Roky Erickson et sa fabuleuse galerie des monstres

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Un grand album de rock’n’roll sous l’oeil du malin

Roky Erickson (Evil One)

Avec l’album Evil One, Roky Erickson a su franchir le voile séparant l’artiste du mythe. Au cours de sa carrière, il a payé un lourd tribut pour ses excès et ses visions, perdant souvent la raison, mais jamais son âme. Au moment de composer un chef d’oeuvre, un classique, un standard, certains artistes semblent touchés par la grâce. Ce sont des monstres et des esprits maléfiques qui ont inspiré l’écriture du fabuleux Evil One. Un concentré de rock pur jus, publié en pleine période synthétique (1981), et dans lequel l’ex-leader des 13th Floor Elevators, s’impose à jamais comme une grande voix du rock.

Histoire d’un long bad trip

Roky Erickson

Roky Erickson est le grand oublié de la glorieuse période des sixties. Avec ses compatriotes texans du 13th Floor Elevators, comme l’essentiel du garage-rock américain, trop vite balayé par le courant psyché, il peine à obtenir la reconnaissance qu’il mérite au niveau international. Et ce malgré le standard rock You’re Gonna Miss Me, paru en 1966.

13th Floor Elevators – You’re Gonna Miss Me

L’époque est alors bercée par l’herbe et le LSD, et Roky Erickson ne fait pas dans la demi-mesure. Les 13th Floor sont fréquemment arrêtés sur la route par la police texane, et presque toujours condamnés. Leur faible notoriété ne leur permet pas d’obtenir de faveur, et leur provenance leur interdit la clémence.

Roky participe très peu à l’écriture du troisième album du groupe. En 1969, durant un concert, il perd pied, ne parvenant plus à s’exprimer correctement. Diagnostiqué schizophrène paranoïaque, il est interné dans un hôpital psychiatrique où il reçoit un traitement à la thorazine, et subit des électrochocs contre son gré.

Roky Erickson

Après s’être évadé, il est de nouveau arrêté à Austin en possession d’un seul joint de marijuana. Roky risque cette fois 10 ans de prison ferme. Il décide de plaider la folie.

En 1972, il retrouve la scène au sein des 13th Floor Elevators à l’occasion de deux concerts. Mais sa perception de la réalité semble altérée. Roky souffre de paranoïa, et d’hallucinations permanentes. Il dit voir des monstres, des êtres démoniaques. Il prétend parler au fantôme de Buddy Holly, et même être une créature venue d’une autre planète.

Roky Erickson – Mine Mine Mind

En 1974, après un nouveau séjour en psychiatrie, il forme un nouveau groupe, Bleib Alien. « Bleibe » est un anagramme de Bible, et signifie également “Rester” en allemand. En réalité, il s’agit d’un jeu de mots avec l’expression allemande « bleib allein » (rester seul), visant à marquer la scission avec les 13th Floor Elevators.

The Aliens

The Aliens

Au delà d’une passion commune pour le rock, c’est la science-fiction et le vieux cinéma d’épouvante qui fédère le groupe. Cela tombe bien, Roky est né pour sublimer sa colère une guitare électrique en bandoulière. Et question onirisme et surnaturel, il a tout ce qu’il faut en stock…

Roky Erickson & The Aliens – Sputnik

S’éloignant sensiblement des sonorités psychédéliques, le rocker venu d’ailleurs épouse le son du hard rock et renoue avec un rock efficace, mélodies carrées et riffs accrocheurs. En 1975, rebaptisés Roky Erickson & The Aliens, le groupe publie un single plus que prometteur, intro de leur futur album…

Roky Erickson & The Aliens – Two Headed Dog

Soutenu par ses pairs, et produit par le bassiste Stu Cook (Creedence Clearwater Revival), en 1979, Roky Erickson finit donc par donner corps à ses visions dans un album fabuleux, singulier, et thérapeutique. Un concentré d’énergie et de rock pur jus.

Roky Erickson & The Aliens – The Wind and More

Roky Erickson convoque l’ensemble de ses démons en studio pour une oeuvre d’anthologie. L’album Evil One est une véritable galerie des monstres. Zombies, cerbère, vampires, et même Lucifer en personne, peuplent cet opus extraordinaire, où la voix du chantre n’a jamais semblé si belle.

Roky Erickson & The Aliens – Stand for The Fire Demon

Il faut dire que le compositeur texan est remarquablement bien entouré. Les guitares de Duane Aslaksen, la basse de Steve Burgess (ou Stu Cook sur Sputnik), les claviers de Andre Lewis et la métronomie de Fuzzi Furioso derrière les fûts, déroulent au chanteur un tapis idéal pour son train fantôme…

Roky Erickson & The Aliens – White Faces

Roky s’inspire de ses visions quotidiennes, et n’a donc rien à envier à Ozzy Osbourne et Alice Cooper. Sa rage provient peut-être des enfers, mais elle réussit à s’élever si haut qu’elle en devient plus céleste que celle de Robert Plant ou de Janis Joplin. Evil One est un aibum totalement libérateur, un moment unique de magie noire, de rock méphitique, et de rédemption. Au passage, le compositeur signe une merveille de rock gothique magnifiée par les synthétiseurs. Chant fabuleux et accent transylvanien. Sans doute le titre ultime dédié au Nosferatu

Roky Erickson & The Aliens – Night of The Vampire

Cold Night for Alligators, Don’t Shake me Lucifer, Bloody Hammer, toutes les autres pistes sont sensiblement du même niveau.

Roky Erickson & The Aliens – Cold Night for Alligators

Sur deux titres, Roky se rappelle au bon souvenir de ses jeunes années. Qu’il chemine avec un zombie (I Walked With a Zombie) ou que les démons assaillent ses pensées (I Think of Demons), la candeur du rock sixties ou de l’école Motown rejaillit sur les accords majeurs, et son interprétation presque nostalgique…

Roky Erickson & The Aliens – I Walk With a Zombie

Sursaut rock, ou chef d’œuvre d’Halloween, l’album est publié alors que le disco et la cold wave laissent doucement place aux nouveaux romantiques. Malgré une production optimisée, Evil One et son rock sans artifices constitue une oeuvre à contre-courant. Saluée par la critique, mais mal distribuée et peu promotionnée.

Cela permet néanmoins à Roky Erickson d’enregistrer un nouvel album, Don’t Slander Me (1986), moins hanté par l’autre monde. Ainsi qu’un album live, à la fois monumental et intime, Gremlins Have Pictures (1987), qui fixe ses talents de performer pour l’éternité.

Roky Erickson – Gremlins Have Pictures

Evil One connaît une publication différente en Angleterre et aux Etats-Unis. En 1987, il est augmenté de cinq nouveaux titres sur sa première réédition. Un bonheur dont on ne peut se priver, tant Roky Erickson tutoyait les anges durant cette période. Comme quoi, paradis et enfer ne sont pas si éloignés, dans le cœur d’un grand artiste…

Serge Debono

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