague hippie, les pionniers de la Beat Generation venant grossir les rangs.
Road trip et Contre-Culture
Pourtant, ces deux succès encourageants sont encore loin de toucher le grand public. Peter Fonda s’attèle alors à son projet de départ :
“L’histoire de deux motards ayant dealé une quantité de came suffisante pour s’offrir un road-trip à travers les Etats-Unis. Ils font de nombreuses rencontres, et finissent par se faire descendre dans le sud du pays, par deux bouseux dans un pick up.”
L’idée est simple et reprend le concept initiatique de Jack Kerouac dans son livre Sur la Route. Fonda décide de confier la réalisation d’Easy Rider à Dennis Hopper.
Easy Rider – Scène d’ouverture
A New York, les deux hommes passent de longues soirées dans le hall de la factory de Warhol à peaufiner l’écriture de leur scénario. Le soir, il arrive que viennent les saluer Jim Morrison, accompagné de la plantureuse Nico. Le roi lézard jette parfois un coup d’oeil furtif au manuscrit, et collecte au passage des idées pour son futur projet de film, The Hitchhiker, An American Pastoral.
Bien qu’ils partagent la même soif de liberté et un certain interêt pour la contre-culture, les disputes entre Dennis et Peter sont fréquentes. Le caractère difficile et l’esprit directif du premier, prennent souvent l’ascendant sur l’affabilité et l’indécision du second. Et même si c’est plus l’idéologie de Peter Fonda qu’ils s’apprêtent à porter à l’écran, c’est bien la volonté de Dennis Hopper qui va permettre sa concrétisation. Paradoxalement, son agressivité, et son attitude parfois violente, vont donc permettre à ce manifeste de paix et de liberté de voir le jour.
Easy Rider – Scène sur la liberté
En effet, le personnage de George, avocat philosophe et libertaire, était au départ réservé à l’acteur Rip Torn. Seulement, lors d’une entrevue, Dennis Hopper malmène l’acteur en se moquant de sa provenance texane. Résultat, il quitte le projet remplacé par Nicholson. Quelques temps plus tard, c’est le scénariste Terry Southern qui fait les frais de sa mauvaise humeur. Bien qu’il l’ait incité à transformer le titre The Loners en Easy Rider, leurs désaccords sont nombreux. Southern, lui aussi, finit par jeter l’éponge. Même lorsqu’il s’agit de gens renommés comme Crosby, Still & Nash, convoqués pour assurer la bande son du film, le réalisateur ne montre pas plus de respect.
« Les gars, vous êtes vraiment de très bons musiciens, mais honnêtement, ceux qui roulent en limousine, ne peuvent pas comprendre mon film. Alors je vais devoir vous dire non, et si vous revenez dans ce studio, je serai contraint de vous causer des dommages corporels. »
Au final, Peter Fonda se chargera lui même de la bande son, établissant une playlist, en piochant parmi les merveilles que produit cette fin de décennie. Outre Steppenwolf et son célèbre Born to Be Wild, on retrouve les Byrds, The Jimi Hendrix Experience, Roger McGuinn, The Who, The Seeds, Jefferson Airplane, les Moody Blues et Eric Burdon.
Il faudra attendre sa diffusion au Festival de Cannes le 13 mai 1969, et sa sortie en salle aux USA en juillet, pour que Easy Rider défraie la chronique.
Easy Rider – Bande Annonce (VO)
Complètement en phase avec son époque, il devient non seulement un grand succès populaire, mais le film le plus rentable de toute l’histoire du cinéma. Phénomène nouveau, venant confirmer la réussite de Bonnie & Clyde et The Graduate (Le Lauréat), il incitera les producteurs hollywoodiens à se pencher sur ce cinéma indépendant abordant les thèmes de la contre-culture, du sexe et de la drogue, et parvenant néanmoins à faire recette.
Quant à Dennis Hopper et Peter Fonda, ils sont longtemps restés en froid après la promotion du film. Avant de se réconcilier, et de chacun rejoindre l’autre monde (2010 et 2019), enfin libres de toute entrave…
Serge Debono