John Raby signe le premier livre en français sur le quatuor new-yorkais : déjà indispensable !
Pour beaucoup, ça a commencé pendant l’hiver 77 / 78 avec une ligne de basse obsédante dans la radio. La rythmique de la batterie et des guitares oscillaient côté funk ou côté rock. Puis il y avait ce chant, entre normalité et déraillement, étranglement même. Soudain, le chanteur racontait en français dans le texte qu’il se lançait vers la gloire. Le final surprenait tout le monde par ses triturations de cordes entourées de larsens. Et surtout ce refrain, avec ses Fa-fa-fa-fa, rappelant les Kinks ou Otis Redding, précédés de cette accroche devenue légendaire : « Psycho Killer, Qu’est-ce que c’est ? » Ça résumait bien notre étonnement : Mais qu’est-ce que c’était ? les Talking Heads !
Talking Heads – Psycho Killer Live At The Old Grey Whistle Test (1978)
Le premier album, à la pochette rouge portait bien son nom : 77. Les quatre New-Yorkais incarnaient parfaitement ce changement dans les temps comme l’avait chanté Dylan, et bien sûr dans la musique. Du Punk, tels les collègues du CBGB ? Non, c’était pas vraiment le genre de la maison, avec le look d’étudiants des 4. De la Nouvelle Vague alors, tels les cinéastes des sixties, français encore. Oui, les Talking Heads, c’était la New Wave en devenir. Ils avaient même UNE bassiste, Tina Weymouth, avec un sacré son et une présence affirmée sur disque et sur scène. Pas une potiche la Tina ! Les temps changeaient… Son p’tit ami, c’était le batteur, Chris Frantz. Le guitariste et clavier se nommait Jerry Harrison. Un ex Modern Lovers, déjà un signe. Quant au grand dégingandé qui chantait et grattouillait également, c’était David Byrne. On a beaucoup raconté sur la voix inédite de Byrne, négligeant parfois son jeu de guitare inventif, complémentaire de celui de Frantz. Leurs rythmiques cocottes et leurs sonorités privilégiant une ligne claire – souvent sans distorsion – marquaient aussi les oreilles.
I’m Not In Love – More Songs About Buildings And Food (1978)
Puis ce fut la rencontre avec l’iconoclaste non musicien et producteur Brian Eno. Il leur ouvrit les portes du studio comme celles d’un laboratoire, où l’on pouvait s’amuser avec les potards et les boutons, à la grande joie de Byrne et compagnie. Ainsi, l’ex Roxy Music leur a apporté la distinction sonore qu’il leur manquait encore sur leur recueil 77. Il suffisait d’écouter les trois albums en commun, mêlant funk, disco, rock new wave, expérimentations, World Music, trois étapes vers le sommet artistique : More Songs About Buildings And Food en 1978, Fear Of Music en 1979, et le chef-d’œuvre Remain In Light en 1980.
Lequel a failli entraîner leur perte, suite aux dissensions entre Byrne, Eno, et le couple Weymouth / Frantz, pour cause d’égotisme de certains (L’on se souvient de l’interview Moi je du duo Byrne / Eno dans le défunt magazine Actuel…) et de mauvais partages des droits d’auteurs. Un comble pour une réussite qui se voulait collaborative, alors que la tournée parallèle en collectif élargi était triomphale et mémorable. Heureusement, la suite fut plus positive même si artistiquement, tout ou presque, avait été inventé…
Born Under Punches – Remain In Light (1980)
A l’instar des Talking Heads, John Raby ne fait pas dans le demi-mesure. Après un livre empirique sur Frank Zappa (Chez Le mot et le reste également), son nouvel ouvrage affiche d’emblée 560 pages ! De quoi assouvir la soif et la faim des accros aux têtes parlantes. L’auteur a construit son enquête en trois parties : d’abord des informations biographiques et les débuts de l’équipe, puis une analyse critique des albums de 1977 à 1988 plus quelques disques solo parallèles, dont le transgressif LP homonyme de Tom Tom Club, et enfin, une sorte de journal de bord des musiciens depuis 1988 et leur séparation.
Road To Nowhere – Little Creatures (1985)
John Raby s’avère aussi une tête écrivante, glissant une somme impressionnante de témoignages, de renseignements et de références parfois conceptuelles. De plus, il dissèque méticuleusement les titres du quatuor, leur contexte créatif, leurs textes, leur impact, de même que leurs correspondances visuelles – pochettes, clips -. Les maniaques des Talking Heads apprécieront notamment les coulisses des recherches soniques avec Brian Eno. Une mention particulière pour l’étude de l’apport des musiciens et artistes extérieurs à partir du tournant Remain In Light, entre autres la chanteuse Nona Hendryx ou le génial guitariste Adrian Belew… Il n’y avait pas encore de livre en français sur les Talking Heads. John Raby coche la case avec maestria !
Talking Heads – Cities Live at Dortmund (1980)
Bruno Polaroïd / Illustration par POUP
TALKING HEADS par John Raby – Le mot et le reste – 560 pages – 32,00 € – Paru le 24 Janvier 2025