Joan Miró – Le rêve gouverne sa peinture
Joan Miró (1893–1983) a créé son propre style, entre abstraction et figuration. Ses peintures, estampes et gravures constituent une œuvre riche et passionnée, entre la réalité et ses rêves. L’artiste se tourne vers la sculpture dans les dernières années de sa vie.
Il n’a que huit ans lorsqu’il commence à peindre, après des études de commerce qui se révèlent un échec, il rejoint l’Ecole des Beaux-Arts de la Llotja, puis celle de Barcelone pour parfaire son talent. C’est lors d’une visite à la galerie Dalmau de Barcelone que l’art moderne va se révéler à lui.
Miró brise la cohérence de l’espace pour laisser la place à la magie. Il découvre l’œuvre de Paul Klee, et il décrète que la peinture ne doit pas être dirigée par l’observation, mais par l’imagination, et ses rêves.
« Le rêve gouverne ma peinture. Le tableau doit être fécond. Il doit faire naître un monde. Pour moi une forme n’est jamais quelque chose d’abstrait ; elle est toujours le signe de quelque chose. C’est toujours un homme, un oiseau ou quelque chose d’autre. Pour moi, la peinture, ça n’est jamais la forme pour la forme»
Il se sent à l’aise dans le monde de l’imaginaire et de l’onirisme.
Joan Miró change les codes
Après un séjour aux Etats-Unis en 1947 où il travaille sur une commande d’une peinture murale pour un restaurant de Cincinnati, Miró change les codes. Ces œuvres reposent alors sur des points, des cercles pour représenter les yeux, des croix pour les astres, des signes verticaux et horizontaux pour les oiseaux sans doute parce qu’ils incarnent la liberté…
«La beauté est ce qu’il y a de plus difficile à définir. On n’est pas réceptif aux mêmes choses, on n’éprouve pas les mêmes émotions.»
L’artiste va influencer l’art du XXe siècle par ses innovations, sa technique particulière, et par son langage simplifié qui est reconnaissable d’un seul coup d’œil. Un univers poétique se dégage aussi de ses œuvres. Miró n’a jamais vraiment été attaché à un mouvement artistique.
Une belle analyse des œuvres du peintre dans cette vidéo :
Le Carnaval d’Arlequin 1924
Miró a exécuté ce tableau alors qu’il était en difficulté économique, à cette époque il mange tellement peu qu’il dit souffrir « d’hallucinations« .
Un arlequin à grandes moustaches et un automate qui joue de la guitare en sont les personnages principaux. D’autres personnages, en désordres, composent ce tableau, tel un oiseau aux ailes bleues qui sort d’un œuf, un couple de chats qui jouent avec une pelote, un insecte qui sort d’un dé ou une échelle avec une grande oreille. Dans cette œuvre les proportions des protagonistes ne sont pas respectées, pour Miró « un brin d’herbe a plus d’importance qu’un arbre…»
Le tableau a recueilli les faveurs du public et des critiques et est considéré comme l’une des meilleures toiles de l’artiste.
Silence 17 mai 1968
Signes et formes se lient pour dénoncer une création énergique. Ici les lettres sont exécutées au pochoir. Une résonance phonétique s’exprime avec la lettre O en répétition avec des cercles noirs, et la multiplication de la lettre E. Une invitation à la contemplation pour cette toile où se côtoie des formes pleines et vides.
Joan Miró et la Catalogne
Un problème de santé le conduit à passer une année en Catalogne. Il découvre les montagnes rouges, les vastes champs, les couchés de soleil.
« Mont-roig est le choc préliminaire où je reviens toujours » écrit-il.
Il retourne régulièrement dans cette ferme familiale entourée de palmiers et d’amandiers. Cette nature luxuriante est pour le peintre une importante source d’inspiration.
La Ferme 1922 de Joan Miró
Au centre, un arbre au feuillage soigneusement dessiné. Les deux corps de ferme font office de tableau.
Une attention toute particulièrement est apportée aux détails, entre iconographie et fantaisies ornementales. Cette représentation est un aboutissement de la première période pour Joan Miró, elle est la base et la clé de toute son œuvre.
Le tableau est d’abord exposé dans un café du quartier Montparnasse et ensuite acquit par Ernest Hemingway.
La Terre Labourée 1924
Une juxtaposition surréaliste de formes humaines, végétales et animales ; les éléments sont schématisés. Ils nous démontrent l’intensité de l’imagination et des rêves de Miró.
Le peintre a voulu exprimer une conception idyllique de sa patrie en ignorant « les méfaits de l’humanité »
Il y a aussi une représentation politique dans ce tableau ; la présence des drapeaux fait référence au désir de la Catalogne de se séparer du gouvernement espagnol.
Tête de paysan catalan 1925
Un paysan catalan réduit à la forme la plus élémentaire. Le bonnet, la barbe, les formes flottent dans l’espace. Ce tableau nous plonge dans la sphère onirique de l’artiste.
Ceci est la couleur de mes rêves 1925
Ce tableau est le premier d’une grande série qui se prolongera jusqu’en 1928, ce sont les peintures poèmes. Tableau minimaliste. La couleur bleu azur représente ses rêves. On ne comprend pas bien ce que veut dire le mot « photo », peint soigneusement, sans doute une relation avec le temps, il nous renvoie à l’instantanéité du rêve. Le dépouillement de ce tableau laisse la place à toute sorte d’interprétation. Ce qui compte pour l’artiste c’est atteindre le maximum d’intensité avec le minimum de moyen.
Joan Miró au-delà de la peinture
Les gravures et lithographies tiennent une place importante dans l’œuvre de Miró ; ce fut pour lui un champ d’expérimentation où il peut utiliser de multiples outils :
«Penser que le champ de possibilités qu’offre la gravure est aussi large que celui de la peinture…Penser au choc magique qui s’établit lors du contact de l’outil avec le métal, et toujours partir de cette étincelle divine…»
L’œuvre de Miró est une quête insatiable de formes, et de mondes nouveaux animés par ses rêves. Pour l’artiste, c’est partir du réel pour voir le merveilleux, et pour atteindre l’onirisme.
Les deux lithographies ci-dessous sont un mélange de fantastique et d’onirisme ; à nous d’en extraire le réel et l’imaginaire…
Le chef d’orchestre 1974
Inceste au Sahara 1975
«J’essaie d’appliquer des couleurs comme des mots qui façonnent des poèmes, comme des notes qui façonnent de la musique» écrit Joan Miró.
Nic Blanchard-Thibault
A lire aussi : Marc Chagall et son monde onirique.