Cosmo’s Factory, le triomphe à contre-courant de CCR

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Creedence Clearwater Revival, ou l’âge d’or du Swamp Rock

Après quatre albums convaincants, Cosmo’s Factory, publié en 1970, incarne la quintessence de CCR, et la fin du mouvement psychédélique.

cosmos factoryUn beat, un riff de guitare, et une voix qui décape. Au fond, c’est tout ce dont le rock a besoin. John Fogerty l’avait bien compris.

CCR – Ramble Tamble (Cosmo’s Factory)

A la fin des sixties, son obstination à vouloir évoluer en marge de l’acid rock, aurait pu condamner Creedence Clearwater Revival à la confidentialité. Si leurs coupes de cheveux semblaient épouser la cause, leurs tenues de bûcherons canadiens juraient dans le paysage californien, alors peuplé de freaks aux fripes insolites et colorées. Fort heureusement, la musique emprunte des voies plus sûres que le canal visuel.

Le rock, dans sa forme la plus pure, avait embrasé l’Amérique durant la deuxième moitié des années 50. Les Creedence en avaient été les témoins assidus. Patients, ils surent guetter l’inévitable nostalgie qui devait en résulter. Ici, John Fogerty délivre un titre dans la veine de Little Richard, et même un peu plus. Un pousse au déhanché très réussi…

CCR – Travellin’ Band (Cosmo’s Factory)

En 1970, le rêve d’une société idéale s’est lentement consumé dans l’assassinat de Martin Luther King, celui de Robert Kennedy, et le choc de l’affaire Manson. La guerre au Vietnam se poursuit et révèle ses horreurs. Le mouvement pacifiste est durement réprimé. Enfin, le fiasco du Festival d’Altamont met un point final à une période dorée et hautement créative, ayant suscité les plus grands espoirs.

Artificiel ou réel, le paradis n’est plus une perspective. L’empathie laisse place à la peur, et le joint à l’héroïne. C’est le blues qui ramène d’abord le rock aventureux sur ses premiers rails. Mais le swamp rock suit le mouvement, et en profite pour diffuser son énergie positive et libérer les tensions. CCR exhume un titre écrit par Richard D. Penner et Wade Lee Moore, et popularisé par Roy Orbison.

CCR – Ooby Dooby (Cosmos Factory)

Même si leur rock cajun sonne plus country que celui de Memphis, en 1970, un retour aux sources semble nécessaire. Le son primal du rock’n’roll, dopé par les technologies modernes, allume à nouveau le feu démoniaque dans les jeunes corps. La cause du rock leur semble moins désespérée que celle de la paix. Et elle a le mérite d’entretenir l’espoir.

Le single Lookin’ Out My Back Door, publié le même jour que l’album Cosmo’s Factory (7 juillet 1970), obtient un tel succès que certains esprits chagrins veulent y voir une allusion aux drogues. Il faut dire que le texte de John Fogerty est particulièrement onirique.

Cosmos Factory

On y croise des animaux fous et des cuillères volantes, sur fond de paysages colorés. Comme l’avait fait John Lennon avant lui (pour Lucy in the Sky with Diamond), le chanteur explique à qui veut l’entendre, qu’il a écrit cette chanson pour son fils âgé de trois ans, et qu’elle ne représente en rien les effets produits par le LSD.

Un titre bondissant à l’énergie contagieuse, que les frères Coen intègreront plus tard avec humour, à leur film The Big Lebowski (1998).

CCR – Lookin’ Out My Back Door (Cosmos Factory)

Si on ajoute leur excellente reprise de Before You Accuse, que j’ai éludée, jusqu’ici, on est déjà sur les rails d’un bel album. Pourtant, le meilleur est à venir !

Évacuons de suite la question textuelle. Si en raison de ses adaptations cinématographiques, on a coutume de penser que Run Through The Jungle est un titre évoquant l’enfer de la guerre au Vietnam, le propos est sensiblement différent. Dixit l’auteur :

“La chose dont je voulais parler était le contrôle des armes à feu et la prolifération des armes à feu… Je me souviens avoir lu à cette époque qu’il y avait une arme à feu pour chaque homme, femme et enfant en Amérique, ce que j’ai trouvé renversant. Donc, quelque part dans la chanson, je crois avoir dit : « 200 millions d’armes sont chargées ». J’ai juste pensé qu’il était troublant que ce soit une telle jungle pour nos citoyens de se promener dans notre propre pays, au moins d’être conscients qu’il y a tant d’armes privées détenues par des personnes responsables et peut-être de nombreuses personnes irresponsables.”

