TINDERSTICKS : leur premier album

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La robe rouge.

Photo de Tindersticks
Tindersticks, début des années 90 (Photo : Phil Nicholls)

C’est la grande foule parmi les velours et les dorures du Théâtre Sébastopol à Lille ce soir du 3 Octobre 93. Car Nick Cave et ses Bad Seeds sont dans les murs ! Ainsi décoré, on a l’impression de revivre les scènes mythiques du film Les Ailes Du Désir de Wim Wenders (1987). Poliment, le public accueille en ouverture des Anglais au curieux nom inflammable : Tindersticks. C’est leur toute première date en France. Ils sont sept et en costumes du Dimanche – décidément c’est la soirée Dandys du Rock -. Ah il y a un violoniste et un trompettiste…

Tindersticks – Tyed Live MTV Studios, extrait (Janvier 1994)

Quel son ! Une basse lourde et répétitive, une batterie éclatée, et une sorte de beauté cacophonique mélangeant éclats de trompette, crissements plaintifs du violon et des guitares, accords et désaccords de claviers. Et enfin, sur ce chaos magnifique, la voix, grave et tremblotante du classieux au micro. Fascinant !
La suite sera du même tonneau et de la même ivresse, dans un miroitement de facettes, du happening à la ballade intimiste, avec une vraie distinction. On se précipitera sur l’album quelques jours plus tard…

Allumettes

Après des essais sous le patronyme de Asphalt Ribbons, les gars de Nottingham / GB adoptent l’appellation de Tindersticks en 1992, lorsque Stuart Staples, leur chanteur / guitariste le découvre sur une boîte d’allumettes allemande. A l’époque, le gang est constitué de Stuart, Dave Boulter (Orgue, piano et accordéon), Neil Fraser (Guitare), Dickon Hinchliffe (Violon et guitare), Al Macauley (Percussions et batterie), et Mark Colwill (Basse). S’y ajoute de temps en temps Terry Edwards à la trompette et au saxophone. La configuration de l’équipage indique déjà de larges ambitions orchestrales…
Des singles – certains en autoproduction – paraissent avec suffisamment de tapage pour que le  nouveau label This Way Up s’y intéresse et les signe pour un premier opus. Comme éclaireur est édité en Septembre 1993, le très beau City Sickness. Déjà, Staples s’y décrit malade de la ville…

City Sickness – Single (1993)

Mosaïque

L’album initial de Tindersticks est présenté le 11 Octobre 1993. Surprise, il s’avère anonyme, double en vinyle, et donc rempli au maximum, 22 titres – 21 en CD -, plus de 77 minutes ! Il est coproduit par Ian Caple qui a déjà travaillé entre autres pour The Chameleons ou le Druide Julian Cope. Autre trouvaille, la pochette, entre joliesse et kitch selon les goûts, en tout cas inhabituelle pour une formation Indé, elle reprend un tableau néo classique, La Robe Rouge, par l’artiste espagnol Francisco Rodriguez Sanchez Clement. Staples dira ensuite que la gravure était affichée dans une gargote chinoise et qu’elle résumait ce disque “Beautiful, vibrant but definitively low art” ! A noter pour les collectionneurs fous, le premier pressage vinyle offre également 4 cartes postales cadeaux. Les gars marquent tranquillement leur différence.

Nectar – The First Tindersticks Album (1993)

L’œuvre s’ouvre sur Nectar, un thème mid tempo à la douceur accrocheuse. On retrouve la voix particulière de Stuart Staples, ce baryton mi Single Malt mi cigarettes, et l’aisance instrumentale de ses amis, dont les interventions du violoniste. Les critiques anglais parlent de Chamber Pop, Pop de chambre, allusion à la base rythmique Rock et l’usage d’instruments plus classiques. La production étonne également par une rare dissonance, entre amateurisme de démo et mixage de luxe.

Pochette intérieure de l'album
L’album Tindersticks, pochette intérieure

Sans pause, l’aventureux Tyed casse délibérément l’atmosphère du premier titre. La mosaïque déjà flagrante sur scène se confirme, entre autres par ces ébauches que les sept ont dispersées sur tout l’album, des vignettes plus ou moins inachevées : A Sweet Sweet Man, Walt Blues, le forain Tea Stain ou la reprise de Tyed rebaptisée ironiquement Tye-Die. Entre les pièces plus majeures, elles allègent l’écoute et modifient curieusement la temporalité du LP.
Car des merveilles, il y en a : l’enivrant Whiskey And Water, le délicat Blood, les singles City Sickness, Patchwork le bien-nommé…

Whiskey And Water

Et ce superbe Marbles, sans doute l’un des meilleurs morceaux des années 90, et l’acmé du concert de Lille. Sur une suite d’accords mélancolique à l’orgue, accompagnée par des arpèges de guitares électriques, Staples raconte son histoire cryptique…

Her haircut, she looked pudgy and made-up
In that dress growing ever tighter
It was saddening the lengths she had gone to
To appear more attractive
In the process losing something
We never knew but still missed
You knew you were lost as soon as you saw her
You saw your life as a series of complicated dance steps
Impossible to learn, they had to come naturally
Together you squirmed and wriggled
And I could only jerk along behind

They’re going to hurt you
They always will…

Marbles

Automnal

Des influences ? Bien sûr, on pense au Velvet Underground et à Nick Cave mais aussi à des formations romantiques, décadentes et plus inattendues des Seventies tel Procul Harum dans Raindrops ou Jism. Il y a aussi ce parfum automnal, un délicieux spleen de saison froide… Mais l’originalité du groupe dépasse la somme des références : ils ne sonnent comme personne.

Jism

Ainsi cet autre fétiche de la collection. Comme l’espérait la danseuse de flamenco en couverture, le club de dandys balance une espagnolade voltaïque, Her, à propos des boire et déboires sentimentaux de leur crooner paraît-il. Un des rares titres de cette époque qu’ils jouent encore sur scène.

Her – Pitchfork Live (2009)

Ce qui est toujours frappant – trente années après -, c’est la profusion des mélodies imparables qu’on aurait pu aussi longuement développées ici : Milky Teeth, Piano Song – et son fameux « Shut Up, I’m Thinking » -, le lacrimal Raindrops ou Drunk Tank aux martèlements pianistiques dignes de John Cale.

Drunk Tank

Enfin, le recueil se ferme par The Not Knowing, une dernière fleur maladive. Staples y dialogue avec un quatuor de bois – saxophone, hautbois, basson, clarinette – évoquant les riches heures du compositeur Michael Nyman pour le cinéaste Peter Greenaway. D’ailleurs, l’aspect cinématographique de leur musique conduira plus tard le groupe à des collaborations filmiques, surtout en compagnie de la réalisatrice française Claire Denis.

The Not Knowing

Album de l’année

Appuyé par des prestations scéniques impressionnantes, ce doublet de Tindersticks va imprégner aussi bien le public que les spécialistes. Le Melody Maker par exemple, plutôt avare de compliments et versatile, le classera Album de l’Année 1993. Le collectif anglais sera définitivement lancé. Pourtant, dans leurs créations ultérieures, ils choisiront d’abord l’une des orientations du LP, la plus romantique, avant de chercher ensuite une approche Soul et Pop, Staples ne cachant pas son admiration pour Otis Redding ou Lee Hazlewood. Mais les autres disques de Tindersticks, malgré leur indéniable qualité, ne retrouveront plus vraiment cette recette inédite unissant fièvre impulsive et mélancolie élégante.

Bruno Polaroïd

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