Chris Bailey est mort : we are stranded !
Chris Bailey, chanteur, compositeur et guitariste des légendaires Saints de Brisbane est décédé ce 9 avril 2022. This was not a Perfect day… Ce groupe fondé en 1973 avec des potes d’enfance : Ivor Hay aux fûts, and Ed Kuepper à la guitare, démarre sur les braises naissantes du Punk. Ils font sans doute partie des précurseurs du genre. Lorsqu’il arrivent à Londres en 1977, on les regarde un peu de haut. Clair qu’ils n’avaient pas un look de Punk, mais bon sang, ils avaient un putain de Son !
« (I’m) Stranded » est le single punk par essence :
Vocal teigneux et acide de Chris Bailey, guitares rageuses tronçonnant la mélodie façon scie circulaire, accompagnées par une rythmique solide et bouillonnante.
Chris Bailey n’a jamais cessé d’être lui-même, artiste et poète vagabond. Hormis les impromptus succès de la première heure (période I’m Stranded – 1977, et Eternally Yours – 1978), Chris Bailey, en groupe ou en solo n’a jamais connu la reconnaissance méritée. Une voix déchirante, un songwriter inspiré et une obstination à être ce qu’il voulait être, n’ont suffit à faire décoller les ventes de disques.
Qu’importe, Chris a continué sa vie de musicien. Inlassable, il parcourt les scènes partout où l’on veut bien l’accueillir, et notamment en France. Un pays avec qui, via le label New Rose entre autres, il entretient des rapports hautement amicaux. Chris Bailey n’était pas une star, mais un personnage mythique pour nombre d’entre nous.
Lire les commentaires sur les réseaux sociaux à l’annonce de sa mort fut à ce titre instructif.
Rémi raconte :
“Tournée Monkey Puzzle 1981, j’ai 14 ans et c’est un de mes premiers concerts … qui me fait définitivement tomber dans la marmite bouillonnante du rock’n’roll ! Merci Chris Bailey pour ça et le reste !”
Willy se souvient :
« Découvert grâce à Freddy Hausser, le passeur, dans son émission Juke Box special punk sur Antenne 2. Ces australiens bien rock’n’roll et leur chanteur charismatique Chris Bailey avec le single I’m Stranded balayaient un bon paquet de groupes punk qui n’ont que le look mais pas ce don pour composer des instants classiques de cette trempe!
Rock in peace ,Chris Bailey. Serious jamming in the Upper Room! »
Indubitablement, les Saints de la période post seventies ont marqué les esprits.
Michel, photo de son ticket d’entrée à l’appui, nous raconte ce souvenir poignant.
The Saints à Ugine – Concert de 1981, Michel n’a rien oublié !
« On a fait passer les Saints à Ugine en 81 et comme on organisait le concert, on a pu passer de longues heures avec Chris et ses Saints. Complètement saoul avant, pendant, et après le concert, ça l’a pas empêché d’assurer le job et de nous livrer ce soir-là un concert mémorable. Rarement vu la salle des fêtes à ce point chaud-bouillant. Ils ont dû finir avec pas moins de 4 ou 5 rappels : la folie dans notre cité sidérurgique !
Après un after « pas pour les mickeys », Chris a passé la nuit du Vendredi allongé sur un banc de la place du chef-lieu (entre la mairie et le Bar Le Perroquet) et rattaqué plein-pot au blanc de Savoie (Chignin Bergeron) dès l’ouverture de l’estaminet. Nonobstant une consommation d’alcool également torride, et époustouflante au point d’en ahurir les habitués des zincs Uginois, Chris est toujours resté de très très charmante compagnie. Un homme d’exception dont la disparition a fortement attristé la raya de notre cité ouvrière. »
Inutile de rester consensuellement mièvre, l’artiste était largement porté sur la bouteille. Mais une addiction façon… gentleman. Des paroles en l’air penseront certains? Que nenni! Suivez le fil des témoignages, et vous cernerez plus facilement le personnage…
Manu partage lui aussi ses souvenirs
« Eh bien…moi j’ai passé une soirée complète avec lui, un concert dans une petite salle à Strasbourg qui s’est rapidement transformé en « fête entre potes ». Il était seul avec sa gratte et à rapidement quitté la scène pour se mettre au milieu du public, et chacun a pu pousser sa chansonnette avec lui, en toute simplicité. »
Enivré, enivrant, mais toujours sincère, proche des gens qu’il rencontrait, prévenant, drôle. Et ce n’est pas Betty qui vous dira le contraire :
« On était là ce 13 mai (2021) à Bordeaux… C’est la dernière fois que je l’ai vu sur scène… un poète, un chanteur et auteur compositeur de grand talent… on avait longuement parlé avec lui et son seul souci était que l’on fasse attention pour rentrer… car on avait fait 150km pour venir le voir! »
Souvenir, souvenir…
En 2014, Chris Bailey et son groupe sont de passage à la Maroquinerie. Malgré les années et l’évolution de leur style, le groupe enflamme encore un public d’aficionados en décochant telle une flèche au venin libérateur, une version tonitruante de leur principal et plus grand succès… un objet de culte sur l’autel de la période Punk : I’m Stranded !
