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Peter Garrett n’a toujours pas perdu le nord

Il y a les bons disques et il y a les disques importants — et qui perdurent pour ce qu’ils représentent, au-delà de leurs éventuelles qualités musicales intrinsèques. Beaucoup plus rarement, il arrive qu’un bon disque soit aussi d’une importance capitale, sans d’ailleurs qu’on en soit nécessairement conscient au moment de sa parution.

Avec Midnight Oil et depuis peu en solo (l’album dont il est question ici, The True North, est son second après A Version Of Now, en 2016, légèrement en demi-teinte), mais toujours accompagné du fidèle Martin Rotsey à la guitare (et à la co-production), Peter Garrett est un peu un serial façonneur d’excellents (et importantissimes !) disques.
Petit échantillon d’une longue et passionnante interview (ma sixième avec les Oils, la troisième avec son charismatique chanteur), en exclusivité pour Culturesco :

L’une des premières conclusions à tirer de Resist, l’album du retour de Midnight Oil, en 2022 — et je pense que par extension on peut en dire autant de The True North, ton nouvel album solo —, celle qui saute aux oreilles, c’est que si le monde a beaucoup changé, malheureusement pas pour le meilleur, toi et le groupe, vous semblez immuables. Cependant, bien sûr, tout le monde évolue et je voulais savoir quelles étaient, selon toi, les plus grandes différences entre le Pete Garrett des débuts et celui qui se trouve devant moi aujourd’hui ?

Peter GARRETT : Hormis l’âge, je n’ai pas l’impression qu’il y ait beaucoup de différences, rien de particulièrement notable en tout cas…
Tu sais, nous avons vécu les cinq ou six premières années du groupe de manière tellement intense, avec cette sensation d’être toujours dos au mur, d’avoir à nous heurter à une culture pas nécessairement ouverte à nos discours ou à nos actions, en jouant dans des endroits parfois improbables et souvent dans les conditions les plus infernales qui soient.

Je pense que beaucoup de groupes auraient terminé dans une petite case, une « niche » de marché comme on dit, par exemple en assurant des « special performances » dans des galeries d’art ou des festivals pour happy few initiés, qu’ils auraient peut-être fini par être enseigné dans les écoles, sacralisés d’une certaine manière, que des gens forcément bien intentionnés auraient dit les plus délicieux mots à leur sujet, puis qu’ils auraient disparu un certain temps, histoire de se faire un peu désirer, et seraient revenus ailleurs, pour reproduire plus ou moins la même chose et ainsi de suite.

Peter Garrett - Midnight Oil TGC 2017 Photographer Tony Mott 1
Peter Garrett – Midnight Oil TGC 2017 – Photographe Tony Mott

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce qui nous a épargné une telle destinée, c’est le fait que dès le début nous nous sommes jetés à bras-le-corps au cœur même du public, parmi les anonymes, sans jamais être élitiste, tout simplement parce que nous ne pensions pas être ni supérieurs ni différents de ces personnes. Un peu à la manière des membres de The Clash, d’une certaine façon — ou de Rage Against The Machine, pour citer un groupe plus récent, mais je n’arrive pas vraiment à penser à beaucoup d’autres musiciens dans ce cas. Ce qui est incroyable, c’est que nous ayons fini par être acclamés par le grand public et, par ricochet, à imposer nos idées ou tout du moins à permettre d’en débattre, alors que rien ne nous y prédestinait.

La chanson  The True North  parle un peu de la partie de l’Australie située au nord du tropique du Capricorne, mais je me demandais si la chanson, et l’album d’ailleurs, puisqu’il s’appelle pareillement, n’était pas aussi une sorte de déclaration spirituelle portant sur ta boussole morale ou peut-être sur ce que devrait être la boussole morale de tout un chacun?

PG : C’est en partie exact. Mon positionnement, qui a d’ailleurs aussi été invariablement celui des autres membres du groupe, a toujours été plus ou moins directement en opposition avec la sensibilité dominante de la musique, de la culture et de l’art du moment. Nous n’avons jamais été narcissiques ni n’avons jamais mis l’accent sur nos propres angoisses existentielles, pas plus que gagner de l’argent ou paraitre à notre avantage ou bien habillé n’ont jamais compté au nombre de nos objectifs. Nous ne nous sommes par ailleurs jamais considérés comme en compétition avec qui que ce soit, et certainement pas pour des likes ou des vues de vidéo comme on peut le voir de nos jours. De la même façon, nous n’avons jamais couru après les Grammy et autres récompenses, nous ne parlons tout simplement pas ce langage.

Nous ne nous situons vraiment pas dans ce monde-là, mais à un tout autre endroit que, d’ailleurs, nous considérons comme essentiel pour la survie de l’espèce humaine. Un endroit d’interconnexion proactive entre les membres d’une même famille, d’une même communauté et/ou d’une même culture, où bien sûr la nature tient une place et un rôle essentiels. Cela a toujours été notre façon de voir les choses et le moins que l’on puisse dire est que, hier comme aujourd’hui, nous ne sommes pas bien nombreux à avoir suivi cette voie et encore moins à lui être resté fidèle.

Album The TRUE NORTH – PETER GARRETT

D’autant plus que le cerveau humain est paresseux par nature !… À ce propos, l’écriture de chansons est-elle pour toi un moyen de lutter contre cette potentielle paresse ?

