Un Objet Sonore Non Identifié…
C’est sûr, elle détonne cette pochette au milieu des Simple Minds, Peter Gabriel et autres Killing Joke ! Bariolée de couleurs chaudes, un montage de fleurs, d’horloges, de gonflettes de Monsieur Muscles et de London Towers, le tout rappelant à la fois les séquences animées du génial Terry Gillian pour les Monty Python et les 33 tours psychédéliques des années 66 / 68. Au dos, quatre gars en buste, sous effet solarisé, avec images rétro des pyramides et des animaux d’Egypte ! Complètement baroque et anachronique, on est quand même le 1r Avril 1985 ! Quel groupe, quel titre ? The Dukes Of Stratosphear : 25 O’Clock.
LE MINI ALBUM 25 O’ CLOCK (1985 ?)
C’est un 6 titres, une formule intermédiaire mi-EP / mi-album inventée pendant les années 80, un compromis entre l’investissement de la maison de disque et l’expression de l’artiste.
Dès les premiers sillons, des tic-tacs d’horloges, la sonnerie de Big Ben. Puis une guitare acide, des notes de basse, une sonnerie, et une voix annonce « Five ! » Alors on se retrouve en 1967, avec un titre inédit du Pink Floyd conduit par Syd Barrett ! L’orgue Farfisa orientaliste à la Rick Wright, la basse sèche et appuyée style Roger Waters, la batterie Masonienne et enfin un solo de fuzz guitar digne d’un Syd Gilmour ou d’un David Barrett. Des mélomanes pensent aussi à une réincarnation des Electric Prunes, autre combo halluciné mais ricain. En tout cas, C’est la vingt-cinquième heure sur la platine !
The Dukes Of Stratosphear – 25 O’Clock – Id. (1985)
Les merveilles mélodiques s’enchaînent. Bike Ride To The Moon ou l’obsession de la bicyclette intersidérale. Des voix de gnome comme l’un des premiers singles du jeune Bowie ponctuent le thème.
Conclusion de la première face, My Love Explodes. Cette fois, Jimmy Page revient avec les Yardbirds pour une démonstration de riff ! Suppléments de gong et de mellotron accompagnés d’un solo de six cordes complètement dingo. Fin explosive bien sûr.
My Love Explodes
On retourne la galette magique. L’enchantement persiste pour What In The World ? Bon c’est un coup de McCartney non ? La basse de Sgt Pepper’s et les trompettes de Penny Lane, il nous refait le coup de sa version Easy Listening de Ram, Percy « Thrills »Thrillington, en fait l’un de ses avatars, mais là en version champignons… Hallucinogènes.
What In The World ?
La suite, Your Gold Dress. Les Yardbirds à nouveau rencontrent Syd Barrett, à moins que ce soit les Small Faces période Itchycoo Park.
Et enfin, la dernière plage, The Mole From The Ministry. Une comptine psychédélique à la Walrus, on dirait un inédit de Magical Mystery Tour. Un truc que George Martin aurait enregistré en douce pendant une montée d’acide des Fab Four, histoire de garder quelques inédits sous le coude, comme une pochette surprise en papier dorée.
The Mole From The Ministry
Signalons que la production s’affiche tout aussi réussie que d’époque. Non, pas de 1985, de l’année 67 on vous dit ! Bandes accélérées, ralenties, réverbération, écho, phaser, prises de sons des instruments, traficotages des voix. C’est du vrai ça Messieurs Dames !
ON S’INTERROGE
Bon là, faut qu’on nous explique. La maison de disque Virgin déclare qu’il s’agit de vieilles bandes exhumées d’un groupe inconnu, un projet perdu à l’époque. Euh ???
D’ailleurs, au dos figurent même les noms des musicos : Sir John Johns, Lord Cornelius Plum, The Red Curtain et E.I.E.I Owen. Consternation dirait Souchon !
Donc, on s’interroge sur cet Objet Sonore Non Identifié. Les hypothèses circulent entre potes. C’est le Mac avec les 2 autres ? Pas sûr, les guitares ne sonnent pas vraiment harrisoniennes, quoique…
Ou alors un combo actuel, à l’instar des Canadiens de Klaatu qui en 1976 avaient trompé toute la planète rock avec leur album 3:47 EST. La presse anglo-saxonne, en plein manque, avait alors pensé que les Beatles étaient cachés derrière le projet.
