Pop et Rock à la bouche
En prélude à la sortie d’un ouvrage supervisé par notre ex collaborateur sur Cultures Co, Daniel Lesueur, auteur et directeur de collection aux éditions du Camion Blanc, ouvrage devant sortir courant 2020 et traiter des instruments de musique incongrus ou inhabituels utilisés dans le rock, permettez cet extrait: « Pop et Rock à la bouche », revu pour les besoins du format.
Bonne lecture …
Pop et Rock à la bouche : Les cordes vocales
Les cordes vocales sont deux organes qui permettent aux êtres humains de s’exprimer par la voix ou le chant via un mécanisme physiologique identifié sous le nom de « phonation ».
Dans le rock, si les cordes vocales sont soumises à rudes épreuves, elles deviennent bien souvent l’identité d’un artiste ou d’un groupe. Mais certains en usent également pour cloner les sons de nombreux instruments de musique, une sorte de « do it yourself » qui ouvre la possibilité d’élever certaines chansons au rang de performances.
Comment ça fonctionne ? Un peu d’anatomophysiologie
Les cordes vocales sont situées dans le larynx. À l’avant, elles sont fixées sur le cartilage thyroïde, à l’arrière, sur le cartilage aryténoïde. Adoptant la forme d’un « V » inversé qui délimite la fente de la glotte, on les nomme également « plis vocaux ».
Elles sont constituées de trois couches distinctes de tissus. En profondeur, se trouve le muscle vocal. Il est recouvert de tissu conjonctif puis d’épithélium. L’ensemble est appelé « muqueuse vocale ». Cette structuration permet aux cordes vocales de s’ajuster en longueur, en raideur et en épaisseur, favorisant ainsi l’émission de sons différents.
La phonation résulte de la vibration des plis vocaux au passage de l’air. Tamisée par une caisse de résonance propre à chaque individu, caisse constituée du larynx, des sinus et de la cavité buccale, la voix devient unique, à la fois instrument de musique à « cordes » et à « vent ».
A partir de cette base anatomophysiologique, les envies d’user des cordes vocales à des fins rythmiques ou mélodiques confèrent à leurs harmoniques de multiples possibilités.
« Seaside rendez-vous » (1975) et « Dreamers ball » (1978) – QUEEN
Si Freddie Mercury est loué à juste titre pour sa voix, dans Queen, il n’est pas le seul à s’exprimer. Brian May chante également et, surtout, Roger Taylor, le batteur des Cornouailles. A eux trois, ils assurent la plupart des sons et bruitages que l’on entend dans « Seaside rendez-vous », septième titre de « A night at the Opera ». Par « sons » et « bruitages » s’entend « instruments » ou « avatars » d’instruments de musique, notamment des cuivres. Clarinette ? Trompette bouchée ? Trombone à coulisse ? Nenni ! Cordes vocales travaillées au corps. Même le kazoo que l’on pense identifier sort tout droit du gosier de Roger Taylor. A noter, on entend également des sifflements dans ce titre mais nous y reviendrons plus tard.
Outre un triangle, le seul véritable « objet » utilisé dans cette chanson consiste en une sorte de sifflet. Il retentit juste avant le vers : « I feel like dancin … in the rain ! … ». Il s’agit d’un petit dispositif d’un diamètre approximatif d’un centimètre et demi comprenant une turbine miniaturisée sertie dans une loge en plastique. Positionnée entre les lèvres, et en fonction de la force du souffle qui l’anime, la turbine entre en rotation et émet un sifflement du plus grave au plus aigu. Au cirque, les clowns s’en servent parfois pour souligner en effet comique.
QUEEN – Seaside rendez-vous
On savait Queen éprit de chœurs majestueux, multiples prises de studio empilées les unes sur les autres. A titre d’exemples, citons : « The March of the Black Queen » (1974), « The prophet song » (1975), « Somebody to love » (1976), le fameux refrain de « We will rock you » (1977) et tant d’autres … voire carrément tous !
