Kate Bush : Ballerina rock?
Wuthering Heights, Babooshka : Les débuts glorieux de Kate Bush
Le premier Lp de kate Bush : «The kick inside», sort en février 1978 précédé, en janvier, par le single « Wuthering Heights ». Plongée dans le domaine artistique depuis sa plus tendre enfance, Kate élabore les paroles de cette chanson à partir d’un roman d‘Emilie Brontë dont l’adaptation cinématographique de 1939 permet à Lawrence Olivier de briller dans le rôle principale d’Heathcliff, le « fils maudit »: «How can you leave me, cruel Heathcliff, my one dream, my only master», témoignage d’un amour immodéré.
Kate BUSH – Wuthering Heights – 1978
Symboliquement, on prête à la Belle un romantisme manifeste, associant sa propre vie aux paroles de ses chansons. Deux ans et demi plus tard, un autre extraordinaire single: Babooshka, vient contredire cette séduisante supposition. Extrait de l’album «Never for ever», le titre conte une autre histoire d’amour, ou comment une vieille passion, tel un Phénix, se réinvente au présent. Vu son âge en 1980, impossible que Kate Bush incarne la protagoniste de ce voyage temporel. Romantique, certainement, pour le reste … Ballerine ? A la fin des 70’s, clips et prestations scéniques sont en faveur. Rockeuse ?
Kate BUSH – Babooshka – 1980
Babooshka … Bush’n’rock
La participation active de David Gilmour au premier Lp de Melle Bush justifie-t-elle qu’on utilise l’appellation « rock » pour le qualifier ? On a vue plus « heavy ». Le son des morceaux ne correspond pas, l’inamovible : intro-couplets-refrain-solo-couplet-refrains-fade out, le tout en 3 min chrono, non plus. « Caricatural ! », oui, mais quand même. Une batterie qui claque, une basse qui gronde, une guitare électrique qui se tortille autour d’un riff plus ou moins saturé … chez Kate Bush, on cherche encore, même dans cette excellent 4ème Lp sorti en 1982 où « Suspended in gaffa » fait bonne figure en matière de hit. En fait, « The dreaming » marque un tournant dans l’avancée de la chanteuse vers sa propre expression musicale et artistique. « Hounds of love » (1985) confirmera cette option ainsi que les albums qui suivront.
Rockeuse ? Pas selon les « étalons » initiés vingt ans plus tôt.
Kate BUSH – Suspended in Gaffa – 1982
Les influences réciproques
Retrouve-t-on dans la musique de Kate Bush les fragrances d’un courant musical ou d’une artiste en particulier ? Nous serions tentés de répondre « non » tant sa production est singulière. Émettons néanmoins une hypothèse associée à une chanteuse qui semble assez proche d’elle dans l’esprit, qui présente une même volonté d’exister au travers d’une création musicale personnelle : la canadienne Joni Mitchell (« Blue » – 1971). Un profil mêlant finesse d’interprétation et timbre de voix, l’adoption d’un accordage de guitare maison, pour ne pas : « faire comme » … Une influence ?
Les années passent … En 1992, une chanteuse US sort son premier essai en solo : « Little Earthquakes », dont le principal single : « Crucify », n’est pas sans rappeler la liane anglaise. Tori Amos, puisqu’il s’agit d’elle, adepte du piano/voix, enrobe ses chansons d’une aura assez similaire à celle de Kate. Influencée ?
Les concomitances
En 1978, au moment ou parait « The kick inside », une ensorceleuse au visuel « marqué » sort également sa première production vinylique : Lene Lovich – « Stateless ». Outre son look « typé », versus poupée russe, elle fait tout autant preuve d’envergure scénique que de talent. Néanmoins, sa proposition musicale évoque d’avantage le post punk, la new wave, sa voix se rapprochant d’avantage de celle de Patti Smith. « Stateless » est un album séduisant mais, somme toute, moins innovant que « The kick inside ».
La même année, Siouxsie Sioux et ses Banshees livre « The scream ». Le look de Sioux est tout aussi marquant, si ce n’est plus, que celui de Bush et sa musique prône l’originalité. Par contre, Siouxsie opte pour une production de groupe, pas celle d’une artiste solo. Il reste que ce début marquant tiendra ses promesses jusqu’à nos jours, où elle finit par œuvrer en solo. Idem pour Nina Hagen, la « Castafiore » punk, qui depuis l’album éponyme du Nina Hagen Band lâche des borborygmes et/ou saillies sépulcrales entre deux utilisations phalliques du micro. Travail de groupe pas d’une artiste « esseulée ».
