Abrégé de romantisme sanglant.
Killing Joke, la blague qui tue ! Au début des années 80, le quatuor incarne l’un des projets les plus originaux de la décennie, au milieu des Joy Division, PIL, Siouxsie And The Banshees ou Bauhaus. Le gang originaire de Notting Hill a été rassemblé en 1979 par Jeremy « Jaz » Coleman – chant incantatoire et synthé bruitiste – et Paul Ferguson – batterie tribale –, rejoints ensuite par le bassiste inexorable Martin Glover dit Youth et le guitariste incisif Kevin Walker aka Geordie.
Killing Joke – The Wait – Killing Joke (1980)
Influencés par le Dub, la vague allemande des années 70, les lectures ésotériques et historiques de Coleman et Ferguson, les quatre vont proposer en trois albums, Killing Joke (1980), What’s THIS For… ! (1981), et Revelations (1982), un son unique, trouble et agressif, basé sur la rythmique puissante, les échardes des guitares, les nappes inquiétantes et indus du synthé et la voix de Jaz, mêlant mantras hallucinés, grognements et hurlements. En concert, derrière son synthé Oberheim ou défiant les premiers rangs, le chanteur, le visage peint, parfois proche de la transe et de la démence, hypnotise et déchaîne littéralement le public.
The Fall Of Because Live At Hammersmith Odeon (1982)
Après une crise existentielle – Coleman suivi de Geordie s’étant réfugiés en Islande en 1982 dans l’attente d’une apocalypse toute proche -, le gang se reconstitue avec cette fois le brillant Paul Raven à la 4 cordes. En 1983, leur quatrième LP Fire Dances amorce néanmoins une approche plus mélodique, peut-être moins brutale.
Let’s All Go (To The Fire Dances ) – Fire Dances (1983)
Pour le disque suivant, Night Time, les gars partent enregistrer à Berlin, au fameux Hansa Tonstudio, en compagnie du producteur Chris Kimsey qui a participé aux derniers opus des… Rolling Stones ! La tentation d’un son plus radiophonique et accrocheur se confirme avec le single Eighties, premier extrait des sessions. Mais parmi les huit titres du futur recueil se détache un autre thème : Love Like Blood.
DEUX MINUTES
« C’était un accident. Ce titre a pris deux minutes à écrire. »
Jaz Coleman, interview pour Sound Of Violence en 2013.
Et pourtant, quel beau boulot ! Dès les premiers arpèges de guitare avec effet chorus de Geordie, et la nappe mélancolique du synthé de Jaz, il se passe kekchose, comme pour tous les grands morceaux. L’entrée de la section batterie / basse, l’une des plus exemplaires des années 80, appelle immédiatement au mouvement du corps. Puis Coleman énonce son abrégé de romantisme sanglant.
We must play our lives like soldiers in the field
But life is short I’m running faster all the time
Strength and beauty destined to decay
So cut the rose in full bloom
’til the fearless come and the act is done
A love like blood, a love like blood
Everyday through all frustration and despair
Love and hate fight with burning hearts
’til legends live and man is god again
And self-preservation rules the day no more
We must dream of promised lands and fields
That never fade in season
As we move towards no end we learn to die
Red tears are shed on grey
Love Like Blood – Night Time (1985)
Inspiré par l’écrivain Japonais Yukio Mishima et son livre Le Japon Moderne et l’Éthique Samouraï, tel d’ailleurs un certain JJ Burnel des Stranglers, Coleman racontera pour Songfacts en 2015 :
« C’était un grand auteur. Ce sont ses opinions sur l’écriture avec votre sang en tant qu’artiste qui m’ont vraiment inspiré. C’est une métaphore de l’engagement qu’un artiste doit prendre envers sa forme d’art. Et j’ai adoré le principe du guerrier, la liberté par le sang (…) La chanson elle-même était un condensé de tout ce qui nous est cher, et il faut aspirer à marcher et à parler de ce que vous écrivez dans vos chansons en le vivant. C’est l’autre partie de l’art. Vous ne pouvez pas simplement être conceptuel, écrire des chansons. C’est aussi la façon dont vous vivez votre vie. C’est aussi important que la façon dont vous jouez de vos instruments ou la musique que vous créez. C’est tout aussi important. »
FORT ET EMBLÉMATIQUE
Cette ode au combat de la vie atteint son paroxysme lorsque pour le refrain, le chanteur développe une superbe ligne vocale sur un lit de notes en boucles de la Gibson ES-295 dorée de Geordie. Notons aussi la trouvaille des accords de piano répondant à la six cordes pendant le pont. En deux minutes paraît-il, les quatre viennent d’inventer un thème aussi fort et emblématique de l’époque que le Love Will Tear Us Apart de Joy Division.
Sortie en single et en version longue sur le maxi en Janvier 1985, un mois avant le LP Night Time, Love Like Blood va cartonner au-delà du cercle des aficionados du gang, emportant le grand public qui découvre cette sombre mélopée dansante (!) à la radio, dans les boîtes, enchaînée aux derniers Depeche Mode et Tears For Fears. La vidéo elle-même reste un morceau de bravoure des eighties (sic) avec symbolique cryptée – grimoire, oriflammes aux couleurs de la République Espagnole des années 30, allusions aux films Les Raisins de la Colère et Pour Qui Sonne Le Glas, aux combattants communistes…- et surtout le quartet filmé à son meilleur. Évidemment les puristes et gardiens du Temple Killing Joke rejetteront ce titre en dénonçant une trahison, laissons-les bouder…
Love Like Blood Live (2004)
Par la suite, Killing Joke reviendra à un son plus dur, lors de leurs différentes renaissances dans les années 90 et 2000, des come back malheureusement endeuillés par le décès de Paul Raven le 20 Octobre 2007 (Youth de retour en alternance reprendra la basse à partir de 2008.).
Et parfois, en concert, Jaz Coleman, toujours facétieux, oublie de jouer Love Like Blood…
A la mémoire de Raven, et Geordie, décédé le 26 Novembre 2023.
Bruno Polaroïd