Au début des années 90, le single “Rythm is Love” révèle au monde le talent de Keziah Jones.
Deux ans plus tard, un premier album vient confirmer tous les espoirs placés en lui. Ce guitariste-chanteur mélangeant soul, funk, rock et afro beat donne naissance au blufunk, un genre nouveau. Un début en fanfare suscitant les plus grandes attentes, au moment de la sortie de son second opus, African Space Craft (1995).
Bien que l’influence de John Coltrane, James Brown et Fela Kuti soit encore présente sur ce deuxième exercice, Keziah Jones invoque cette fois un quatrième père spirituel : Jimi Hendrix. En effet, la dominance funk et acoustique du premier album laisse place à la puissance électrique du blues moderne et du rock’n’roll.
Keziah Jones – Splash
Paradoxalement, ce deuxième opus démarre par un titre acoustique. L’incontournable A Million Miles From Home est un pur produit “Keziah Jones” dans lequel on retrouve son jeu percussif. Sans doute là pour tromper l’ennemi, et ne pas rebuter les adeptes du premier opus, il brille par sa pureté et son tempo entraînant.
Keziah Jones – A Million Miles From Home
Les riffs de guitare lancinants et ravageurs se succèdent, favorisant les titres nerveux et les atmosphères psychées. Plus sombre que son prédécesseur, African Space Craft est l’album d’un poète funk maudit. Il suinte la rage et le tourment de la condition noire. D’ailleurs, Keziah Jones n’hésite pas à mettre à l’index les clichés qui parasitent au quotidien les oreilles d’un artiste d’origine africaine évoluant en occident. Comme “les prédispositions pour la danse” ou “le sens du rythme”…
Keziah Jones – Colourful World
L’ombre de Jimi Hendrix
Le blues africain du premier exercice s’est transformé en rock vaudou. Keziah Jones exprime désormais les états d’âmes d’un artiste déraciné de 27 ans.
C’est alors que l’on voit poindre l’ombre de Jimi Hendrix. Entre un clin d’oeil évident à la célèbre interprétation de “The Star Spangled Banner” par le divin gaucher et les couinements de pédale wah wah, l’hommage n’est pas loin…
Keziah Jones – Dear Mr Cooper
Son héritage est clairement revendiqué sur la texture sonore et bon nombre de riffs. Mais également à travers une puissance d’évocation blues, totalement insoupçonnable sur le premier album. Ayant opté pour un combo minimal « guitare-basse-batterie », on retrouve son imparable section rythmique, avec Phil “Soul” Sewell (basse) et Richie Stevens (batterie). La structure des morceaux reste simple, pourtant l’orfèvre nigérian livre une oeuvre mature, forte et habitée…
Keziah Jones – African Space Craft
Revenu de son blues funky et chaleureux, il semble soudain tout dézinguer avec son électro-acoustique, semblant nous signifier qu’il n’est pas là seulement pour distraire ou amuser. Et si les clins d’oeil à sa culture africaine sont réels, ils se fondent dans un rock pesant et revendicatif. Il renouera d’ailleurs avec ses racines de manière plus franche sur les albums Black Orpheus (2003) et Nigerian Wood (2008).
Le funk toujours présent
« Mon premier concert ? James Brown à Londres, à la Brixton Academy. Il improvisait beaucoup. Il parlait beaucoup. C’était énorme. Sa musique a toujours été présente dans ma vie. J’adorais son bassiste Bootsy Collins. J’ai découvert qu’il jouait aussi avec Funkadelic de Georges Clinton. Et de là, va savoir comment, j’ai bifurqué sur Frank Zappa. Ces gars avaient une façon de vivre, un concept, un look, une pensée qu’ils exprimaient au travers de leur univers musical. Ils ont prouvé qu’une idée pouvait changer la vie. La leur, mais aussi celle des autres. Moi, ça a changé la mienne. »
Bien qu’une teinte rock prédomine sur l’album, la vélocité du guitariste vient également nourrir des titres funk-rock. D’ailleurs, “Prodigal Funk” et “Cubic Space Division” rappelent que James Brown et Prince peuplent toujours l’univers musical de Keziah Jones.
Keziah Jones – Cubic Space Division
Un accueil glacial à sa sortie
Très vite, la presse s’emballe. Le terme blufunk revendiqué par l’artiste ne convient plus aux médias. Les analogies avec Jimi Hendrix et Prince sont fréquentes, amplifiant une attente déjà démesurée autour de Keziah. Sa musique puise pourtant sa source dans la soul seventies, au moins autant que dans le pop-rock, l’afro-beat ou le funk. Une histoire d’étiquette que le guitariste refuse, en pure perte. En réponse, la publication de ce deuxième album recevra un accueil critique des plus glacials.
Peu importe, 25 ans plus tard, dégagé de toute pression médiatique, Keziah Jones sort finalement vainqueur de ce débat. Lui que l’on surnomme aujourd’hui fréquemment… le Prince du Blufunk !
Serge Debono