TANGERINE DREAM : Force Majeure

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Février 1979, Tangerine Dream, les maîtres de la Kosmische Musik, lancent vers l’espace et nos oreilles leur neuvième album studio : Force Majeure !

Force Majeure par Tangerine Dream
Tangerine Dream : Force Majeure

Après l’échec artistique, pour le leader Edgar Froese – claviers, guitares – et une partie du public, d’essais de chant sur Cyclone (Lire notre article : Tangerine Dream dans l’œil du Cyclone), le multi instrumentiste et chanteur Steve Jolliffe quitte la bande, quelque peu dépité. Car lui trouve l’expérience positive, et son engagement tant sur disque que sur scène, montre qu’il tient à cette nouvelle place dans Tangerine Dream. Mais selon Edgar Froese, rapidement, ça n’a pas collé. Il a même eu l’impression de régresser pendant la tournée. Peut-être n’a-t-il pas retrouvé avec Jolliffe, cette correspondance quasi télépathique qu’il ressentait avec Peter Baumann, malgré les absences de celui-ci. Jolliffe regrette encore que pour l’album, des heures de pistes n’ont finalement pas été retenues lors du mixage final… Quant à Froese, il gardera longtemps son amertume puisque les titres de Cyclone seront écartées de certaines compilations postérieures du collectif.

Quoiqu’il en soit, l’excellent batteur Klaus Krüger, qui construit lui-même ses batteries (!!!), reste encore pour ce nouvel LP, accompagnant avec maestria les boucles de séquenceurs de Chris Franke. Et puisque les gars aiment faire feu de tout bois, l’ingénieur du son du disque, au studio Hansa de Berlin, Eduard Meyer, intervient également au violoncelle sur la chose. Enfin, la pochette, proche des œuvres du peintre Vasarely, présente une création de Monica Froese, la compagne de qui vous savez. Au verso, le maître Beethoven, emmuré, nous salue…

Force Majeure, verso de la pochette
Verso de la version vinyle de Force Majeure

Les guitares de Froese

Force Majeure, en français dans le texte, est construit selon un schéma habituel pour le collectif : une longue pièce occupant toute une face, ici la première avec le titre générique, puis deux morceaux pour l’autre face, Cloudburst Flight et Thru Metamorphic Rocks.
Cette fois on revient à une approche strictement instrumentale, sans chant, mais parfois plus rock et très marquée par le jeu de Krüger, mieux mixé et mis en avant, comme d’ailleurs pendant les concerts de la Tournée Cyclone, et ornementée par les guitares de Froese. Celui-ci d’ailleurs n’a jamais aussi bien joué, au sens académique du terme, rappelant même les tournures d’un David Gilmour. Par contre, il aborde moins la guitare électrique telle une source de sons inédits et expérimentaux. On en reparlera.

Edgar Froese In The Machine par POUP
Edgar Froese In The Machine par POUP

Prog Rock ?

Le titre Force majeure commence d’abord par une introduction rituelle chez Tangerine Dream : une phase entre bruitisme et accords angoissants, même si l’on remarque déjà une clarté sonore des synthétiseurs absente quelques années auparavant, un abandon de l’opacité déjà manifeste dans Cyclone. Meyer s’y distingue par de beaux chorus de violoncelle sur les accords synthétiques de Froese. Puis émergent une suite de notes basses et un riff de piano, vite rejoints par la batterie de Krüger, la six cordes et les synthés de Froese ainsi que les séquenceurs implacables de Franke. Ach, il y a même un pattern discoïde ! C’est admirablement interprété, avec une mise en place impeccable des machines et des hommes, mais on peut trouver ça plutôt conventionnel.

