Parliament, Parliament Funkadelic, Funkadelic, ou encore P-Funk. Il faut reconnaître que même pour l’adepte de funk ou de rock psyché, il est parfois difficile de s’y retrouver. Un petit historique s’impose…
Un collectif sous l’égide du Roi Clinton
Dans la première moitié des années 60, George Clinton est coiffeur dans un salon de Plainfield (New Jersey). Chanteur et passionné de musique, il rêve de produire un groupe alliant tous les courants de la musique américaine.
Il monte une première formation doo-wop, The Parliaments. Ces derniers publient plusieurs singles, dont un tube en 1967.
The Parliaments – I Wanna Testify
Pour une histoire de droits, George Clinton change le nom du groupe en Parliament. En parallèle, afin de soutenir The Parliaments sur les tournées, il donne naissance à une deuxième formation.
Il recrute Bernie Worrell, claviériste talentueux du groupe Tavares. Puis fait appel à deux guitaristes Tawl Ross (rythmique) ainsi que le jeune et déjà prometteur Eddie Hazel (soliste). Billy ‘Bass” Nelson et le batteur Tiki Fulwood complètent une formation dont le registre est plus orienté sur le funk et le rock psychédélique. Le talent et la jeunesse de ces musiciens ne tardent pas à influencer la teinte des compositions de Parliament.
Si la formation possèdent des stars en devenir, George Clinton en est le seul patron. Producteur et coordinateur, il impose son autorité, parfois durement, mais laisse toujours à ses musiciens une marge d’improvisation.
Il conserve les voix (Davis, Haskins, Simon et Thomas) et renomme la formation Funkadelic. Un nom plus conforme à leur musique, désormais influencée par le funk de Sly & The Family Stone, et le blues-rock de Jimi Hendrix.
Funkadelic – I Bet You
Durant la deuxième moitié des sixties, des personnalités telles que Martin Luther King, Jimi Hendrix ou Otis Redding sont adulés par les jeunes américains des deux principales communautés.
Suivant la voie de Eric Burdon & War, l’univers de Funkadelic résulte d’un rapprochement des cultures noires et blanches. Blues, rock, soul, funk, et même folk, semblent enfin s’unir dans une parfaite harmonie. L’œuvre de Funkadelic brille autant par ses aspects novateurs, que par ses vertus fédératrices.
Funkadelic – I Got A Thing, You Got A Thing, Everybody’s Got A Thing
En 1970, après un premier album éponyme au funk incandescent, Funkadelic publie Free Your Mind… and Your Ass Will Follow. Un album indéniablement influencé par les expérimentations psychédéliques de Jimi Hendrix et Steve Winwood.
Funkadelic – I Wanna Know If It’s Good to You
En 1971, Maggot Brain délivre une synthèse parfaite de leurs aspirations, couronnant leur période la plus riche en influences et en créativité.
Maggot Brain
Plusieurs légendes circulent à propos du titre éponyme, le blues crépusculaire Maggot Brain. Georges Clinton prétend qu’il était défoncé au LSD, lorsqu’il a demandé au guitariste Eddie Hazel, de jouer comme si sa mère venait de mourir…
D’autres avancent que ce titre somptueux enregistré à la fin de l’année 1970, serait un hommage de Eddie Hazel à Jimi Hendrix, son idole récemment décédée. Une chose est certaine, Maggot Brain était bien le surnom du guitariste, avant de devenir son chef d’oeuvre…
La singularité de ce titre, et de son enregistrement, fait qu’il s’écoute fort, au casque, si possible. Ne faîtes rien d’autre en l’écoutant. Suivez la voix du maître Clinton pour commencer. Puis laissez Eddie Hazel prendre les commandes…
“La Terre Mère est enceinte pour la troisième fois
Car vous l’avez tous mise enceinte .
J’ai goûté les asticots dans l’esprit de l’univers
Je n’étais pas offensé
Car je savais que je devais m’élever au-dessus de tout
Ou me noyer dans ma propre merde.
Allez Maggot Brain ! “
Funkadelic – Maggot Brain
Comme sur les premiers albums de Sly & The Family Stone, on retrouve ce côté collectif psyché. Toujours dans un esprit fédérateur, Funkadelic n’hésite pas à mélanger le gospel au folk. Sans doute car ce dernier relie la pensée Beat et le courant hippie, auxquels ils adhèrent totalement. Avec ses chœurs empruntés à Isaac Hayes (Hot Buttered Soul), la félicité émanant du titre suivant, se combine au groove, contagieux et sensuel en diable…
Funkadelic – Can You Get to That
L’unité raciale est encore de mise sur le titre à venir. La voix de Clarence Haskins le clame haut et fort…
“If in our fears, we don’t learn to trust each other
And if in our tears, we don’t learn to share with your brother
You know that hate is gonna keep on multiplying”
Le rythme marqué et envoûtant s’inspire de la transe soul naissante, tandis qu’au fond, dans le lointain, le piano de Bernard Worrell amène le son chaleureux du music-hall.
Funkadelic – You and Your Folks, Me and My Folks
Dans Super Stupid, le virtuose du feed-back Eddie Hazel fait à nouveau étalage de ses talents. Quant à Wars of Armageddon, c’est un titre totalement expérimental.
La réédition 2005 de Maggot Brain offre quelques belles surprises, comme cette piste suave et soul, façon Temptations. Une nouvelle fois, Haskins, épaulé par les chœurs, fait s’envoler le nôtre (de coeur !)…
Funkadelic – I Miss My Baby
Titre, pochette et réception
Si Maggot Brain était bien le surnom de Eddie Hazel, certains affirment que ce choix était motivé par un atroce souvenir du chef de tribu… Il proviendrait d’une image que Georges Clinton ne parvenait à chasser de son esprit. Celle de son frère, retrouvé mort dans son appartement, le crâne fendu…
Force est de reconnaître, que hormis peut-être le titre éponyme, la pochette de l’album est sans doute plus célèbre que son contenu. Elle est l’œuvre de l’éminent photographe Joel Brodsky, et met en scène Barbara Cheeseborough, l’une des premières mannequins afro.
Dissolution, renaissance et culte
Bien que boudé par les critiques, le public américain réserve un accueil très honorable à Maggot Brain. Il mettra, hélas, plus de temps à conquérir l’Europe.
Par la suite, Funkadelic se délite partiellement. Billy “Bass” Nelson quitte la formation en raison d’un différend financier avec George Clinton. Peu de temps après, Eddie Hazel en fait autant, et pour les mêmes raisons. Clinton congédie le batteur Tiki Fulwood, trop porté sur les stupéfiants. Quant à Tawl Ross, il sombre en pleine léthargie après avoir absorbé une forte quantité de LSD combiné à du Speed, et ne remontera plus sur scène avant 1995.
Seuls Clinton et Worrell poursuivent l’aventure. Rejoints notamment par le guitariste Garry Shider, ainsi que les transfuges de James Brown, Bootsy et Catfish Collins, ils accèdent en 1978, au point culminant de leur popularité avec le funk célébrateur et fiévreux de One Nation Under a Groove. Véritables showmen, la qualité de leurs prestations, agrémentées de costumes loufoques et de gadgets en papier mâché, fait fureur. Pourtant, 50 ans plus tard, Maggot Brain et les deux premiers albums restent les principales proies des nouvelles générations, et des collectionneurs.
Serge Debono