Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me, le triple baiser envoûtant de The Cure

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Derrière les tubes, un album sous-estimé

En 1987, surfant encore sur le succès de l’album précédent, The Cure publie Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me. Un opus transitoire entre la pop assumée de The Head on the Door, et le gothique psychédélique de Disintegration.

 

Mais pas uniquement. Il constitue une porte ouverte sur un nouveau monde intérieur exploré par Robert Smith. Son temple de l’amour. Un lieu couvert de sable rouge où les atmosphères sont riches et nombreuses. Des titres sombres et vertigineux, auxquels succèdent des tubes 80’s enjoués, gorgés de désir et de sensualité.

Kiss Me

L’imagerie SF et les musiques ethniques de la décennie sont venues nourrir le cerveau bouillonnant du compositeur échevelé, jamais embarrassé par le mélange de genre. D’ailleurs, lorsque Robert Smith est aux manettes, le voyage est presque toujours fascinant…

The Cure – The Kiss

Il est plutôt amusant de constater que Robert Smith, perçu comme un personnage moribond, borderline, et fataliste, puisse se montrer si habile pour structurer et équilibrer ses œuvres. Ses ballades, et la majorité des singles du groupe démontrent bien son aisance quand il s’agit de ciseler un titre ensoleillé destiné au grand public.

The Cure – Catch

Un clip tourné dans une villa niçoise. Et pour cause. C’est dans le sud de la France, à Correns (Var), dans les fameux studios du Château de Miraval, que The Cure donne naissance à son septième opus.

Souvent décrié, Kiss me, Kiss Me, Kiss Me est un album riche. Et s’il met en exergue la difficulté que connaît Robert Smith à choisir entre pop, rock, soul et expérimental, il a néanmoins le mérite de ne pas tout mélanger dans une bouillie informe. Les tubes taillés pour les ondes d’un côté, et les titres aventureux, sombres et hantés de l’autre. Ces derniers, dotés d’un riff viscéral ou hypnotique, témoignent à travers des sonorités synthétiques et orientales, d’un enrichissement du son Cure.

The Cure – If Only Tonight We Could Sleep

Comme tout grand album, Kiss Me sait emmener l’auditeur au-delà de ses attentes. Par instant, il embrasse le ciel et se pâme dans une onde baignée de sexualité sauvage. Puis soudain, il tombe en chute libre dans un gouffre obscur et terrifiant, métaphore étrange d’un corps ardent, avant de s’en extirper par des labyrinthes souterrains conduisant au cœur rougeoyant de cette étrange planète.

Un voyage charnel, des sensations fortes, et des montagnes russes d’émotions. Attention, c’est Robert Smith le pilote, alors on attache sa ceinture, on se laisse porter, et on ne regarde surtout pas en bas…

The Cure – All I Want

Les sonorités synthétiques sont encore bien présentes, mais on sent depuis deux ans chez Robert Smith, une volonté de faire sonner les cordes dans un optimisme majestueux. Dans son univers au décor changeant, violons et guitares folk semblent célébrer la douceur des sens…

The Cure – How Beautiful You Are

Si Robert Smith ira bientôt puiser dans ses angoisses un nouvel album cryptique, Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me constitue une œuvre assez unique, dans laquelle des titres simples et optimistes, et même cuivrés, parviennent à cohabiter avec des plages obscures et désespérées. Entre audace et mauvais goût, la frontière est parfois mince.

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Heureusement, Robert Smith ne pêche ni par orgueil, ni par snobisme. Il prend parfois son public à contre pied, sans pour autant en faire sa marque de fabrique, et n’hésite pas à faire dans la soul bien groovy, si l’envie le démange. Comme avec le rock minimaliste de ses débuts, ou la new wave de Japanese Whispers, sa démarche est sincère. Le résultat est donc authentique, et même brillant.

The Cure – Hot Hot Hot !

A l’image de son prédécesseur, l’album Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me est porté par deux titres incontournables. Deux déclarations d’amour en bonne et due forme, inspirées par Mary Poole, future épouse de Robert Smith.

The Cure

Tube planétaire, la sérénade curiste Just Like Heaven peut faire sourire. Mais comment ne pas être touché par un titre d’une telle candeur. On croirait entendre un coup de foudre de la prime adolescence. Comme quoi, Robert Smith sait aussi chanter le bonheur et l’innocence.

Et si malgré tout, vous êtes encore réticents, laissez donc parler la nostalgie ! Souvenez-vous, quand en 1987, chaque samedi soir à 22H30, Michel Drucker clôturait Champs Elysées, et qu’après une courte page de publicité, le générique de l’émission Les Enfants du Rock résonnait dans votre poste de télévision…

The Cure – Just Like Heaven

Plus rock, le second titre inspiré par Mary Poole est une madeleine moins sucrée, mais tout aussi inspirée. Le désir de l’auteur le plonge dans une fascination vorace. Un titre libidineux et jubilatoire.

De plus, l’irrésistible tempo frénétique de Why Can’t I Be You rappelle qu’avec ses riffs obsédants et sa voix d’enfant alcoolisé, Robert Smith est avant tout un excellent rocker.

Why Can’t I Be You

Concernant le suivant, nul ne sait où Robert Smith est allé chercher cet instrumental méphitique et impérial. On croirait entendre un final façon Gainsbourg sur Histoire de Melody Nelson. Un thème hypnotique à la lisière de l’acid rock et du classique symphonique.

Like Cockatoos

The Cure aurait pu en faire sa conclusion, mais on le sait, les grands artistes sont toujours là où on les attend le moins. Pour clôturer ce septième album, plutôt que de finir avec un titre spatial au rythme progressif, ils optent pour un titre sombre et combatif. Sur cette piste, Robert Smith ayant puisé une certaine énergie dans la réussite, est en proie à de nombreuses désillusions. Il jette ses dernières forces vives dans la bataille…

Fight

En effet, la démarche du compositeur s’accompagne très mal de cette célébrité inattendue. Si la musique de The Cure avait su trouver son public dès le premier album, rien ne les prédisposait à devenir des stars de la pop. Porté par ses trois tubes, ce nouvel opus est couronné de succès, et The Cure élargit encore son public. Pas vraiment la reconnaissance espérée par l’esprit tortueux de Robert Smith. Ce dernier déménage dans l’ouest de Londres et entame une longue immersion dans sa crypte intérieure. Un mal pour un bien, puisque deux ans plus tard, il en résultera l’album Disintegration.

Composé de 18 titres, Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me n’est peut-être pas le “Thriller” ou le “Electric Ladyland” de The Cure. Tous les titres ne sont pas du même niveau. Néanmoins, ses arrangements sophistiqués et ses mélodies subtiles servent un album dont dix titres (au moins) parviennent à créer une atmosphère singulière, jubilatoire, ou planante. Quand une formation se montre si créative, mieux vaut ne pas s’obstiner dans une quête de perfection, et apprécier le voyage qu’elle nous propose.

Serge Debono

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