Klaatu – 3:47 EST (Full Album) (1976)
Ou c’est l’un de ces combos néo psychédéliques américains, True West, Plasticland, Rain Parade, les Long Ryders, voire les Bangles. Des p’tits gars ou des p’tites nanas en manque d’électricité et de dandysme qui se promènent au milieu de ces années 80, un peu trop synthétiques et toc à leurs goûts, en chemises Paisley et mini jupes à la Mary Quant. Ils ou elles citent Love, les Byrds, le Floyd version Barrett. Les critiques parlent alors de mouvement Paisley Underground. Pourquoi pas ?
Et puis… L’une des voix quand même rappelle quelqu’un. Le chanteur d’un groupe anglais. Récent, plutôt New Wave, mais si, ceux qui ont un fait un tube qui parlait… D’un certain Nigel ! Bon sang, mais c’est bien sûr, les gars d’XTC !!! Andy Partridge, Colin Moulding and co !
HOMMAGE ET CANULAR
En 1984, XTC est un peu dans la panade. Après un Hit majeur Making Plans For Nigel et une flopée d’excellents albums dont Black Sea et le double English Settlement, les ventes et les bonnes critiques s’érodent. Faut dire aussi que le gang ne fait plus de concerts depuis 1982, après la crise de panique et l’évanouissement de son chanteur, guitariste et mentor Andy Partridge, lors d’une dernière date à Paris. Un seul morceau, 2 minutes 35 de bonheur avait titré Rock&Folk.
Donc Partridge, le bassiste Colin Moulding et le guitariste Dave Gregory pensent jeter l’éponge. Mais le premier se souvient de leur vieux projet d’hommage aux singles du Rock Anglais qu’ils écoutaient gamins. Dont acte. Partridge décide de composer sous influences Sixties, de n’utiliser que du matériel Vintage, de l’interprétation à la production, et d’enregistrer rapidement, à l’ancienne, en quelques prises. On recrute le frère de Dave à la batterie, Ian Gregory. Appuyés par le producteur John Leckie, le projet convainc Virgin pour un minimum d’investissement. Le disque sort le 1r Avril 1985… Poisson d’Avril ! Le April Fool’s Day pour les Angliches.
On tourne également une vidéo de The Mole From The Ministry dans l’esprit des scopitones et des reportages des sixties, l’occasion pour la bande de sortir leurs plus beaux costumes et leurs masques ainsi que des private jokes référentielles. Chacun incarne son personnage : Partridge – Sir John Johns -, Moulding – The Red Curtain -, les Gregory, Dave – Lord Cornelius Plum – et Ian – E.I.E.I Owen – !
Finalement, le mini album se vend bien, même mieux que le précédent opus d’XTC – The Big Express -, poussée par sa légende de chef d’œuvre perdu. Bien sûr à l’époque, peu savent qu’XTC se cachent dans l’ombre des Dukes.
L’ALBUM PSONIC PSUNSPOT (1987)
Avec l’accord de Virgin, évidemment convaincue par les ventes, les Dukes Of Stratosphear récidivent fin 1987 pour cette fois un véritable album, Psonic Psunspot.
Plus éclaté mais moins électrisé, entre Voyage d’Alice Au Pays de Syd, fanfaronnades kinksiennes et merveilleux pastiches, c’est encore une incroyable reconstitution du meilleur des sixties psychédéliques.
Ainsi l’ouverture très byrdsienne The Vanishing Girl…
The Vanishing Girl – Psonic Psunspot (1987)
Ou le farceur You’re A Good Man Albert Brown que ne renierait pas un Ray Davies des Kinks.
You’re A Good Man Albert Brown
Et enfin, cette incroyable restitution des Beach Boys, période Pet Songs ou Smile, le très beau Pale And Precious, une magnifique coda.
Pale And Precious
Le LP sorti d’abord en vinyle chamarré et pochette gatefold deviendra à nouveau une réussite commerciale, même si les fans d’XTC peuvent mieux y reconnaître les voix de Partridge et Moulding, alors que ceux-ci n’avouent toujours pas leur double identité.
D’autres suites prévues par les Dukes seront finalement abandonnées, comme une version Glam-Rock du mystérieux quartet.
POUR LE MEILLEUR
Cette belle paire de farces et attrapes – regroupée en CD sous le titre Chips From The Chocolate Fireball, An Anthology – relancera la carrière d’XTC pour le meilleur, le double album Oranges and Lemons (1989), et jamais pour le pire.
Cependant, il faut bien ajouter que cette série de canulars a une telle qualité d’écriture que ces chansons font partie des plus belles créations de Partridge et Moulding. Paradoxal non ?
Concluons avec une ultime plaisanterie : sur l’un des albums d’XTC, dans les notes, on remercie les Dukes Of Stratosphear pour leurs prêts de guitares…
Ps : Les deux volumes des Dukes ont été réédités en CD, coffret et vinyles.
Bruno Polaroïd.