I’m Stranded – The Saints – 2014 – La Maroquinerie
Rencontré 5 ou 6 fois entre 1980 et 2013, Christophe explique à son tour qu’il l’a interviewé en tout 4 fois.
« Quelle chaleur humaine à chaque fois, sous emprise de l’alcool ou non.
Je suis très triste depuis dimanche, sachant en plus que j’ai appris qu’il nous a quitté au moment même où je faisais découvrir les albums des Saints à un pote samedi. »
Et pour Jacques, le souvenir est plus récent :
« Les Saints sont passés au Drinkshop de St Estève près de Perpignan devant une cinquantaine de personnes en 2015 et Chris Bailey était encore en forme. »
Laurent apporte lui aussi un témoignage rempli d’émotion :
Fan des Saints depuis… toujours, j’ai vu 3 concerts. ( Deux des Saints et un de Chris Bailey en solo). À la fin de ce concert solo, je suis resté pour participer à une interview d’une radio libre (parce que je connaissais déjà très bien sa carrière…). C’était à Strasbourg. À la fin de l’interview, je lui ai demandé où il dormait – et j’étais devant son hôtel le lendemain! Je l’ai accompagné acheter un jeu de cordes pour sa guitare acoustique (une Takamine), et on a pris un petit déjeuner au buffet de la gare (enfin, petit dej… 2 bières chacun ! ).
On est restés une heure environ à discuter, en attendant son train.
Un mec passionnant, cool, seul avec son gros sac et sa guitare. Une pure vision du rock’n’roll – la classe absolue. On est devenus « amis » sur Facebook par la suite, et il se rappelait parfaitement de notre petit déjeuner…
Là, ça faisait plus d’un an qu’il ne me répondait plus (sur Messenger), alors qu’on échangeait assez régulièrement.
Je suis extrêmement touché, et triste, de la mort de ce grand artiste, dont la musique m’a accompagné toute ma vie. D’abord bien excité et révolté, puis plus apaisé.
Sans doute le plus grand chanteur de rock que je connaisse, doublé d’un excellent guitariste, et un véritable poète. Je me rappelle également des concerts avec les Saints, Chris Bailey entouré de jeunes bien sauvages !
Dave quant à lui se souvient de ses premières émotions punk :
« Le 14 juillet 1977, j’ai écouté Top of the Pops, principalement pour entendre les Sex Pistols jouer Pretty Vacant. Bien que j’ai été fasciné par la guitare carillonnante de Steve Jones, ce ne sont pas les Pistols qui ont laissé l’impression la plus durable ce soir-là.
Alors que Rita Coolidge terminait son interprétation de Boz Scaggs ‘We’re All Alone’, Kid Jenson a présenté The Saints et leur chanson ‘This Perfect Day‘, qui avait atteint le numéro 41.
Dès les accords d’ouverture ou la guitare buzz d’Ed Kuepper, j’étais accroché, mais c’est le grondement traînant de Chris Bailey qui m’a attiré vers l’obsession de toute une vie. Sa voix ressemblait à du fil de fer barbelé recouvert de velours et de flegme, son apparence était discrète et désintéressée, quelque chose auquel je pouvais m’identifier en tant que jeune de 13 ans. Il a équilibré cela avec une arrogance fanfaronnante, un truc qui m’a parlé direct! »
Et sa rencontre avec Bailey quelques années plus tard ne fut pas une déception…
« Chris était connu pour être difficile et parfois impoli, mais il n’aurait pas pu être plus charmant. Il nous a parlé pendant 20 bonnes minutes, nous parlant de l’enregistrement de Springsteen « Just Like Firewood« , son « fond de pension ». Quand il nous a dit qu’il jouait « Don’t Send Me Roses« , j’ai dit « J’espère que vous jouez la version 6 minutes ? ». Il hocha sagement la tête et répondit « Bien sûr », avec un regard approbateur sur son visage ».
