Un infatigable trublion, jouant et chantant au nez et à la barbe de la Faucheuse. Un trompe la mort impétueux qui met à mal la Malédiction du Rock pour s’offrir le luxe, de vivre plusieurs vies en une seule…
C’était le mois de janvier, j’étais dans le rayon vêtements et accessoires d’une grande chaîne de supermarchés, et sans doute motivé par le froid sibérien de ce début d’année, il m’est venu à l’idée d’acheter des pantoufles. Hésitant au milieu du rayon chaussures, j’ai saisi les mules à 9 euros 99. Sans tête de mort, ni flammes dessus. Des mules classiques. C’est là que j’ai compris…
C’était le dernier pas vers la vieillesse. Il était 16h30, j’étais dans un temple de la consommation avec des tentations en pagaille… Et moi, je prends des pantoufles! Seulement, quand j’ai fait mine de me diriger vers les caisses, tenant mes chauffe-pieds le long de ma jambe comme s’il s’agissait d’une boîte de préservatifs, une question terrible m’a foudroyé les méninges : Iggy Pop met-il des pantoufles? D’accord, il affiche 72 printemps au compteur, mais franchement, vous l’imaginez avec des pantoufles ? Franchement ? Oui, mais pas aux pieds…
Le Survivant
Une manière comme une autre d’introduire ce portrait consacré à un survivant du rock. Un de ces êtres à part qui ne ménagent ni leurs efforts, encore moins leurs corps, mais défient pourtant les lois de la nature. Un infatigable trublion, jouant et chantant au nez et à la barbe de la Faucheuse. Un trompe la mort impétueux qui met à mal la Malédiction du Rock (Joplin, Morrison, Hendrix…) pour s’offrir le luxe de vivre plusieurs vies en une seule.
Et qui mieux que James Osterberg alias Iggy Pop peut se targuer d’avoir envoyer paître la Malédiction, lui adressant un doigt tendu (le majeur évidemment) accompagné d’un « Fuck » des familles.
Iggy et les Stooges, pionniers du punk-rock
Au milieu des sixties, Iggy acquiert une première expérience sur scène en tant que batteur, au sein du groupe les Iguanas, dont il hérite son surnom, avant de former son propre combo avec les frères Asheton. A l’aube des années 70, l’avant-gardisme des œuvres musicales rageuses d’Iggy & The Stooges préfigure le punk-rock, sept ans avant son éclosion.
S’inspirant des shows provocateurs de Jim Morrison, notamment le « stage diving » (action de se jeter dans le public) qui deviendra sa marque de fabrique, Iggy jouit d’un magnétisme similaire et partage son goût pour le chaos. Le titre « 1969 » n’est d’ailleurs pas sans rappeler les roulements de batterie de John Densmore (The Doors) sur le volcanique « Who do you love? » de Bo Diddley…
The Stooges – 1969
Il crée alors un show déjanté et d’une violence jamais entrevue auparavant. Se produisant la plupart du temps complètement « perché », à moitié nu, dévoilant parfois ses parties génitales. S’enduisant le corps de substances diverses et variées, allant même jusqu’à se taillader le torse avec des tessons de bouteille pour galvaniser un public déjà survolté, Iggy ne se ménage guère. Sur scène, cette icône rock au regard d’enfant, au corps reptilien dégoulinant de sueur et de sang, se donne littéralement en pâture au public. Iggy joue mais ne triche pas. Il est semblable à « Gavroche, fusillé, taquinant la fusillade ».
