Retour en grâce
Après une décennie de silence discographique, l’album précédent datant de 2012, revoilà enfin dEUS, nos Anversois préférés, qui incarnent pour beaucoup le meilleur de la Belgitude rock depuis les années 90 (Voir leur saga, La Belgitude Rock : dEUS – 1re partie / 2e partie). Certes, on avait pu les côtoyer en concert lors de la tournée des 20 ans de l’excellentissime The Ideal Crash (1999 / 2019). Mais le répertoire restait le même, ce qui d’après Tom Barman, le chanteur / guitariste et leader du gang, les a motivés pour l’écriture de nouveaux morceaux. La crise du Covid et une profonde rupture sentimentale ont aussi imprégné ces dernières créations.
Sont présents au générique de ce cru 2023, le noyau dur constitué de Tom et du second vétéran Klaas Janzoons, violon / claviers / chœurs, puis le bassiste / choriste Alan Gevaert et Stephane Misseghers, batteur / choriste également. Mine de rien, c’est la formation la plus stable du gang effervescent depuis 2005, hormis pour le poste de guitariste soliste, troublé cette fois par les alternances de Bruno De Groote et Mauro Pawlowski. Le chanteur le précise, c’est le Bruno qui assure « nonante pour cent » des guitares de l’album. Quant à la production, on retrouve Adam Noble, l’ombre des deux œuvres précédentes aux manettes.
Dans un esprit arty, les cinq ont toujours soigné l’allure de leurs productions, souvent par des illustrations cryptées. Cette fois, ils ont choisi un design sobre de Gilad Kaufman, inspirée d’une photo de Barman : une dominante de blanc crème à l’extérieur et de noir à l’intérieur, avec un dessin de personnage dans l’angle qui semble tirer un objet mystérieux, le disque lui-même ? 12 titres se présentent au programme.
ÉCLECTISME LÉGENDAIRE
Des timbales obsessionnelles envahissent l’espace pour le premier titre éponyme, vite suivies par la voix reconnaissable de Barman – tel un J.J. Cale indé – et le chœur des gars. Cordes, claviers, percus, saccades de guitares annotent le thème vers une montée typique où s’écorchent fuzz et trompette. Le chanteur voulait une ouverture épique : une réussite !
dEUS – How To Replace It – Idem (2023)
Must Have Been New était le premier extrait annonçant le LP. Ses arrangements en dents de scie et sa chorale féminine renvoient à certains thèmes de Pocket Revolution (2005). La troisième plage, Man Of The House, titille par son faux départ avec clavecin– les intros sont souvent décalées chez dEUS – puis ses nappes de synthé lourdes et agressives. Le groupe souhaitait d’ailleurs une certaine rugosité du son, proche du live.
Man Of The House
Aux apparences plus légères, 1989 évoque les 17 ans de Barman, une fin d’adolescence tout en contrastes et frappée par le deuil du père. Avec sa tessiture de voix grave à la Leonard Cohen, les réponses sensuelles de la chanteuse / bassiste Lies Lorquet (Ex Mintzkov) sur un tempo années 80, c’est un titre vraiment accrocheur et révélateur de l’éclectisme légendaire des Anversois.
1989
Le classieux Faux Bamboo, un titre de Klaas Janzoons, et plus loin Pirates illustrent le registre plus mélodique des Belges mais toujours pimenté de pièges et d’attrapes, à l’instar de la montée d’intensité bruitiste du second.
Pirates
Le parlando de Barman a toujours été une autre constante chez dEUS, depuis Worst Case Scenario, leur premier opus (1994) et plus récemment dans la paire Keep You Close / Following Sea (2011 / 2012). Il émaille ainsi les morceaux Dream Is A Giver, Simple Pleasures et Why Think It Over (Cadillac), flottant sur des cadences mi electro mi funky où excelle le duo rythmique Gevaert / Misseghers.
Simple Pleasures
Never Get You High interpelle tout de suite l’oreille avec son racolage de choristes et son gimmick de guitare distordue. Puisqu’on parle six cordes, on peut quand même regretter l’absence dans cette collection inédite de brûlots incandescents à la For The Roses, Bad Timing ou Sun Ra.
Never Get You High
Belle surprise, le quintet renoue avec le piano pour la magnifique ballade au titre plus qu’explicite, Love Breaks Down. Comme à l’époque de In A Bar, Under The Sea, (1996), Tom Barman y atteint un rare niveau d’émotion dans son interprétation. Une grisaille mélancolique magnifiée par le vernis sobre et majestueux d’Adam Noble.
Love Breaks Down
Pour conclure, le chanteur décide de raconter une rencontre amoureuse avec une éloquence à la Française, rappelant le fameux Quatre Mains. Pour ce Blues Polaire, il alterne talk over gainsbourien et chant, encore accompagné de Lies Lorquet alors que le groupe déroule sur plus de six minutes une suite musicale ambitieuse, jusqu’à un climax mystérieux fermant ce recueil. Un véritable retour en grâce.
Le Blues Polaire
dEUS : How To Replace It / Pias (CD et double vinyle gatefold)
paru le 17 Février 2023
Bruno Polaroïd