Il y a des chroniques qu’on ne pensait pas écrire… Comme cette évocation mortuaire de David Freel, le mentor de Swell, décédé le 12 Avril 2022.
GET HIGH (1989…)
Swell, c’est d’abord la rencontre entre un batteur iconoclaste, Sean Kirkpatrick, et un chanteur-guitariste un peu effacé David Freel. Le lieu, San Francisco, la date, en 1989. Rejoints un temps par le bassiste Tim Adams, les gars publient en autoproduction un premier album en 1990, sobrement intitulé Swell sur le label de Freel, pSycho-sPecificMusic.
Avec sa pochette de joyeux bambins dans les nuages, en noir, blanc et or, ce premier opus contient déjà les archétypes sonores de Swell.
D’abord, l’omniprésence de la guitare acoustique de Freel, une vieille Takamine des années 70, doublée par des stridences de 6 cordes électriques en accords pointillés ou en slide. Puis, la batterie singulière de Kirkpatrick, une partie originale pour chaque titre, le gars écrit ses lignes rythmiques même avant la base mélodique et dialogue avec l’acoustique. La basse, elle, se déroule de manière hypnotique et harmonique, parfois très présente. Enfin, le chant de Freel détaché mais aussi sensible passe du murmure à l’exclamation, du parler au chanter comme un Lou Reed de la côte Ouest. Quant à ses textes, ils balancent entre accroches immédiates et formules énigmatiques.
Swell – Get High – Swell (1990)
Il y aussi ce travail sur le silence, le groupe oscillant entre la note jouée et non jouée, le dit et le non dit, créant quasiment des chansons elliptiques.
Enfin, Freel intègre aux morceaux des séquences de bruits, de sons du quotidien, rappelant les obsessions de Pink Floyd pour cette matière organique.
De l’ensemble du disque se dégage déjà une forte personnalité difficilement résumable à quelques étiquettes : Post-punk, noise, folk, Lo-fi, psyché…
AT LONG LAST (1991 – 1992)
L’arrivée de l’excellent bassiste Monte Vallier et d’un second guitariste, John Dettman, va permettre à Freel d’aller plus loin encore dans son écriture pour leur deuxième LP baptisé finement …Well ? (1991)
Considéré par certains comme l’un des albums marquants des années 90, cet opus mieux produit présente des thèmes incontournables du répertoire du gang. Les constantes stylistiques musicales, avec ce fameux son de batterie, et visuelles (Photo en noir et blanc, ajouts en or…) demeurent voire s’affirment alors que la qualité du songwriting s’améliore.
Swell – At Long Last – … Well ? (1991)
Des titres de … Well ? vont devenir des moments phares en concert, tel le leitmotiv ironique de It’s OK…
Au départ en autoprod, ce volume est repris par Def American et en France par le label culte lillois Danceteria, signe que ça bouge autour de Swell. Rajoutons que le quatuor est particulièrement bon en live même si Freel ne supporte pas le Rock’n’roll Circus.
“Il ne voulait ni être sur scène ni être photographié, ni même être interviewé. Il trouvait cet aspect de la vie de groupe douloureux. Il voulait juste écrire des chansons et les enregistrer : créer une atmosphère et susciter des humeurs.”
(Extrait de l’Hommage à David Wendell Freel par Monte Vallier et Sean Kirkpatrick.)
IS THAT IMPORTANT ? (1993-1994)
Lorsqu’arrive le troisième LP 41 en 1994, il paraît évident qu’on tient là le meilleur album des Ricains. A nouveau enregistré dans leur repère, au 41 Turk Street à San Francisco, d’où son titre, cette collection dévoile dix titres magistraux, envoûtants, sensibles et mélancoliques avec un style et une écriture au sommet. Toujours sans concessions, Freel ajoute en intro et en outro, trois séquences ambiantes. D’abord, l’arrivée dans le local des gars en montant l’escalier, celui de la pochette, puis en final, le départ et bizarrement un récitatif avec les paroles du disque. Intrigant non ?
Le titre Forget About Jesus, s’affiche emblématique du LP, ouverture en guitare acoustique / tambourin, suivie d’un rythme syncopé et géométrique de la batterie accompagné de nappes de synthé, guitare slide et enfin la voix distanciée du chanteur sur une mélodie imparable.
Swell – Forget About Jesus – 41 (1994)
Les trouvailles continuent lorsque Monte Vallier joue en slide sur sa basse pour certains morceaux.
