Les 4 de Düsseldorf
Éric Deshayes raconte et analyse l’histoire de ces pionniers de la Musique Électronique.
A la fin des années 60 et au début des années 70, des formations apparaissent un peu partout en Allemagne de l’Ouest. Influencés entre autres par Pink Floyd, le Velvet Underground, le Free Jazz, Stockhausen, Terry Riley ou les musiques ethniques, la plupart de ces groupes cherchent à se démarquer du Rock anglo-saxon traditionnel. Citons entre autres Amon Düül II, Can, Faust, Ash Ra Tempel, Popol Vuh, Cluster, Neu!… Très vite, certains utilisent des synthétiseurs, instruments encore mystérieux à l’époque, difficilement contrôlables et souvent de la taille d’une armoire bavaroise. La presse évoque la Kosmische Musik ou le Krautrock, le Rock choucroute ! Parmi ces artistes se distinguant par un primat de l’électronique se trouvent le wagnérien Klaus Schulze, les cosmiques Tangerine Dream et enfin Kraftwerk, la “centrale électrique” de Düsseldorf.
Au départ en 1968, un duo – Organisation – avec deux amis étudiants au Conservatoire, Ralf Hütter / instruments puis chant et Florian Schneider / idem, le projet devient Kraftwerk en 70. Il s’élargit à un quatuor avec l’arrivée de deux percussionnistes Wolfgang Flür en 1973 puis Karl Bartos en 1975. Contrairement à Schulze ou Edgar Froese de Tangerine Dream qui ont une vision spatiale avec des titres longs et introspectifs, Hütter et Schneider privilégient une approche plus terre à terre, à la fois rythmique, mélodique et bruitiste, autant que réaliste et minimaliste. Leur musique reste néanmoins imprégnée d’un certain Romantisme européen, tout en ne manquant pas d’un sens de l’humour à froid.
Sur scène, Kraftwerk affiche encore sa différence en choisissant une scénographie dépouillée : néons, machines miniaturisées… Quant à leur aspect, les gars arborent rapidement des cheveux courts – on est loin des bouclettes à la mode – et des costumes de bureaucrates.
Kraftwerk – Radioactivity – Radio-Activity (1975)
A partir de leur 4e album, Autobahn (1974), conceptualisé en partie autour de l’univers de la route, et avec des lignes de chant pour la première fois, le quatuor cartonne chez les critiques et le public. Curieusement précise Éric Deshayes, ce virage – sic – deviendra le point de départ de leur discographie, les trois volumes antérieurs étant écartés de toute anthologie ou réédition.
Autobahn sera suivi d’une série de disques phares, mêlant courants esthétiques, notamment le rétro-futurisme, recherches artistiques et technologiques, tout en rencontrant parfois un réel succès commercial : Radio-Activity (1975), Trans-Europe Express (1977), The Man-Machine (1978), Computer World (1981), Electric Café (1986)… Ces chefs-d’œuvre auront une influence considérable et marqueront l’évolution de la Musique Électronique, l’imaginaire collectif et la culture contemporaine.
Computer Love – Computer World (1981)
Avec brio, Éric Deshayes raconte et analyse ces différentes étapes de l’histoire de Kraftwerk et leurs créations. Il évoque ainsi qu’en unissant sons, langages, images et concepts, la démarche du quatuor s’approche d’un art total, sublimé actuellement par ses performances en 3 D. L’ouvrage découpé en quatre parties – Das Konzept, Archéologie Sonore, La Production des Classiques et Rétro-Activity ! Live ! – foisonne d’informations, de références et d’introspections qui passionneront autant les fans des Hommes-Machines que les novices. Alors que Kraftwerk a perdu récemment l’un de ses fondateurs – Florian Schneider en Avril 2020 -, cette nouvelle édition du livre de Éric Deshayes chez Le mot et le reste rappelle combien ces pionniers et leur œuvre nous sont indispensables. Comme les autres 4…
Bruno Polaroïd
Kraftwerk par Éric Deshayes / Nouvelle édition – Le mot et le reste (Leur site) – 190 pages – 21,00 Euros
Parution le 19 Avril 2024