Peter Garett : Non, je ne dirais pas ça (sourire)… On peut me prêter de nombreux défauts, mais la paresse n’en fait certainement pas partie. Ceci dit, j’ai appris récemment quelque chose concernant le processus d’écriture, comme quoi on peut encore apprendre des choses arrivé à mon grand âge (sourire)… C’est qu’il faut laisser suffisamment de place pendant la période de création et d’écriture, ce qui dans mon cas peut se traduire par simplement ne pas faire un milliard d’autres choses à côté. Cette pleine disponibilité permet alors à notre esprit créatif d’avoir les pleins pouvoirs et de focaliser toute l’attention, le travail et la concentration nécessaires pour que l’œuvre en devenir soit la plus dense et pleine de sens possible.

Lorsqu’en 2017 tu as publié Big Blue Sky, tes mémoires, tu as déclaré que tu nourrissais « un espoir fantastiquement durable » à l’égard de ton pays. Serait-ce là une autre définition de ton « True North » ?

Absolument !…

Voilà une réponse particulièrement courte pour une question particulièrement longue ! (rires)… Non non, mais tu as tout dit en quelques mots, je n’ai rien à ajouter à cela, c’est parfait.

Peter Garrett biographie Big Blue Sky

Pour la peine, ma prochaine question sera encore plus longue… Nous vivons dans une ère d’uniformité, où les cultures et les singularités sont clairement en voie d’extinction. La civilisation technologique a bel et bien une histoire, mais pas de passé. Or, l’être humain s’inscrit dans une lente évolution, qui pourrait se résumer en un long cheminement spirituel, indispensable pour faire le lien avec notre passé… Comment expliquer que, dès le début, nous n’ayons jamais soupçonné cette illusion d’un monde meilleur, ce soi-disant « rêve américain » qui est en train de contaminer et de tuer la civilisation occidentale ?

PG : Sans flagornerie, je crois que c’est l’une des meilleures questions qu’on m’ait jamais posées. Tout y est et d’ailleurs elle pourrait presque se suffire à elle-même, comme une pensée complexe en vase clos… Il y aurait tellement à dire… Je n’aurais jamais le temps nécessaire à une réponse circonstanciée et exhaustive, mais j’aimerais lui faire honneur du mieux que je peux.

(courte réflexion)

Peter Garrett Midnight Oil
Peter GARRETT – The True North

En fin de compte, je pense qu’il incombe à chacun de nous d’avoir le courage, la force mais aussi la patience de chercher son propre « true north ». Et quand on le trouve, ne plus jamais le perdre de vue et toujours agir en conséquence. Dans mon cas, je pense avoir été à la fois suffisamment chanceux et suffisamment doué — je ne voudrais pas paraître immodeste — pour m’accomplir pleinement à travers la musique et la transmission de cette musique à autrui.

Quand je suis sur scène, peu importe la taille de la salle ou même du stade ou de l’arène, dans mon esprit je suis dans ma cuisine en train de jouer pour toutes les personnes présentes. Ou, dit autrement, nous pourrions être tous ensemble, sur une même barricade, en train de manifester contre quelque chose que nous estimons inacceptable, notre détermination respective étant renforcée par le fait d’être unis et solidaires.

La communication et le partage de nos rêves, de nos points de vue, de nos réflexions, sont ce qui nous cimente et ce qui fait que nous pouvons faire société. Nous ne pouvons faire face à l’ensemble des enjeux et défis que ce monde fabrique que lorsque nous sommes une communauté. La singularité d’une ou plusieurs personnes — peu importe qu’elles soient supérieurement intelligentes, influentes ou que sais-je encore — ne fera jamais le poids contre une communauté d’esprits.

Je ne sais pas si tu seras du même avis, mais autant j’avais trouvé que Resist sonnait comme un album qui clôturait quelque chose, sans forcément être une fin en soi, autant The True North dégage une aura de régénération, avec probablement comme centre névralgique « Meltdown » — qui est d’ailleurs mon morceau préféré…

Album : THE TRUE NORTH – PETER GARRETT

Peter Garrett : Avant toute chose, je suis bien évidemment très attaché à tout ce que j’ai fait avec Midnight Oil, un groupe qui a su perdurer et dont je considère beaucoup d’albums comme importants, en ce sens qu’ils ont réussi à toucher les gens séparément, puis à les réunir.

Au moment de la confection de The True North, j’ai été très attentif au fait d’avoir une approche singulière, basée sur les émotions, le cœur guidant l’esprit au lieu que ce soit l’esprit qui guide le cœur ou, dans le cas du groupe, que quatre têtes et quatre cœurs tentent d’atteindre conjointement le même endroit, ce qui est extrêmement difficile à accomplir.

Tu sais, dans la plupart des cas de figure, tu peux mettre dans une même pièce autant de musiciens que tu veux, avec dix bonnes idées de chansons et deux trois riffs pas trop galvaudés, et il n’en sortira pas grand-chose. Je considère par conséquent la trajectoire de Midnight Oil comme miraculeuse, en ce sens que nous avons réussi à nous trouver, puis à nous retrouver à de nombreuses reprises, avec des disques de qualité qui ne vieillissent pas si mal que ça, je dirais…

 

Merci à Christophe ‘da Goof’ Goffette pour la réalisation de cette Interview.

Retrouvez l’ensemble des travaux et réalisations de Christophe Goffette sur son excellent site web.

https://goofprod.com/

 

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