It’s Time To Move On
Notons que cette fois c’est Tom Hays qui assure la seconde guitare. Il sera ensuite remplacé pour la tournée par Niko Venner.
L’album sort chez American Recordings tandis qu’en France il est ardemment défendu par les Radios Indés comme Radio Campus Lille, les journaux Libération, les Inrockuptibles, ou Lenoir sur France Inter qui d’ailleurs proposera à Swell une Black Session mythique. Le quatuor est alors à son zénith, les concerts fascinent de par leur perfection.
Swell – Émission MEGAMIX – (1994)
WHAT I ALWAYS WANTED (1995 – 1997)
La suite s’avère plus confuse. American Recordings investit dans le projet du prochain LP mais le groupe s’égare en quittant sa base de San Franciscoo, tout en essayant plusieurs producteurs, même Frank Black des Pixies. Le label de Rubin, en difficultés financières, pique carrément les bandes. Surtout, le batteur Sean Kirkpatrick jette l’éponge après les sessions, disloquant ainsi le noyau du gang. Finalement, après d’âpres négociations de boutiques, ce 4e volume Too Many Days Without Thinking se dévoile enfin en 1997 sur Beggars Banquet. C’est malgré tout un très bon cru à l’instar de ce morceau…
Swell – (I Know) The Trip – Too Many Days Without Thinking (1997)
Ou du superbe What I Always Wanted, l’un des titres préférés de Freel et des gars…
What I Always Wanted
La couverture pour une fois dans d’autres tons reprend un tableau du batteur.
Même si l’impact médiatique reste présent, Libération honorant Swell de l’appellation du « meilleur groupe du monde », le succès public traîne. Un malaise renforcé par des concerts chaotiques, avec un David Freel qui a de plus en plus de mal à affronter ses dissonances. Quelque chose cloche dans la mathématique du quartet.
“Il semble parfois que Swell servait à canaliser l’anxiété et les angoisses existentielles de David ; de façon ironique, le simple fait d’être le centre de l’attention du groupe accentuait cette peur et ces angoisses. Cela a pris du temps, mais il a appris à gérer cette pression en restant toujours créatif. Il a écrit des chansons fondamentalement originales et intemporelles, qui nous survivront.”
(Idem)
NEXT TO NOTHING (1998 – 2014)
Après For All The Beautiful People en 1998, un album plus électronique mais aussi sombre et somnambule en compagnie de Rob Ellis à la batterie, le bassiste historique Monte Vallier quitte à son tour le projet.
Swell – Don’t You Know They Love You ? – For All The Beautiful People (1998)
Pour les deux volumes suivants, Feed (2000) et Everybody Wants To Know (2001), Swell ressemble à un singleton se résumant à Freel plus ou moins accompagné.
Swell – This Story – Everybody Wants To Know (2001)
Pourtant, l’ami Sean Kirkpatrick le retrouve en 2003 pour l’inventif Whenever You’re Ready. Ce retour inespéré permet d’apprécier à nouveau l’indéniable complicité des deux potes, les structures percussives du Sean s’entremêlant aux arpèges et accords de la Takamine de David, comme à leur grande époque. Le disque dense et riche de nouvelles sonorités peut être considéré comme l’un des plus aboutis de Swell.
Swell – In The Morning – Whenever You’re Ready (2003)
Un dernier album du groupe, South Of The Rain And Snow, avec le batteur Nick Lucero, paraîtra sur son label et chez les Français de Talitres en 2007. David Freel créera encore deux LP solo autoproduits sous le pseudo de Be My Weapon en 2009 puis 2014 : March 2009 et Greasy !!
Be My Weapon – Love Is Just So Overrated – March / 2009 (2009)
Il s’était installé dernièrement dans l’Oregon, pressant des disques vinyles à la demande…
“Ses démons n’ont pas eu le dessus. C’est la fragilité de son cœur d’humain qui a eu raison de lui. David était sur le point de devenir l’homme qu’il a toujours voulu être. Il avait des projets pour le futur, y compris de nouvelles aventures musicales. Il laisse derrière lui une famille d’amis, une fiancée et une pléthore de gens qu’il n’a jamais connus mais qui l’aimaient.
Repose en paix, David.”
David Wendell Freel, 31 Janvier 1958 – 12 Avril 2022.
Swell – Is That Important ? – 41 (1994)
Bruno Polaroïd