Opiacez-moi !

Voilà une idée qu’elle est bonne : inviter un ou une musicienne à participer à tout un album sous un nom de groupe différent. Et changer à chaque fois de participant. C’est ainsi qu’en 1997, les trois gars de Giant Sand, groupe de Rock / Country déviant de l’Arizona contactent Lisa Germano, chanteuse / multi instrumentiste également américaine pour leur premier opus sous le pseudonyme de OP8, comme « Opiate »…
Giant Sand, on les suit déjà depuis quelques années, depuis leur premier LP Valley Of Rain en 1985. D’abord, il y a leur leader Howe Gelb, chanteur / guitariste / claviériste, à la belle voix parfois erratique. Tel d’ailleurs son jeu de guitare, aux sonorités époustouflantes, à la limite de la rupture et de la fausse note, une captivante et improbable démarche casse-gueule. Il est entouré à partir de 1990 par une section rythmique idéale, le touche à tout Joey Burns (Chanteur / bassiste / violoncelliste / contrebassiste…) et le batteur John Convertino au délié entre Jazz et Rock, deux camarades capables de répondre aux déraillements de leur pote. La paire en question forme ensuite Calexico en 1996, avec le succès que vous savez…
Giant Sand – Happenstance – Glum (1994)
Quant à Lisa Germano, elle a d’abord accompagné au violon des gens comme John Cougar Mellecamp ou Simple Minds, avant de se lancer dans des projets plus personnels, usant des cordes (Violon, guitare, mandoline) et du piano sur notamment les albums Geek The Girl et Excerpts From a Love Circus où elle dévoile un univers de l’intime, avec une voix éthérée.
Lisa Germano – Geek The Girl – Idem (1994)
Des titres autant bancals qu’ingénieux
Slush, Le premier volume d’OP8 paraît donc le 25 Février 1997. Il a été enregistré au studio Wavelab situé bien sûr à Tucson / Arizona, le coin de Giant Sand. Nick Luca et Craig Schumacher ont manipulé les potards et les boutons, apportant sans doute tout leur savoir faire pour concrétiser les brouillons et les idées du quatuor. Les onze titres ont été soigneusement mixés par Paul Mahern et Lisa Germano elle-même. Quant à la pochette, devenue emblématique chez les fans, c’est une création baroque de Mark Droescher. Dans le livret intérieur du CD, on trouve une photo des trois zigues affublés de masques grotesques et au-dessus d’eux, une photo de la belle Brunette. Il n’y a pas de version vinyle, ni en 1997, ni pour l’instant. Enfin l’appellation de cet opus précise qu’y figure Lisa, le Slush désignant la sensiblerie du propos. Ah ?

En ouverture, le quartet a décidé de glisser tout de suite une première citation : Sand, le morceau du couple sexy et débonnaire Nancy Sinatra et Lee Hazlewood, datant des sixties. La voix grave et éraillée de Howe Gelb répond aux murmures suaves de Lisa Germano, en inversant les interventions de la version originale, le tout sur un lit de batterie feutrée, castagnettes, xylophone, orgue poisseux, violonades, guitares acoustiques et twang. Une sorte de boucle de larsen hante le titre par-ci par-là. On accroche immédiatement !
OP8 – Sand – Slush (1997)
Et on ne résiste pas à l’envie de joindre la complainte originale par Nancy et Lee, histoire de comparer.
Nancy Sinatra And Lee Hazlewood – Sand – How Does That Grab You (1966)
La suite propose des titres originaux autant bancals qu’ingénieux, fruits aigres-doux de la rencontre entre les trois gusses et leur muse mi gothique, mi sensuelle. Pour les chants, Howe et Lisa se partagent les parts en duo ou en solo. Notons les voix traficotées, ralenties, saturées qui minent certains morceaux dans l’arrière-plan sonore, renforçant l’ étrangeté du projet.
OP8 – If I Think Of Love – Slush
Forcément, la présence ici de plusieurs multi instrumentistes enrichit la texture des thèmes, mais sans exubérance narcissique. D’autant plus que les quatre partagent cette envie de faire sonner leurs instruments autrement. Cet aspect allié à une sensibilité élégante, atteint des sommets dans le plus beau titre du disque : Cracklin’ Water.
OP8 – Cracklin’ Water – Slush
Crackling water
In the crackling light
And the crackling clouds
Here in the crackling night
I want you now
If this is not hate
I don’t know how
I ever over-underrate
Here on earth
Where the wind and the rain prevail
It bends what you build and it rusts what you nail
Here on earth
When the weather is warm
And the cool rains return
When the wind’s fully formed
And the storm we finally earnt
Yeah, I’ll return
When the weather is warm
With the gray I’ve earned
And my heart now fully formed
Here on earth
With the bends and the rust
You hide from the rain and the winds you mistrust
Here on earth
I hate you now
If this is not love
Then I don’t know what
I’ve been a party of
Here on earth
With the wind and rain
They love to erode what you love to sustain
Here on earth these things remain
Crackling water
In the crackling light
Crackling clouds
In the crackling night
I want you now
If this is not hate
I hate you now
If this is not love
If this is not love
Well, I don’t know what
I’ve been a party of
I want you now…
Ainsi le trio et leur invitée de prestige oscillent entre poperies quelque peu déglinguées et oniriques (Lost In Space, Tom Dick & Harry), instrumental jazzy (OP8), improvisations pianistiques de fin de soirée (The Devil Loves LA), ou confidences acoustiques, tels Leather ou le superbe Never See It Coming, repris ensuite en instrumental par Calexico sous le titre Over My Shoulder (Album The Black Light en 2006).
OP8 – Never See It Coming – Slush
Avant de conclure en beauté lysergique avec une dernière reprise, cette fois Round And Round de Neil Young. Décollage garanti !
OP8 – Round And Round -Slush
Sans équivalent
Slush recevra un accueil enthousiaste de la plupart des esthètes dans les médias. Il faut dire que ce disque, soutenu par une maison de disques efficace – V2 Music – est sans équivalent dans cette fin des années 90. Malheureusement, il sera un échec commercial complet. Pourquoi ? Peu de passages radio ou télé sans doute, hormis les ondes indépendantes et alternatives.
OP8 – Cracklin’ Water Live At Alternative Nation / MTV (1997)
Une faille donc, même si les quelques auditeurs et auditrices qui ont exploré ces onze morceaux à l’époque ne s’en sont jamais remis. Après une tournée promotionnelle en Europe dont plusieurs dates en France, la bande se sépare comme prévu pour d’autres aventures. Il devait y avoir un autre volume de OP8 avec une ou un autre invité/e. Mais Burns et Convertino, tout en restant au départ dans Giant Sand, privilégieront Calexico et ses trompettes mariachis plutôt qu’un autre opus de OP8. Pourtant, on attend encore la suite…
Bruno Polaroïd