1979 – Trois garçons débarquent …
Three Imaginary boys marque le début de la très grande aventure d’un groupe véritablement épatant. Tel un ovni dans la sphère musicale de ce printemps 79, cet album débarque dans les étals, fringué d’un son et d’un style qui aurait pu stopper net son espérance de vie. De la couleur musicale à la couleur de la pochette, tout porte à craindre un choc de décalage temporel…
Qui aurait parié sur cette pochette « électro-ménagère » tendance fifties?
Sans doute assez peu de monde… Car rien, si ce n’est l’effet de surprise, n’aurait pu alors laisser présumer à quiconque cette incroyable carrière. Moins encore les personnalités renfermées, limite autistiques de nos trois protagonistes. A commencer par celle du chanteur Robert Smith… à des lustres de l’exubérante teigneuse révolution punk.
Malgré un son soutenu par des riffs crados, la ligne musicale maintient une trame mélodique tenue par une seule guitare. Là où les cousins punks chargent les amplis à toute puissance, le premier CURE oscille sur des tempos de fréquences faiblement ondulatoires. A l’opposé du speed Ramones et de la brutalité Sex Pistols, le trio de la bande à Smith médicalise le son. Chirurgie des arrangements, ablation des solos, « métronimie » de la rythmique et traitement virale du syndrome « chanteurs à voix »: un remède curatif ouvrant l’espace vers ce « nouveau monde » musical que les années 80 allaient rapidement nous faire découvrir.
Personnalités introspectives mais créatives…
Three Imaginary Boys nous renvoie déjà en effet miroir la personnalité introspective du groupe alors encore à l’ébauche… Une individualité portée par son leader. Smith, le timide déterminé, qui nous plongera dès le second vinyle dans l’abîme de nos noirceurs inconscientes, en seulement 17 secondes.
Time slips away
And the light begins to fade
And everything is quiet now
Feeling is gone
And the picture disappears
Everything is cold now
The dream had to end
The wish never came true
And the girl
Starts to singSeventeen seconds
A measure of life
The Cure – Seventeen Seconds
Mais revenons à ce premier opus aux saveurs incongrues. L’album est enregistré et mixé en cinq nuits seulement dans les studios Morgan situés à Willesden dans le nord de Londres. Les prises sons seront effectuées quasiment dans les conditions du Live pour des raisons de temps et de budget.
La production est à ce titre, on ne peut plus minimaliste. Mais ce qui en certains cas pourrait largement desservir, confère à cet album une saveur quasi inépuisable. Three imaginary boys est un éveil de conscience vers l’univers en développement d’un groupe conceptuel. Un ensemble de titres extrêmement courts, d’où s’émane la quintessence de l’essentiel. Aucune prouesse technique, les arrangements sont réduits au strict minimum. La rythmique martiale et méthodiquement basique de Lol Tolhurst, résonne d’un son Live brut. Les lignes de basse de Michael Dempsey vibrent en soutien de la guitare de Smith. Seule instrumentation mélodique, elle occupe très simplement l’espace harmonique, étayant ce chant légèrement sous mixé telle une nappe de brume… Comme pour exprimer le paradoxe de ce sentiment d’énergie sèche, proche d’une agressivité qui jamais ne traverse la colère.
N’oublions pas cette pochette effroyablement anti-marketing au look retro fifties, représentant sur un fond de vieux rose, trois appareils électroménagers.
On le sait, Robert Smith ne l’aime pas beaucoup, pas plus que l’album d’ailleurs. Et pourtant, cette désuétude de l’imagerie attise la curiosité, suscite l’attention, tant la construction photographique semble éloignée du petit groupe post punk encore méconnu.
Three Imaginary boys :
La pochette de l’album est en réalité une sorte d’anti-portrait du groupe réalisée par Bill Smith et le photographe Martyn Goddard. Chaque membre est remplacé par un appareil électroménager. Robert Smith est un lampadaire de salon, Lol Tolhurst le batteur, un aspirateur et Michael Dempsey le bassiste, un frigidaire. D’un point de vue métaphorique, chaque objet est censé faire le lien avec la personnalité du membre concerné. Une démarche originale et osée qui ne laissera pas un souvenir impérissable au groupe, non consulté pour le graphisme. Nul doute pourtant que l’invisibilité des trois protagonistes sur leur propre pochette renvoyait efficacement l’écho de la personnalité de l’album.
The Cure – Three Imaginary Boys
Que dire également de l’absence de toute signalétique concernant les titres des chansons ainsi que l’indication des face A ou B sur le vinyle. En lieu et place d’une description nominative, des photos figuratives ont pris la place du titrage au dos de la pochette. Bien heureux ceux qui les auront devinés dans cette première édition de 1979… Il faut sans doute y voir une adéquation entre le minimalisme glacial du graphisme et celui de la musique. Une illustration finalement représentative de ce qui se présente à notre écoute: la proposition musicale inattendue de trois garçons imaginaires.
Parfois considéré comme un coup d’essai, Three imaginary boys développe à l’écoute un parfum expérimental de jeunesse inspirée. Une essence brute qui se fera de plus en plus discrète dans les albums suivants… la fraîcheur des débuts faisant rapidement place au désespoir des années Cold.
Auguste Marshal