John Fogerty

Run Through The Jungle, c’est peut-être bien le point d’acmé de Creedence Clearwater Revival. Ses premières notes lancinantes sonnent comme un cataclysme. Puis retentit le clap, et le beat se met en route. Un riff obsédant dévale le manche dans les graves, soutenu par le groove de la basse. La voix rocailleuse annonce un cauchemar plus vrai que nature. Pourtant, un peu plus tard, quand l’harmonica se met à miauler, on a qu’une seule envie. Que le rêve se poursuive !

CCR – Run Through The Jungle

Reprendre du rockabilly, sur le plan instrumental, n’est pas donné à tout le monde. Tout du moins, avec la manière. Pour ce qui est de chanter un titre popularisé par le King Presley, n’en parlons pas. Ce morceau de Arthur Crudup semble pourtant renaître sous la férule de John Fogerty. Toute sa science du premier rock, et les plans de Scotty Moore, rejaillissent dans cette version réalisée avec une maîtrise insolente.

CCR – My Baby Left Me

Et que dire de cette reprise d’un titre, dont on pensait que Marvin Gaye avait éclipsé toute concurrence chez la Motown, que ce soit Gladys & The Pips ou The Miracles. Ce standard impérissable de la soul signée Norman Whitfield et Barrett Strong, appartient pour toujours à Marvin Gaye. Son interprétation soulful et mystérieuse n’a pas d’égale. La grande force de Fogerty est de réussir à rendre le titre plus rock, sans en perdre l’essence. En s’appuyant sur le rythme, semblable au beat vaudou de Dr John, CCR déploie son swamp rock empreint de rhythm and blues. Le solo en prime…

I Heard it Through The Grapevine

Concernant Who’ll Stop the Rain, là encore il est fréquent de voir associer ce titre à des films sur la Guerre du Vietnam. La génération des sixties y voyait un chant symbolique à peine déguisé, faisant références aux événements en cours (assassinats de personnalités, émeutes, Woodstock, Vietnam).

Ce n’est pas totalement faux. Cette ballade folk légendaire, et adaptée à maintes reprises, est écrite, selon John Fogerty, juste après le concert donné par CCR au Festival de Woodstock. La pluie s’étant longuement invitée à l’évènement, dans un genre d’hallucination collective, certains propageront la rumeur que le titre a été joué sur la scène du festival.

Who’ll Stop The Rain

Le titre de l’album fait référence à un entrepôt situé à Berkeley (San Francisco), où le groupe avait l’habitude de répéter. Les membres Stu Cook, Doug Clifford et Tom Fogerty se plaignaient régulièrement des cadences de travaille imposées par John Fogerty, et avaient baptisé l’endroit “The Factory” (l’usine). Le leader a eu l’idée d’y accoler le surnom du batteur Doug “Cosmo” Clifford, afin de l’impliquer dans la promo de l’album Cosmo’s Factory.

Cosmo's FactorySur la pochette, qui en dit long sur l’orientation du groupe, il figure d’ailleurs au premier plan, enfourchant un vélo. Un visuel volontairement anti-cool, et mettant en avant le côté rustique du groupe. Il faut y voir une manière symbolique de résumer l’esprit de l’album, plus que l’expression d’une idéologie. Néanmoins, les inscription « 3rd Generation » sur le poteau, et  » Eat clean and Bluesy » aux pieds de Tom Fogerty, précise la mouvance dans laquelle s’inscrit CCR.

CCR (Cosmo's Factory)

En revenant aux sources du folk, du blues et du R&B, à l’image des Doors quelques mois plus tôt (Morrison Hotel), CCR propose une alternative à l’acid rock. Ils réussissent, contre toute attente, à truster le haut des charts. Et pas seulement avec leur singles. Cosmo’s Factory atteint la première place en France et en Angleterre. Et la deuxième aux Etats-Unis, où CCR devient rapidement le groupe de rock le plus populaire du pays.

Serge Debono

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