House of the Rising Sun, chronologie d’une célèbre complainte

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Fauter par amour, c’est l’essence du rock’n’roll…

Le titre House of the Rising Sun pourrait bien être le plus représentatif de la musique populaire du 20ème siècle. Généralement associé au groupe The Animals, dont la version reste la plus célèbre, sa création remonte bien plus loin que les années 60. Son origine reste floue, et son mystère entier.

House of the Rising Sun

Certains prétendent qu’il est né en Angleterre, au XVIème, ou au XVIIème siècle. D’autres avancent qu’il vient de France, et ont établi un lien hasardeux entre le roi soleil (Louis XIV) et le fameux Rising Sun (soleil levant) de la chanson. Pour finir de brouiller les pistes, dans la digne tradition du folk US, ce titre est passé de main en main, d’un artiste à l’autre, et a subi de très nombreuses modifications. Quoi qu’il en soit, ayant connu ses premiers enregistrements aux USA, House of The Rising Sun est considéré comme faisant partie du répertoire traditionnel américain.

Cette histoire de repentis se déroulant à la Nouvelle Orléans, était semble-t-il connue des mineurs, au début du 20ème siècle. En 1925, Robert Winslow Gordon, auteur et chroniqueur, est le premier à en publier les paroles dans un journal.

“There is a house in New Orleans, it’s called the Rising Sun
Il y a une maison à la Nouvelle Orléans, elle s’appelle le Rising Sun 
It’s been the ruin of many a poor girl
Elle fut la ruine de bien des pauvres filles
Great God, and I for one”
Grand Dieu, à commencer par moi

On remarque que les paroles font allusion à une maison close, et au destin malheureux de “pauvres filles”. Le texte évoque l’histoire d’une jeune fille séduite par un proxénète. Seulement, le premier enregistrement connu, effectué en 1928 et publié cinq ans plus tard sous le titre Rising Sun Blues, évoque plutôt de “pauvres garçons” ayant mal tourné pour l’amour d’une jeune fille. Néanmoins, la structure et la mélodie sont déjà en place. Petite précision : Tom Clarence Ashley disait la tenir de son grand-père, et qu’elle était fréquemment jouée lors des medecine shows (spectacles sudistes itinérants).

Tom Clarence Ashley & Gwen Foster – House of the Rising Sun (1933)

Si “le soleil levant”(rising sun) était une représentation figurant souvent à l’entrée des maisons closes de Louisiane, il faut noter que ce symbole était aussi celui choisi par l’ordre des Ursulines, dont les couvents servaient souvent d’hospices.

En 1937, Alan Lomax, folkloriste et archiviste du folk américain, enregistre une version acapella avec la jeune Georgia Turner. Roy Acuff, alors roi de la country, publie la sienne, l’année suivante. Amputé d’un couplet, en récoltant un nouveau, le texte ne cesse d’être modifié. Tantôt il met en garde les parents contre la délinquance et les maisons de jeu conduisant leur fils en prison, tantôt il leur conseille de ne pas laisser traîner leur fille, sous peine de la voir finir dans une maison de passe.

En 1941, le folk-singer militant Woody Guthrie, père spirituel de Bob Dylan, délivre à son tour sa complainte. Son ami Pete Seeger en fera de même à la fin des années 50.

Woody Guthrie – House of the Rising Sun (1941)

Durant les années 40, le titre se rapproche de son futur parrain rock, par le biais du légendaire Leadbelly. Ce maître de l’accordéon et de la guitare douze-cordes, enregistre deux versions de House of The Rising Sun. La seconde aura un impact considérable sur ses héritiers…

Leadbelly – House of the Rising Sun (1948)

Les années 50 voient les folkeux supplanter les artistes country. Glenn Yarbrough en livre une version bouleversante, et assez mystérieuse, qui va aiguiller quelques cadors des sixties…

Glenn Yarbrough – House of the Rising Sun (1957)

Celle de Donnie Lonegan contient sans doute le ferment de ce qui va bientôt advenir de ce titre traditionnel. Même si elle résonne encore comme une fascinante complainte de cow boy…

Donnie Lonegan – House of the Rising Sun (1959)

Sur son premier album, Joan Baez s’inspire des arrangements de Glenn Yarbrough, et publie une magnifique version. Dans la lignée des folk songs sur l’errance et la solitude.

