Motörhead : le grand malentendu
Créé en 1975 par Lemmy Kilmister en réponse à son renvoi d’Hawkwind, Motörhead a réussi à s’imposer comme l’un des groupes de rock les plus importants de la scène britannique. Le bombardier ayant, jusqu’en 2015 et la mort de Lemmy, son unique membre permanent, imposé une classe, une puissance et une intégrité somme toute assez rares.
40 années pendant lesquelles le combo a tourné sans cesse dans le monde entier, au rythme de changements de line-up, avant de se stabiliser, inspirant au passage de futurs poids lourds du heavy metal et du thrash comme, au hasard, Metallica et Venom. Motörhead qui a également depuis ses débuts fait l’objet d’un terrible malentendu…
Motörhead ? Rock and roll jusqu’au bout des ongles !
« We are Motörhead and we play rock n’ roll ! »… Cette phrase, Lemmy n’a eu de cesse de la répéter pendant les concerts de son groupe, généralement avant d’attaquer Overkill, soit l’ultime morceaux de la set-list. Pourtant, régulièrement, Motörhead fut classé dans la catégorie metal. Certains fans ne semblant pas faire la distinction entre la musique de Metallica et celle de Motörhead.
Pour Lemmy, cet enfant des tumultueuses années 60, ex-roadie de Jimi Hendrix et adorateur devant l’Éternel des Beatles (qu’il préférait aux Rolling Stones, ces derniers étant pour lui de « faux » mauvais garçons), les inspirations de Motörhead ont toujours été, pour résumer la chose en deux noms, Eddie Cochran et Little Richard. Il disait d’ailleurs à qui voulait bien l’entendre que Richard était probablement le plus grand chanteur de rock and roll que la Terre ait porté.
Ni metal…
Concrètement, Motörhead est arrivé après la première vague heavy metal britannique, emmenée par Black Sabbath et avant la célèbre New Wave of British Heavy Metal, notamment incarnée par des groupes comme Def Leppard, Iron Maiden et Judas Priest. Malgré tout, Motörhead est souvent associé à la NWOBHM. Ce qui est une erreur pour deux raisons :
- Motörhead est donc arrivé un peu avant
- Motörhead na jamais fait de heavy metal. Ni de près ni de loin.
… ni punk !
À côté de cela, le groupe de Lemmy a émergé quelques mois avant l’explosion punk en Angleterre. Mais encore une fois, ceux qui ont été tenté d’associer Motörhead au punk ont fait fausse route. Comme l’a un jour exprimé Lemmy, avec leurs cheveux longs, leur look de bikers et leur musique plutôt lourde (mais pas heavy notez bien, même si la distinction peut être subtile), les gars de Motörhead n’ont jamais été de purs punks. Rien à voir avec Johnny Rotten, Sid Vicious, Mick Jones ou Joe Strummer donc…
Maximum rock and roll !
https://www.youtube.com/watch?v=uyROMPgcJ0s
Alors oui, Motörhead a toujours donné dans le pur rock and roll ! Ce qui paraît d’ailleurs évident quand on s’intéresse à la structure des morceaux. Prenez par exemple Going to Brazil, un cas particulièrement éloquent compte tenu de la question qui nous intéresse ici : un grand morceau de rock and roll dont la structure et la dynamique sont très similaires à ce que pouvaient faire Elvis Presley, Buddy Holly, Jerry Lee Lewis ou Chuck Berry à leur époque.
Si c’est moins évident avec Overkill ou Sucker, pour prendre un titre moins iconique (sur Kiss of Death en 2006), il est indéniable que les compositions de Lemmy n’ont jamais ressemblé à celles de ses contemporains évoluant sous la bannière du heavy metal ou de l’un de ses dérivés plus ou moins extrêmes.
Hail to the king of Motörhead !
Ainsi, Lemmy s’est vite imposé comme une version plus sombre et bruyante du King Elvis. Un type en apparence patibulaire, qui n’a jamais fait semblant, d’une quelconque façon, et dont le comportement sur scène ou en dehors était exactement le même. En 2010, quand est sorti l’excellent rockumentaire Lemmy, beaucoup des fans de Motörhead se sont émus de voir le taulier se lancer dans une tirade admirative au sujet des Beatles (qu’il a vu à la Cavern).
Peu à peu, alors que l’arrivée dans les rangs du combo de Phil Campbell et Mickey Dee a certes contribué à durcir un peu plus le ton (le groupe a en cela bien été aidé par le producteur Cameron Webb), le public a semble-t-il commencé à accepter que Motörhead ne jouait pas dans le même cour que Judas Priest ou Iron Maiden. Et tant pis si au fil des années, c’est bien la scène metal en priorité qui a déroulé le tapis rouge à Lemmy et à ses camarades.
Fidèle à ses idéaux
https://www.youtube.com/watch?v=udbDhXojYSU
Toujours très actif, jusqu’au dernier jour quasiment, Lemmy a souvent payé son tribut à ses illustres ancêtres. Il a ainsi formé le groupe de rockabilly, The Head Cat avec Slim Jim Phantom (de The Stray Cats), et repris du Johnny Cash, du Elvis et du Carl Perkins…
Même quand son ami Dave Grohl est venu toquer à sa porte pour lui demander de participer à son projet metal Probot, Lemmy a livré avec Shake Your Blood un bon vieux rock and roll joué à 11.
Il y avait chez Lemmy une réelle sensibilité. Un authentique sens de la mélodie aussi. À ses débuts, Motörhead s’est vite attiré les foudres des critiques mais le public, même s’il s’est souvent mépris au sujet de ses intentions premières, a aussi accueilli avec joie cette brutalité saupoudrée d’un vrai amour du riff rock, plus festif qu’il n’y paraît et parfois brutalement concerné.
Rock hard et non hard rock
Motörhead n’a jamais été classé dans le bac rock and roll chez les disquaires. Il faut dire que le Snaggletooth, cette créature imaginée par l’artiste Joe Petagno, ne laisse pas présager une musique plus proche de Chuck Berry que d’Iron Maiden.
Pour autant, le Snaggletooth incarne une vision noble et généreuse d’un rock and roll pur. Un rock certes joué à fonds les ballons, propulsé par une basse massive qui tient plus de la guitare rythmique et par une voix rocailleuse, par de gros riffs, des solos et une batterie tonitruante, mais un rock quand même.
Et si Motörhead a bel et bien influencé un très grand nombre d’artistes metal, thrash, punk ou hardcore, c’est certainement par rapport à cette propension à avoir poussé les potards dans le rouge pendant si longtemps. Le tout sans chercher à flatter les tendances ou se faire aimer par les élites parfois auto-proclamées.
Le respect du metal
Motörhead a aussi joué de nombreuses fois dans des festivals metal comme le Download ou le Hellfest en France. Mais jamais il ne s’est laissé allé à tenter de rallier le mouvement. L’inspirer lui suffisait amplement.
Sur son trône, Lemmy n’a jamais toisé personne de haut, se contentant de s’en tenir à ce qu’il préférait et qu’il faisait comme personne. La tête bien vissée sur ses épaules, sur scène ou en dehors, au bar du Rainbow ou ailleurs, jamais à cours de bons mots et d’une observation pleine de lucidité, prêt à asséner à son audience un rock and roll pur, bien ancré et furieusement jubilatoire, Lemmy n’a jamais dévié. Et c’est notamment pour cela qu’il s’est imposé comme l’un des musiciens rock les plus intègres de son époque.
Gilles Rolland