Chris Franke
Christopher Franke

Ensuite, les éléments se bousculent dans un collage un peu déconcertant. Curieusement, avec le recul, ça évoque le montage des morceaux de The Endless River, le dernier album de Pink Floyd en 2014. Pour Emmanuel Saint-Bonnet, auteur du livre Tangerine Dream Les visiteurs du son, cela relève plus du Prog Rock que de la Kosmische Musik. A noter, vers le milieu du morceau, une vignette impressionnante avec des bruits de train et des plaintes de chœurs – au mellotron ? -, ce qui n’est pas s’en rappeler le passé funeste de l’Allemagne. Puis, encore un paradoxe, un thème enjoué dans les dernières minutes qui reprend une mélodie du compositeur italien Corelli, La Follia. On les a connus plus inspirés nos Teutons de l’Électron !

Tangerine Dream – Force Majeure – Idem (1979)

Lyrique

Cloudburst Flight ouvre la seconde face avec des accords de guitare acoustique 12 cordes et des nappes de synthés. L’atmosphère anticipe celle de certains titres de The Wall par Pink Floyd – décidément – paru quelques mois plus tard en Novembre 1979. Puis, les notes basses du séquenceur, la batterie et les synthés amorcent la partie centrale avant l’arrivée de la guitare Gibson Lespaul de Froese. Alors là, notre Edgar est à la fête en nous offrant l’un de ses plus beaux solos, aussi lyrique qu’échevelé. D’ailleurs, une interrogation : la seconde section semble curieusement accélérée, avec un jeu inhabituellement rapide et un timbre plus aigu. Une technique qu’utilisaient déjà les Beatles… Le thème s’achève après une dernière mélopée des claviers.

Cloudburst Flight – Force Majeure (1979)

Obsessionnel

Quant au troisième morceau, Thru Metamorphic Rocks, beaucoup plus long – presque un quart d’heure -, il s’ouvre par quelques notes de piano puis à nouveau la section rythmique enrichie de la guitare électrique avant l’apparition d’une nouvelle séquence hypnotique de Franke, mais avec des sonorités inédites. En effet, la distorsion du séquenceur provient d’un accident de console – un transistor grillé -. Cependant, les gars, surpris puis convaincus, ont finalement gardé la piste telle quelle.

Klaus Krüger
Klaus Krüger en studio

Alors qu’une grande partie de Force Majeure est truffée de mélodies parfois à peine esquissées – sur le titre principale -, Thru Metamorphic Rocks s’avère plus monolithique et obsessionnel jusqu’à la transe voire l’anxiété, avec des hurlements de loups  et des voix fantomatiques. Klaus Krüger y est particulièrement brillant, tambourinant autour des notes séquencées, à l’instar plus tard de Stephen Morris dans New Order. Ce morceau annonce avec une décennie d’avance les expériences de la génération Electro des années 90.

Thru Metamorphic Rocks – Force Majeure (1979)

La fin de l’analogique

A sa sortie en Février 1979, ce disque plus consensuel se vendra assez bien. Pourtant, les fans suivant le collectif depuis leur période la plus expérimentale seront désappointés par ses aspects plus ordinaires, tout en soulignant l’excellence instrumentale. Au contraire, d’autres considèrent que cet ensemble plus proche du Prog Rock affiche une véritable réussite.

Encart publicitaire dans le New musical Express en Février 1979
Encart publicitaire dans le New Musical Express daté du 3 Février 1979

Force Majeure marque aussi la fin de l’utilisation des machines analogiques au profit, ensuite, pour les opus à venir, des premiers outils digitaux, avant l’arrivée d’un nouveau comparse, Johannes Schmoelling, déjà présent ici pour quelques collages sonores… Signalons qu’il n’y aura pas de tournée de promo pour ce neuvième 33t, Froese annulant toutes les dates prévues par refus dira-t-il plus tard, de la surenchère des effets spéciaux et des grandes salles.
Quant à l’excellent batteur Klaus Krüger, peut-être fatigué d’accompagner des basses automatiques, il décidera ensuite de rejoindre le gang de… Iggy Pop, un Kamerad que les membres de Tangerine Dream ont rencontré lors de sa retraite berlinoise avec un certain David Bowie

Bruno Polaroïd / Illustration par POUP

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