L’Homme à Tête de Chou, le polar lyrique de Gainsbourg

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Le 18 novembre 1976, Serge Gainsbourg publie L’Homme à Tête de Chou. Son quatrième album-concept, après Histoire de Melody Nelson, Vu de l’Extérieur, et Rock Around The Bunker.

Gainsbourg et son chef d’oeuvre schyzo

L'Homme à Tête de Chou

Le compositeur opte une nouvelle fois pour la technique du talk over. L’œuvre se présente comme un monologue sous forme de confession. Un poème narratif et symphonique dans lequel la plume de l’auteur atteint des sommets.

Une sculpture comme point de départ

La pochette d’un album constitue souvent la dernière étape de son élaboration. Pour L’Homme à Tête de Chou, elle se situe en amont du processus.

L'Homme à Tête de Chou

Une fois n’est pas coutume, Gainsbourg écrit le texte avant la musique. L’histoire est inspirée par une sculpture de Claude Lalanne, dont le compositeur fait l’acquisition dans une galerie de Paris 7e.

“Au début, il m’a fait la gueule. Ensuite, il s’est dégelé, et m’a raconté son histoire.” SG 

L’enregistrement a lieu au mois d’août 1976, dans les studios Phonogram de Londres. L’arrangeur Alan Hawkshaw sublime la partition exécutée par Alan Parker et Judd Proctor (guitares), Brian Odgers (basse), Dougie Wright (batterie) et Jim Lawless (percussions).

Un oeuvre visuelle

“Je suis l’homme à tête de chou, moitié légume, moitié mec

Pour les beaux yeux de Marilou, je suis allé porter au clou

Ma Remington, et puis mon break…”

L’histoire met en scène un chroniqueur employé par un journal à scandale (une feuille de chou) tombant amoureux de Marilou, une jeune shampouineuse volage. Malgré le mépris qu’elle lui témoigne, il reste obsédé par Marilou, Il se ruine pour elle, perd la raison et voit ses oreilles se changer en feuilles de chou, sous le poids des infidélités et des insultes répétées. Fou de jalousie, il supprime la cause de son tourment, avant de finir ses jours à l’asile psychiatrique.

Dès l’entrée dans la boutique, et ses clochettes tintinnabulantes, on comprend que Gainsbourg a opté cette fois pour un autre genre. Un polar lyrique, dans lequel il promène l’auditeur par le biais d’une poésie visuelle, illustrant les obsessions du personnage, et sa folie croissante.

Serge Gainsbourg – L’homme à tête de chou

Piano inquiétant et guitare angoissante, le thème récurrent annonce la couleur. Mais le paysage musical évolue suivant un découpage de scènes, digne du septième art.

Les harmonies du thème précédent, perdurent dans une atmosphère intimiste, dévoilant ainsi dans un climat apaisé, la rencontre charnelle entre les deux protagonistes.

“Je tombe sur cette chienne,

Shampouineuse,

Qui aussitôt m’aveugle,

Par sa beauté païenne

et ses mains savonneuses”

Serge Gainsbourg – Chez Max coiffeur pour hommes

On transite du salon de coiffure, théâtre du coup de foudre, à des scènes érotiques enjouées. Cohérent et structuré, on retrouve dans cet album les influences classiques, psychédéliques et percussives du compositeur. Et pour la première fois en France, un titre reggae ! (annonçant son prochain opus Aux armes et caetera).

Serge Gainsbourg – Marilou Reggae (L’Homme à Tête de Chou)

Flash Forward est le point de rupture du personnage incarné par l’auteur. La découverte crue des infidélités de Marilou n’est pas une vision paranoïaque. Cette scène rythmée par un instrumental lancinant et futuriste, fait basculer le reporter dans la folie et le meurtre.

“C’est là, à jamais sur le bloc notes

De ma mémoire black sur white

Et quoique je fasse

Ça me reviendra en flash back, bordel

Jusqu’à ce que j’en claque “

Serge Gainsbourg – Flash Forward

Après avoir voltigé au-dessus du corps de Marilou au son des tam-tams, on finit par découvrir la vérité. La petite s’envoie en l’air avec des rockers ! On plonge alors dans les divagations de l’homme floué, au son de la guimbarde, puis dans l’unique mélodie présente sur l’album (Ma Lou Marilou).

Serge Gainsbourg fait alors étalage de sa plume érotique, sur une piste de sept minutes cadencée par un piano tournoyant, et agrémentée de sonorités psychédéliques. Sublime et envoûtant, le titre Variations sur Marilou dégouline de virtuosité poétique. Avant l’horreur du Meurtre à l’extincteur

“Dans son regard absent

Et son iris absinthe

Tandis que Marilou s’amuse à faire des vol

Utes de sèches au menthol

Entre deux bulles de comic-strip

Tout en jouant avec le zip

De ses Levi’s

Je lis le vice

Et je pense à Caroll Lewis.”

Serge Gainsbourg – Variations sur Marilou

Marilou sous la Neige, ballade acoustique, amorce le final avec douceur. Pourtant, sous ses dehors amoureux aux harmonies sucrées, la scène est glaçante. L’assassin laisse apparaître son déséquilibre mental en présentant son acte de violence comme fictif.

Marilou devient alors une héroïne de bande dessinée, sacrifiée sur l’autel de l’amour, et couverte de neige carbonique. La voix de Gainsbourg, mélancolique et désinvolte, traduit de manière subtile, une perception altérée de la réalité. Le mal est confirmé par le titre épilogue suivant, Lunatic Asylum (hôpital psychiatrique), prochaine destination du personnage.

Serge Gainsbourg – Marilou sous la Neige

Si le somptueux Histoire de Melody Nelson puisait son sel chez Nabokov, L’Homme à Tête de Chou est un voyage au cœur des angoisses de Serge Gainsbourg. Les complexes liés à son physique et à sa peur des femmes semblent soudain synthétisés dans ce thriller sur la cruauté de l’amour unilatéral.

L'Homme à Tête de Chou

A cette époque, fasciné par le travail de David Bowie, il se pourrait qu’il ait opté pour la même technique du Doppelganger. A savoir, créer un double (Gainsbarre ?) afin d’exorciser ses peurs.

Postérité

A l’image de ses prédécesseurs, lors de sa parution, l’album ne trouve pas le chemin du grand public. Heureusement, le temps fait son œuvre et confère aux artistes disparus le privilège d’être reconsidérés. L’Homme à Tête de Chou est aujourd’hui unanimement salué par la critique et adoubé par les fans. Il est souvent présenté comme l’une des œuvres majeures de Serge Gainsbourg.

Serge Debono

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