Mais ses prestations dantesques et les deux premiers albums des Stooges plutôt bien reçus par la critique ne suffisent pas à faire oublier les problèmes qui se trament en coulisse. Malgré des ventes honorables, le succès commercial n’est pas au rendez-vous. La déception s’accompagne d’un blizzard de cocaïne et d’autres produits dont Iggy et ses comparses font une consommation gargantuesque. Les conflits se multiplient au sein des Stooges, rebaptisés Iggy and the Stooges par leur leader (!), entraînant de fréquentes séparations et reformations. Ils publient un dernier album « Raw Power », avant leur dissolution en 1974…
Iggy Pop & The Stooges – Search and Destroy
Iggy est au plus bas. Empêtré dans l’héroïne, il se décide à entrer en cure de « désintox ». Non content d’y être parvenu malgré ses excès, c’est dans cette période fragile qu’il aurait pu rejoindre le panthéon des rockers, avant l’heure…
L’ange blond
Mais Iggy a un ange gardien. Il est blond, jeune, talentueux, et inventif. A l’époque, David Bowie est en pleine transition musicale. Il cherche de nouveaux sons et touche de plus en plus à la production. Sur ses propres albums, pour lancer la carrière du groupe Mott the Hoople, ou encore relancer celle de Lou Reed, le roi du glam-rock fait des merveilles. Il a déjà produit le dernier album des Stooges (Raw Power) et sait s’y prendre avec Iggy. Au sortir de sa cure, il le retrouve très amaigri et plongé dans un profond mutisme, mais parvient à le convaincre de se remettre à l’ouvrage. Les deux hommes ont une passion commune pour le rock’n’roll d’avant-garde et partagent une même addiction à la dope. Bowie embarque Iggy à Berlin où ils tentent ensemble d’effectuer un sevrage salvateur.
En pleine vague punk et disco, Iggy enregistre alors sous sa houlette, deux de ses albums les plus aboutis. « The Idiot » (allusion à Dostoïevski) où figure China Girl dont David Bowie fera un succès dans les années 80 afin de renflouer les caisses vides de l’Iguane…
Iggy Pop – China Girl
Mais également le très enlevé Lust for Life (1977) où on peut sentir les signes évidents d’une mutation. L’iguane semblant avoir fait peau neuve…
Iggy Pop – Lust for Life
Poussé à l’écriture par son nouveau mentor, Iggy nourrit sa muse dans les musées de Berlin ouest, et les écrits de Jim Morrison…
Iggy Pop – The Passenger
Après la disparition du Thin White Duke en 2016, Iggy déclarait :
«Il m’a ressuscité. Plein de gens étaient curieux de ma personne, mais il était le seul qui avait suffisamment de points communs avec moi, le seul qui aimait ce que je faisais, et qui en outre, avait véritablement l’intention de m’aider.»
Plus qu’une renaissance, il se révèle dans ces premiers opus. Par la suite il connaîtra le succès à la fin des années 80 avec des disques plus commerciaux…
Iggy Pop – Cry for Love
Pour finalement être élevé au rang d’icône durant les années 90 par la génération Grunge revendiquant son influence. De son univers toujours aussi inventif émerge le tube In the death Car (B.O du film Arizona Dream).
Iggy Pop – In the Death Car
Il fait aussi quelques apparitions remarquées au cinéma, notamment dans Cry Baby, et dans les films de Jim Jarmusch, Dead Man et Coffee and Cigarettes. Le réalisateur lui consacrera un documentaire en 2016 (Gimme Danger).
Une reformation des Stooges s’opère en 2006. Elle débouchera sur deux nouveaux opus, « The Weirdness » (2007), et « Ready to Die »(2013) sans le guitariste Ron Asheton décédé 4 ans plus tôt.
The Stooges – Trollin’
En 2016, alors que son ami Bowie s’en va lui aussi rejoindre les étoiles, Iggy sort son 17ème album studio, Post Pop Depression produit par Josh Homme (Queens of The Stone Age). Une oeuvre étonnante où on peut encore sentir la divine influence du Thin White Duke…
American Valhalla
Autant parler franchement, c’est pour moi le meilleur de sa longue et chaotique carrière, durant laquelle Iggy semble avoir glané une expérience et une maturité artistique insoupçonnée. Ou comment se bonifier avec l’âge…
A 73 ans, Iggy Pop, l’homme aux cents visages et aux mille vies, défie encore la Camarde, trimbalant toujours sa carcasse d’iguane sur les scènes rock de la planète. Il a même publié un 22ème album en septembre 2019 (« Free »). Quant à moi… ben… j’ai balancé mes pantoufles !
Serge Debono
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