Quand le groupe français le plus populaire, se retire en beauté…
Lorsque que l’on évoque Téléphone et Un Autre Monde, il y a comme un malentendu. Entre les nostalgiques de la spontanéité des premiers albums, et les adorateurs de Dure Limite, nous sommes peu nombreux à rendre hommage au dernier opus de Téléphone. Les tensions internes, connues depuis belle lurette, n’influent-t-elles pas sur notre jugement ? N’oublions pas qu’à une certaine époque, on se plaisait à comparer Téléphone aux Rolling Stones… Dépassé par le phénomène national, le parallèle manquait certainement de lucidité, mais essayons de leur accorder la même clémence qu’à ces chères “pierres qui roulent”. Juste pour une fois…
L’entame de cet album, pour commencer. Elle n’a rien à envier au précédent. Le riff feutré de Bertignac, épouse toujours la poésie naïve d’un Aubert en pleine ascension lyrique. Et sans faire l’inventaire, Kolinka et Marienneau, c’est vraiment du solide !
Téléphone – Les Dunes
Je vous fais grâce de New York avec Toi, même s’il vous faut savoir que ce standard du rock français, inspiré de l’expérience du groupe dans les clubs new-yorkais (et notamment du CBGB,) ne fit pas un carton dans l’hexagone à sa sortie.
Loulou Bertignac renoue avec ses premiers amours sur le titre méconnu, 66 Heures. Le guitariste lâche les chevaux sur les soli, et grogne sur le micro. On réalise aujourd’hui, qu’une redite en solo, aurait fait le bonheur de beaucoup…
Téléphone – 66 Heures
Un titre ignoré figurant sur la Face B d’un 45 T maudit. Le recto, occupé par le single Oublie ça, premier titre extrait de ce dernier album, ne fait pas l’unanimité. Sans doute à cause du groove obsédant, de la teinte acoustique, et du texte frenchy… Pourtant, toute la maestria de Téléphone réside dans ce trip nourri de percussions, et d’un feeling incomparable. Une composition majeure, témoignage funky des coulisses cocaïnées des années 80…
Téléphone – Oublie Ca
Vous vous dîtes, “c’était la fin, ils ont enchaîné avec quelques titres faciles !?”. J’aimerais rejoindre la vindict populaire, mais honnêtement, l’enchaînement est si rock’n’roll, qu’il m’est impossible d’en dénigrer l’inspiration. Alternatif ou pas, en 1984, Téléphone sonne toujours avec cette fibre originelle. Baigné dans la religion blues, et les arrangements des Stones du début des seventies, c’est un rock sincère et impatient qui émerge encore du quatuor morcelé…
Téléphone – T’as qu’ces mots
Taxi Las capture habilement, une mouvance new yorkaise, visible uniquement de l’ancien continent. Une lassitude enrobée de sunlights. Le New York des 80’s, vu de France…
Téléphone – Taxi Las
Leur passage outre-atlantique n’est pas très lucratif. Quelques années plus tard, Johnny Hallyday fera venir son public par jet privé, afin de ne pas subir la même déconvenue. Mais ce n’est pas la fibre rock que Téléphone cherche à ramener des Etats-Unis, elle fait déjà partie de leur ADN. Non, c’est bien la mouvance latino et funk des bas fonds de New York. La seule vibrant encore d’une flamme ardente. L’extase, le sexe, et la peur du lendemain. Car le rock n’est pas un simple riff, ni même une musique. C’est un état d’esprit, que seul le désespoir nourrit…
Electric Cité
L’album se termine sur le standard Un autre monde. On peut dénigrer sa redondance sur les radios et autres médias, railler sa candeur sous la lune… Mais qui n’a jamais trippé sur les arpèges de Aubert, et les agréments de Bertignac, le riff lui succédant, et les breaks et relances de Kolinka, me jette la première pierre.
“Quand on est français et qu’on est musicien, on n’a jamais entendu parler de vous ailleurs et on n’entendra jamais parler de vous.”
Louis Bertignac
Un Autre Monde
Ne jamais oublier une chose. Que les médias aient fait l’erreur d’occulter des groupes comme les Dogs, Marquis de Sade, Kas Product, ou Bijou, ne doit pas être imputé au seul groupe ayant bénéficié de leurs faveurs.
Pourquoi combattre le seul exemple (avec Noir Désir) ayant eu raison des à priori sur le rock français, alors que les seuls responsables résident dans la diffusion choisie, sur le bureau d’un programmateur de télé, ou d’un journaliste bourgeois, tiraillé entre quotas et snobisme. Pourtant, Téléphone c’était nous, la populace qui regarde le monde en biais, et se demande de quoi demain sera fait.
Serge Debono