Joan Baez – House of the Rising Sun (1960)

La même année, deux figures militantes l’intègrent à leur répertoire. La chanteuse sud-africaine Miriam Makeba, et l’américaine Odetta, interprète multi-genres, surnommée “La Voix du Mouvement pour les Droits Civiques”.

Pendant ce temps, Bob Dylan décide d’en faire un atout pour son premier album. La rythmique, assez similaire à la version ultime des Animals, n’est pas une création du Pape de Greenwich Village. Ce petit filou l’aurait dérobé au chanteur Dave Van Ronk, avec qui il était ami et avait l’habitude de jouer.

Bob Dylan – House of the Rising Sun (1961)

La mélodie semble alors globalement établie. Mais Nina Simone n’aime pas suivre la voie tracée par les autres, et préfère emprunter son propre chemin. Sur le rythme syncopé d’une guitare pincée, la reine délivre en concert une interprétation sobre, à la mélodie jazzy, et délicieusement mélancolique.

Nina Simone – House of the Rising Sun (1962)

Et si je vous disais qu’en France, une artiste l’a chanté avant Johnny Hallyday. Mieux, c’était dans la langue de Shakespeare, et avant The Animals ! Passée inaperçue, la version de Marie Laforêt, sans doute inspirée de celle de Joan Baez, est la première interprétée, et enregistrée dans l’hexagone. Marie a eu du nez… qu’elle a fort joli d’ailleurs.

Marie Laforêt – House of the Rising Sun (1963)

J’évoquais les ballades de cow boy avec Donnie Lonegan. En voici une version totalement rurale. Ramblin Jack Elliott est un country-man pur jus. Sans slide, ni orchestre, il emmène le titre à dos de cheval, et lui fait parcourir les prairies de l’ouest.

Jack Elliott – House of the Rising Sun (1964)

J’en arrive à la célèbre version des Animals. Eric Burdon dit avoir entendu cet air dans un bar de Newcastle, et le guitariste Hilton Valentine avoir puisé son arpège dans l’adaptation de Bob Dylan. Leur producteur, Mickie Most, orfèvre des manettes, hésitant au départ, consent à l’enregistrer. Jusqu’ici, le groupe avait pour habitude de la jouer en clôture des premières parties de Chuck Berry qu’ils effectuaient. Et ce, dans le but de se démarquer des autres groupes terminant régulièrement par un rock endiablé.

En 1964, avec ce titre The Animals font une entrée fracassante dans les charts anglais et américain, et voient leur carrière décoller. Même si, quelques années plus tard, le titre sera à l’origine de leur séparation, les droits d’auteur sur les arrangements étant uniquement perçus par le claviériste Alan Price.

La partie d’orgue hammond exécutée  sur un Vox Continental contribue grandement au charme du titre. Tout autant que le chant prodigieux d’Eric Burdon, et l’arpège obsédant de Valentine. House of the Rising Sun version Animals, standard parmi les standards, est souvent considéré comme le premier tube folk-rock.

The Animals – House of the Rising Sun (1964)

A partir de ce moment, c’est la déferlante. Même la Motown en pince pour House of The Rising Sun. Son directeur et fondateur, Berry Gordy, a pourtant tendance à privilégier les titres résolument positifs. Il confie son interprétation à son fleuron. Le trio vocal des Supremes

The Supremes – House of the Rising Sun (1964)

Durant l’année 1964, dans le sillage des Animals, on compte une kyrielle d’adaptations dans la langue de chaque pays. En serbo-croate, en finnois, ou en espagnol, comme pour ce groupe argentin…

Sandro y Los de Fuego – House of the Rising Sun (1964)

Celle-ci, performée par Johnny Hallyday, est connue de tous en France. Elle est signée par Hugues Auffray et le duo d’auteures Vline Buggy.