De l’autre côté de l’Atlantique, Debbie Harry et Blondie font rimer rock et charts avec « Parallel lines » alors que Pat Benatar affine ses chansons en coulisse. Encore une fois, des collectifs, certes portés par des individualités mais compacts et « membrés ».
Au centre de ce tourbillon musical, l’univers de Kate Bush fait figure de « phénomène ». Il lui est propre, fruit de sa seule imagination, ne prêtant à aucune concurrence puisque inimitable et inimité.
« Il y a toujours eu tant de gens pour me dire ce que je devrais faire qu’il est impossible de les écouter. Alors, je ne fais qu’écouter les petites voix qui sont à l’intérieur de moi. Je ne veux pas décevoir ces petites voix qui ont toujours été si bonnes pour moi… »
(Melody Maker, 24 août 1985).
Kate BUSH – The sensual world – 1989
« Avant même que j’aille à l’école, avant même que je lise, je chantais déjà sur des airs de musique traditionnelle. En un sens, cela a marqué mon âme avant que l’éducation ne s’occupe de moi »
(Interview de Desmond Morris, BBC 2, 21 novembre 1981).
L’univers onirique de kate Bush
Par ce qu’elle laisse en percevoir, si l’on cherche à décrire l’univers visuel onirique de Kate Bush, la tentation d’un parallèle avec la peinture, les toiles de maîtres, n’est pas sans intérêt. Nous pouvons citer Gustav Klimt pour l’aspect bucolique et automnal d’une toile comme « L’arbre de vie » (1909) qui rappel le visuel de « Never for ever ». Chez Edgar Degas, l’amour du corps en mouvement reproduit sur sa série de tableaux illuminant les danseuses de l’Opéra de Paris (autour de 1890), sied bien à la Belle. Enfin, Gustave Courbet, pour le possible jardin secret de la chanteuse, entrevu dans certains clips ou divers clichés travaillés en studio, la tant décriée « Origine du Monde » (1866) faisant miroir.
Une musique aussi impressionnante qu’impressionniste
Musicalement, nous ne sommes pas loin non plus de l’impressionnisme. L’auteur de Babooshka invente des invraisemblances magnifiques où d’autres artistes ne produiraient qu’écorchures. Ses chansons font toujours l’objet d’une orchestration et d’une production soignées, même sur des passages voix/piano que l’on pourrait croire saisis live en studio. Au début des 80’s, son amitié particulière avec Peter Gabriel colorise sa musique qui, dès lors, incorpore nombre de percussions dans ses partitions : des sons africains, hindouistes ou tibétains. Son frère, Paddy Bush, co-compositeur des chansons depuis ses débuts, est quant à lui responsable de l’utilisation d’instruments de musiques traditionnelles : bouzouki, fiddle … qui « condimentent » les morceaux au profit de la singularité.
Survolant la partition, lui donnant son sens et son équilibre, la voix si particulière de Kate domine. Sachant également déraper, à la limite du yoodle, ou descendre dans des graves d’outre-tombe, toujours en situation, sans jamais se faire démonstrative, elle fait danser les mots. D’ albums en albums, Kate conserve ces intonations identitaires, cette maîtrise intrinsèque, cette inaltérable voix. Yes but : « rock » or definitely not ? Ask yourself …
Kate BUSH – The red shoes – 1993
Kate Bush – Ballerina rock ?
Ballerine ? Au plus profond de son âme, assurément. Rock … tout est une question d’interprétation.
Nonobstant, comme elle le précise elle-même dans une de ses chansons : « All we ever look for », nous recherchons tous quelque chose : « Une drogue, un Dieu, la Lune, une part de l’autre, ne serait-ce qu’une toute petite part … mais nous n’y parvenons pas ». En chorégraphiant des notes de musique, puisse-t-elle mener sa quête à terme.
Kate BUSH – All we ever look for – 1980
Et nous ? Que recherchons-nous ? Peut importe, nous l’avons, elle, et c’est déjà beaucoup.
Thierry Dauge