Guillaume Blankass sur Facebook apporte lui aussi un témoignage qui place une fois de plus Chris Bailey au rang des grands hommes de cœur !
« Je suis très attristé de la disparition de Chris Bailey, leader des Saints, parce qu’il avait une place particulière dans mon cœur et dans mon histoire. En 1981, nos parents organisent un concert des Saints à Issoudun (36), le deal avec le tourneur et New Rose est simple : le groupe a 5 jours off entre deux dates, et si on les héberge, ils viennent à moitié prix. Une partie du groupe dort donc chez nous, et les autres chez les parents de Charlie Poggio. Chris Bailey est chez nous, et pendant une semaine, il va passer son temps et son cachet à jouer de la guitare et à aller acheter du vin à l’épicerie du coin, chez M. et Madame Amichaud, qui gentiment, proposent d’emballer soigneusement les bouteilles, parce que « ça doit être pour emmener loin ».
On leur explique chaque jour que non, ça n’ira pas « très loin ».
Un soir, il est vraiment rond, et il marche sur sa Gretsch verte double anniversary qu’il avait laissée traîner par terre dans le bureau de mon père, et enfonce la caisse… Il pleure comme un enfant. En attendant la réparation, il finira la tournée française sur la gratte du daron, une vieille copie Gibson ! Bien des années plus tard, en 2000 ou 2001, je retrouve Bailey avec Nick Cave au Zénith de Paris, où il est invité à chanter 2 titres avec Cave. En backstage, il ne peut évidemment pas me reconnaître, mais je lui raconte l’histoire de la Gretsch à Issoudun. Là, il écarquille les yeux et me dit : « Tu te souviens comme j’ai pleuré? ».
Cette fameuse semaine nous revenait en mémoire, et c’était assez émouvant, puisque c’était une partie de mon enfance… Cette partie-là s’en est allée hier, avec lui. The Saints était un groupe important, avec des chansons magistrales. Je vous encourage à aller écouter les albums, et aussi son premier en solo, Casablanca… »
Nick Cave feat. Chris Bailey
« Ils n’avaient pas le look, avec leurs pantalons flottants et leurs cheveux longs, mais ils avaient clairement le son. Et c’est le plus important. » avait déclaré Jim Reid, de Jesus and Mary Chain. Et c’était vraiment ce qui caractérisait aussi bien les Saints Punk de la première heure que Bailey bien des années plus tard.
Bob Geldof eu un jour ce commentaire hautement réaliste :
« Le rock dans les années 70 a été changé par trois groupes – les Sex Pistols, les Ramones et les Saints”.
C’était bien vrai, mais ce n’était pas tout. Chris Bailey malgré cette reconnaissance Punk des débuts a été plus souvent un folk singer aux inspirations rock. Une voix puissante et reconnaissable, une capacité intuitive à composer, une envie insatiable de jouer live, de rencontrer, de partager … d’aimer. Un homme, avec ses qualités et ses défauts. Chris n’était pas un Saint, mais un homme. Un type profondément humain qui disséminait parmi ses fans les valeurs du cœur et de l’amitié.
Et pour ceux qui douteraient du talent de songwritter de Chris Bailey, après Springsteen et Nick Cave, les Midnight Oil lui ont rendu en LIVE un hommage mérité le 13 avril 2022. Une version tonitruante du Know your product.
Midnight Oil, The Saints Cover : Know Your Product
Sur la page Facebook officielle des Saints, nous pouvons encore lire :
Chris a vécu une vie de poésie et de musique et s’est échoué samedi soir le 9 avril 2022.
“Chris lived a life of poetry and music and stranded on a Saturday night.”
On a juste envie de lui chanter une dernière fois l’une de ses balades poignantes dont il avait le secret… I see you in Paradise.