Johnny Hallyday – Le Pénitencier (1964)

En ce milieu des années 60, ce titre hybride ne pouvait échapper à des reprises rock. Après Bobby Fuller et Duane Eddy, c’est Billy Lee Riley qui vient secouer les traditions.

Billy Lee Riley – House of the Rising Sun (1966)

En 1967, les délicieuses voix des Everly Brothers en livrent une version passionnée, dotée d’un orgue orgasmique. Une petite merveille…

The Everly Brothers – House of the Rising Sun (1967)

Si House of the Rising Sun a contribué à de nombreux succès nationaux, seuls The Animals et Frijid Pink ont connu l’engouement planétaire. Les seconds, groupe rock-psyché de Détroit, affolent les charts au début de la décennie seventies.

Frijid Pink – House of the Rising Sun (1969)

Je suis peut-être sensible à la langue niponne, mais il y a selon moi, une beauté presque onirique dans cette version épurée et noyée d’écho. Voix et guitare espagnole se succèdent sans jamais se chevaucher, pour une interprétation délicieusement intrigante. Une reprise exhumée par le cinéaste Wim Wenders pour son film Perfect Days (2023).

Asakawa Maki – House of the Rising Sun (1972)

Durant les seventies, le rock à tendance hard s’intéresse également au morceau. Le groupe Geordie, dans lequel on retrouve Brian Johnson, future voix d’AC/DC, ajoute puissance et solo de guitare, à une œuvre qui ne dépérit pas…

Geordie (1974)

En 1976, toutes ces versions donnent envie à Eric Burdon de reprendre le flambeau. Sa première interprétation est si parfaite que l’entreprise semble risquée. D’autant que durant ces années 70, le natif de Newcastle sombre doucement dans l’alcool. Mais épaulée par une guitare bluesy et une intro Hendrixienne, le chanteur sort ses tripes, une nouvelle fois. Pour une interprétation avinée et à vif, au bord de la rupture. Du sublime Burdon, en somme…

Eric Burdon (1976)

Que ce soit au sein du groupe Aphrodite’s Child ou en solo, Demis Roussos n’a jamais manqué de créativité. Durant les 80’s, il est l’un des rares à reprendre House of The Rising Sun. Mélodie et texte inchangés. Un genre de prog rock noyé dans un déluge de synthétiseurs, façon Vangelis. Etonnant…

Demis Roussos (1981)

En 1998, Public Enemy publie son sixième opus, constituant la bande originale du nouveau film de Spike Lee, He Got Game. On y trouve notamment cette composition originale et percutante. Seul le titre est emprunté au standard (House of the Rising Son ! ), mais l’hommage est de qualité…

Public Enemy – House of the Rising Son (1998)

Les histoires de marginaux et de hors-la-loi ont toujours fait la force du rock’n’roll. Naviguant entre deux eaux, Johnny Cash avait trouvé chez les exclus ou les prisonniers, une source d’inspiration. Il est d’ailleurs étonnant qu’il n’ait jamais songé à reprendre cette histoire d’impossible rédemption. Son timbre de cavalier solitaire en aurait sans doute fait une ballade somptueuse. Heureusement, un fan s’en est chargé. Il se nomme David Radcliffe, et a décidé d’évoluer dans le spectre de son idole…

Ghost of Johnny Cash (2021)

J’arrête ici cette sélection non exhaustive. On compte plus de 300 versions repertoriées à ce jour. En effet, il semblerait que House of The Rising Sun continue de propager sa légende maudite à travers les âges. Si l’histoire d’un repenti sait toucher les cœurs, que dire du voyou (ou de la prostituée) ayant fauté par amour ? Sortir du droit chemin par passion, c’est l’essence même du rock’n’roll.

Serge Debono

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