Certes, on pensait le groupe capable des prouesses les plus pharaoniques, mais aller jusqu’à cloner des instruments à vent … Et comme une seule chanson ne semblait pas suffire, ils ont calqué le procédé dans un autre de leurs albums : « Jazz » (1978), CF la chanson « Dreamer’s ball ». Dans celle-ci, on pense entendre du basson, du trombone ainsi que de la trompette bouchée trillant des aigus. Encore une fois, tout cela relève des voix mixées des trois compères. Cette fois-ci, non contents de le coucher sur disque, au contraire de « Seaside rendez-vous », ils jouent ce titre sur scène, reprenant note pour note et à la voix les fausses partitions de cuivres.
Dreamer’s ball (live- Paris 1979)
Rien n’arrêtant le quatuor anglais dans sa démarche artistique identitaire, on découvre une sonnette de vélo dans « Bicycle race », même album. Mais c’est une autre histoire …
QUEEN – Bicycle race
Pop et Rock à la bouche : Sons et production
Si les membres de Queen sont bien les auteurs/compositeurs de leurs chansons, qui dit enregistrement, dit passage par un studio du même nom ainsi qu’intervention d’un producteur, voire d’un ingénieur du son.
En la matière, The Beatles bénéficiaient des talents conjugués de George Martin et Geoff Emerick ( CF : « En studio avec les Beatles » – Editions le Mot et le Reste – 2009). Sur les deux Lps de Queen où l’on trouve des « faux » cuivres, le même homme œuvre à la production : Roy Thomas Baker. Ce dernier affiche un beau palmarès, responsable également du son d’albums pour, entre autres : The Cars, Devo, Alice Cooper, Foreigner, Journey ou Cheap Trick. Est-ce un hasard de le retrouver à l’ouvrage dans les deux cas ? Ou bien a-t-il sa part de responsabilité ? Il conviendrait de le lui demander.
JOURNEY – Majestic/Too late
Avec les lèvres : le « beatbox »
On ne peut pas évoquer des instruments de musique imités à la « bouche » sans écrire un mot sur la technique du « Beatbox ». Les pratiquants se servent de leurs lèvres pour générer l’équivalence de sons de percussions. Après amplification via un microphone, l’effet est saisissant. Véritables « boites à rythmes » humaines, ces percussionnistes buccaux œuvrent généralement dans le rap ou le slam. Michael Jackson a lui-même usé de cette technique, notamment en concert. Les témoignages filmés qu’il a laissés en la matière sont légions sur Internet.
Michael JACKSON – Beatboxing
Avec les lèvres : le sifflement
Dernier point en lien avec les lèvres : le sifflement. La chansonnière française Micheline Dax (1924/2014) était une professionnelle en la matière, une femme qui prêta son talent à de multiples enregistrements. La voix d’Ursula, la pieuvre maléfique de « La petite sirène » (Dessin animé de Walt Disney – 1990), c’est elle !
Côté rock, qui ne connait la balade de Scorpions : « Wind of change », tiré de « Crazy world » (1994), où Klaus Meine, chanteur du groupe, siffle quelques notes qui caractérisent le titre.
Le sifflement s’est accordé à la pop et au rock un nombre de fois conséquent, permettant d’écrire qu’il lui sied parfaitement. Voici quelques exemples notables : « Two of us » des Beatles (1970), « Goodbye stranger » de Supertramp (1979), « Golden Years » de David Bowie (1976), « Tighten up » de The Black Keys (2010) mais aussi « Walk like an egyptian » de The Bangles (1986), « The stranger » par Billy Joel et « Seaside rendez-vous », donc, de Queen. Est-il besoin d’autres références ?
The BLACK KEYS – Tighten up
Pop et Rock à la bouche ? Les cordes vocales, le souffle, les lèvres … des instruments de musique, incontestablement.
Thierry Dauge