Le chant du départ…
C’est un soir de Juillet 1976. Dans une boîte en Bretagne, du côté de Pontrieux, les gars en jean / tee-shirt et les nanas en robe Gypsy / sabots – c’est la tendance de l’année – dansent sur les hits de cet été solaire : Silly Love Song de Wings, Fool To Cry des Rolling Stones, Radioactivity de Kraftwerk, Svalutation de l’italien Adriano Celentano… Ou ce titre-là, mi chanté mi chuchoté en Espagnol, par une fille à la voix juvénile et sensuelle : Porque Te Vas de Jeanette !
Jeanette – Porque Te Vas (1974)
Tsi Tsi !
De la chanteuse, on ne sait pas grand-chose à l’époque. Mais du côté des Ibères, on se souvient peut-être du groupe Pic-Nic, formation entre folk et country, où elle apparaît à la fin des années 60. Jeanette y dévoile son admiration pour Bob Dylan, Donovan, ou les Byrds.
Pic-Nic – Cállate Niña (1967)
Puis, après 69, année pour nous gainsbourrienne, elle quitte le Pic-Nic pour un parcours en solitaire et plusieurs singles dont Soy Rebelde (1971) ou Estroy Triste (1972)… Sa mélancolie impressionne le public espagnol.
Jeanette – Soy Rebelde (1971)
En 1974, la chanteuse enregistre un titre composé et écrit par José Luis Perales avec Juanito Márquez pour l’orchestration ainsi que les arrangements. Un chant du départ, de la séparation… Après les ballades au spleen quelque peu somnolent, il faut bien le dire, le thème déroule un tempo plus enlevé, une section de cuivres accrocheuse et ce gimmick du double coup de charley du batteur : Tsi Tsi ! Ça chaloupe le transistor et le cœur des auditeurs aussi ! Porque Te Vas chemine parmi les hits en Espagne mais pas ailleurs.
Élève des corbeaux…
Le 20 Novembre 1975 disparaît Francisco Franco, le dictateur qui dirigeait le destin de l’Espagne depuis 1939. Le grand pays semble hésiter entre l’appel à la liberté et la rechute dans le gouffre. Le cinéaste Carlos Saura tourne en parallèle son dixième long métrage : Cría Cuervos (Une référence au dicton espagnol « Cría cuervos y te sacarán los ojos », littéralement « Elève des corbeaux et ils t’arracheront les yeux »). Ce film où se confrontent vision de l’enfance et réalité de l’âge adulte devient aussi une allégorie sur une Espagne cloisonnée et mortifère. Mais quelle musique choisit Saura pour illustrer son projet ? Porque Te Vas. Lorsqu’en Mai 1976, son œuvre reçoit les honneurs du Festival de Cannes, la complainte de Jeanette est propulsée sur toutes les radios de France puis d’Europe. Alors le 45 tours se vend comme des churros sur les plages dorées…
Carlos Saura – Cría Cuervos / Extrait (1976)
Hoy en mi ventana brilla el sol
Y el corazon
Se pone triste contemplando la ciudad
Porque te vas
Como cada noche desperté
Pensando en ti
Y en mi reloj todas las horas vi pasar
Porque te vas
Todas las promesas de mi amor se iran contigo
Me olvidaras
Me olvidaras
Junto a la estacion yo lloraré igual que un nino
Porque te vas
Porque te vas
Porque te vas
Porque te vas
Bajo la penumbra de un farol
Se dormiran
Todas las cosas que quedaron por decir
Se dormiran
Junto a las manillas de un reloj
Esperaran
Todas las horas que quedaron por vivir
Esperaran
Todas las promesas de mi amor se iran contigo
Me olvidaras
Me olvidaras
Junto a la estacion yo lloraré igual que un nino
Porque te vas…
(Traduction : ici)
Plus tard, les profs d’Espagnol par chez nous se souvenant sans doute avec émotion de cette comptine très seventies la proposeront à leurs élèves. Peut-être ont-ils été aussi sensibles à cette sérénade susurrée par la douce Jeanette et à ce fameux Tsi Tsi de cymbale…
Ps : Pour découvrir la suite de la carrière de Jeanette, sa chaîne YouTube.
Bruno Polaroïd