Une plongée dans le méconnu.
Avec son livre, Sylvain Rollet tente une exploration méticuleuse et introspective du chef-d’œuvre de Slint.
Il y a des disques qui sont comme des sous-marins, cachés dans les abysses, glissant dans les profondeurs, émergeant parfois par surprise. Ils exercent leur pouvoir dans les remous, secrètement. Le Spiderland de Slint en fait partie. Quand ce deuxième album paraît en Mars 1991 (le 27), chez le label Touch and Go, le groupe de Louisville / Kentucky n’existe plus, disloqué. Pour Brian McMahan(guitare, chant), David Pajo (guitare), Britt Walford (batterie), et Todd Brashear (basse), c’est peut-être émotionnellement le disque de trop.
Slint – Breadcrumb Trail – Spiderland (1991)
Avec ses rythmiques étranges, ses arpèges hypnotiques ou dissonants, ses piques d’intensité et son chant entre murmures et hurlements, Spiderland ouvre un nouveau territoire sonore, à la fois sombre et incandescent, surtout mystérieux. Bien sûr, à son écoute, l’on devine des broderies de Television ou des griffures de Sonic Youth. On s’y agrippe même à ces quelques fils, bien fragiles, tellement le propos s’affiche âpre, différent. Rappelons aussi que cet OSNI (Objet Sonore Non Identifié) des jeunes gars paraît AVANT la Nirvanamania (L’album Nevermind sort en Septembre 1991) et l’éclatement du Grunge.
Nosferatu Man
Touch and Go prévoit un pressage initial de 4000 disques. S’en vend-il plus à l’époque ? Les rares critiques oscillent entre enthousiasme – Steve Albini -, hésitations et déceptions. D’autant plus que le quatuor a disparu. Quelques médias indépendants – Radio Campus Lille par exemple – le diffusent, jouant leur rôle incertain de grains de sable. Malgré ce quasi silence et cette presque indifférence, Spiderland impressionne pourtant les collègues de la période. Citons Polly Jean Harvey – qui aurait d’ailleurs postulé pour rejoindre l’équipage -, Lou Barlow de Dinosaur Jr / Sebadoh… Et surtout les futurs acteurs de ce qu’on qualifie maintenant de Post Rock, tels les musiciens de Godspeed You! Black Emperor ou Mogwai. Depuis, Spiderland figure dans toutes les bonnes listes de LP incontournables et autres trésors cachés, mais son halo demeure toujours opaque.
Good Morning, Captain
Sylvain Rollet, lui aussi musicien – notamment dans le projet Silex –, a franchi la frontière en découvrant ce disque de Slint repiqué sur une cassette. Avec son premier livre dans la très belle collection Discogonie, il tente une exploration, méticuleuse et introspective de l’objet, délaissant la biographie pour la mécanique du submersible.
Ainsi, l’auteur décortique chacun de ces six titres, présentant les distorsions, les tritons, les coups de caisse claires, les paroles hermétiques, faisant œuvre à la fois de musicologue et de sémiologue : une plongée dans le méconnu.
La pochette elle-même, en noir et blanc, avec d’un côté ce cliché aquatique pris par l’ami Will Oldham (Vient de paraître également dans la même collection, Bonnie Prince Billy : I See A Darkness par Christophe Schenk.), et de l’autre, sa photo d’araignée, est longuement disséquée, conformément au beau rituel de Discogonie, mais là avec un zèle d’entomologiste.
Particulièrement dense, généreux et pointilleux – l’incroyable schéma de « Freaks » en bonus -, rédigé dans un style personnel, le livre de Sylvain Rollet comblera sans doute les initiés de Slint et étonnera les novices. Un pan de la toile est levé…
Slint : Spiderland de Sylvain Rollet / Collection Discogonie – Éditions Densité (Leur site) – 96 pages + dépliant – 12,00 Euros
Paru le 1r Septembre 2023
Réédition vinyle de Spiderland / Slint : Touch and Go, le 13 Octobre 2023
Bruno Polaroïd