Un album souriant, à l’image de son auteur
Jinx n’est pas le plus célèbre des albums de Rory Gallagher. Le guitariste irlandais a connu plusieurs périodes fastes. Si bien que certaines de ses œuvres se retrouvent parfois éclipsées par ses standards rock, ou encore ses concerts d’anthologie. Autant parler franchement, un mauvais album de Rory Gallagher, ça n’existe pas. Il n’empêche que Jinx rivalise avec les meilleurs…
Il arrive que la vie nous plonge dans le doute le plus profond, au point de chercher à revenir aux choses les plus simples. Dans ces moments-là, il est fortement conseillé de renouer avec le rock’n’roll le plus pur, et sa matrice blues. En d’autres mots, d’écouter Rory Gallagher.
Du blues et du rock’n’roll
1982, la New Wave déferle sur l’Angleterre, tandis que de l’autre côté de l’Atlantique, le rock américain se mue en Rock FM. On pourrait penser qu’ayant dépassé la trentaine et évoluant dans un climat favorisant une certaine sophistication, Rory Gallagher se laisserait tenter par la facilité avec quelques albums mainstream.
Non, l’homme reste fidèle à ses inspirations du moment. Avec son compère Gerry McAvoy (basse), et le batteur Brendan O’Neill, il délivre un nouvel opus au rock enflammé intitulé Jinx. En bluesman émérite, il choisit le train comme moyen de transport. Un train d’enfer, et à toit ouvert, alors accrochez-vous !
Rory Gallagher – Big Guns
Bluesman naturel, Rory Gallagher a toujours gardé l’esprit ouvert, et une oreille sur les oeuvres de ses homologues. Après avoir épousé la cause du psyché et du hard-rock, il a salué le passage de la tornade punk. Le guitar-héro irlandais est au fait des nouvelles tendances, mais quels que soient les courants qu’il traverse, Rory continue de faire du Rory. Verbe blues, candeur, guitare, et mélodie…
Rory Gallagher – Easy Come, Easy Go
Ce neuvième album studio offre quelques moments de répits de grande qualité. A l’image de cette étonnante ballade desperado virant doucement au blues teinté de soul. Rory le caméléon semble avoir chaussé les bottes de Carlos Santana… dans un film de Robert Rodriguez !
Rory Gallagher – Jinxed
Jinx contient aussi cette petite merveille de rock 80’s, où Rory brode des arabesques sur une rythmique obsédante…
Rory Gallagher – Loose Talk
L’album Jinx brille par sa chaleur, son énergie, et son authenticité. Pas évident d’échapper aux couches de laques en 1982. Bien que cherchant généralement à écourter le temps passé en studio (il lui préfère la scène), Rory se charge lui-même de la production. Il évite tous les pièges habituels, et livre une œuvre de blues-rock sans fioritures.
Rory Gallagher – Ride On Red, Ride On
Un opus sans un retour au delta-blues n’est pas un opus de Rory Gallagher. Cette reprise de Gerry West méritait d’être exhumée, même si elle ne figure que sur la réédition (2000). Rory lui insuffle la vie, et nous ramène à l’intersection du Mississippi et du Tennessee. A la croisée des chemins, là où la légende du blues prend sa source…
Rory Gallagher – Nothin’ But The Devil
Peut-être influencé par le retour en grâce de Roky Erickson (avec l’album Evil One), autre génie discret, il s’offre quelques plaisirs influencés par le rock sixties et le courant power pop. Comme le titre précédent, Lonely Mile et son riff addictif sont présents uniquement sur l’édition de Jinx publiée en 2000.
Lonely Mile
Quand on sait que Jinx signifie “mauvais sort” dans la langue de Shakespeare, on comprend que le guitar-hero opère un genre d’exorcisme salvateur. Loin d’être une malédiction, cet album baigné dans le blues, est également gonflé d’une énergie totalement rock’n’roll.
Le 18 juillet 1982 est une date historique pour tous les irlandais fans de rock. A cette époque, le journal local et indépendant Hot Press cherche un moyen de financer ses publications. Il décide de réunir sur l’hippodrome de Punchestown les artistes actuels les plus prestigieux du pays, et dont il ne cesse de vanter les mérites. Ainsi Rory Gallagher se retrouve en tête d’affiche. Le groupe U2, le folk-singer nord-irlandais Paul Brady, et les écossais de Simple Minds complètent la distribution.
Sur scène, lors de son set, Rory accueille Paul Brady, ainsi que Phil Lynott, bassiste et leader de Thin Lizzy, pour un moment d’anthologie. Deux fiertés irlandaises, deux monstres de l’histoire du rock, mais surtout, deux des personnalités les plus humbles et attachantes du show biz…
Rory Gallagher & Phil Lynott (Live at Punchestown – 1982)
De toute évidence, en cette année 1982, Rory Gallagher est en pleine forme. Le souci c’est qu’il n’est pas le genre d’artiste à se ménager. Chaque soir, sur scène, il donne le meilleur de lui, et même au-delà. Il déclare que c’est sa raison d’être, sa manière de témoigner du respect à son public. Usé par les tournées à répétition, le manque de sommeil, l’alcool, et les traitements visant à soigner sa phobie de l’avion, il décide de marquer une pause. La première de sa carrière…
Serge Debono