L’histoire d’un standard de rock devenu l’amulette de Jack White
Sans le titre Seven Nation Army, The White Stripes et Jack White seraient peut-être restés des artistes méconnus, cantonnés au rayon underground des disquaires. Sans trop y croire, c’est à une bande originale de James Bond que le Kid de Détroit songeait en l’écrivant. Il était loin de s’imaginer qu’il allait devenir un célèbre standard, au point d’être repris dans les stades du monde entier.
Le titre associé au rythme martial imprimé par Meg White sur sa batterie, peut faire penser à une ode militariste. En réalité, Seven Nation Army est un clin d’oeil à l’enfance de Jack White. Il avait semble-t-il pour habitude d’écorcher la prononciation de l’Armée du Salut (The Salvation Army, en anglais), nom qu’il voyait placardé sur les affiches. Le titre Seven Nation Army fut attribué de manière provisoire à ce qui n’était encore qu’un instrumental.
Seven Nation Army est enregistré en avril 2002, alors que le duo travaille sur Elephant, son quatrième album.
A l’origine, les White Stripes ne possèdent qu’un riff de basse. Il est joué sur une guitare semi-acoustique des années 50, avec l’aide d’un octaver. Un rythme martelé incitant au déhanché. Peu encouragé par sa production, qui trouve le riff trop peu élaboré, Jack White persiste à penser que la simplicité fait sa force. Il rêve de le voir finir dans la bande-son du prochain James Bond.
Il revoit ses ambitions à la baisse et développe un texte inspiré par son vécu à Détroit et celui de Meg White. L’histoire d’un jeune homme victime de moqueries et de ragots, et désireux de se venger alors qu’il revient dans sa ville de naissance. Convaincu que ce titre peut les aider à décoller, Jack insiste auprès de son label (Third Man Records) pour qu’il soit publié comme premier single.
Jack White et le football italien
Ce titre minimaliste et dépourvu de refrain, va se retrouver affublé de nombreuses étiquettes par les spécialistes : garage-rock, blues-rock et même punk-blues. Le public, lui, s’en contrefiche. Il adore ce morceau qui manie habilement tension et libération. Publié le 17 février 2003, son succès est colossal. Au point que son célèbre riff va devenir un hymne sportif dans les stades.
En octobre 2003, à l’occasion d’un match de football de Ligue des Champions, le Milan AC reçoit le FC Bruges. Un peu plus tôt, les supporters belges ont entendu le titre Seven Nation Army dans un bar. Dans le stade lombard de San Siro, il se mettent à chanter le thème du riff à l’unisson. Séduit par le chant, le public milanais se met à le reprendre durant les prestations suivantes de son équipe. Les supporters de l’AS Roma l’adoptent à leur tour. Le riff entonné “ Po popopo popo po !“ fait le tour de la botte italienne, et atteint son point culminant quelques années plus tard, à l’occasion de la Coupe du Monde remportée en Allemagne par l’équipe nationale…
Le soir du 9 juillet 2006, tandis que Jack White fête son 31ème anniversaire, les supporters de la Squadra Azzurra célèbrent leur quatrième titre mondial au son de Seven Nation Army, et y ajoutent même les paroles : “ Siamo I Campioni Del Mondo”. Le titre devient si populaire, qu’aujourd’hui il rythme l’entrée des équipes en Coupe du Monde, ainsi que de nombreuses manifestations sportives aux Etats-Unis.
Siamo I Campioni Del Mondo (Coupe du Monde de Football 2006)
Jack White n’en demandait pas tant. Il est vrai que si tout le monde connaît ce titre, beaucoup ignore encore le nom de son auteur, ou de ses interprètes. Néanmoins, au-delà de son aspect lucratif, sa renommée a ouvert des portes au compositeur, lui procurant une certaine liberté de création. La réussite au sein de The White Stripes, The Raconteurs et The Dead Weather, ses documentaires ou encore ses rôles au cinéma. Son parcours aurait été sans doute bien différent, sans le succès de Seven Nation Army.
Et puis Jack White peut s’enorgueillir d’une chose. Compte tenu des nouveaux moyens de diffusions et de la surproduction au sein de l’industrie musicale lors des vingt dernières années, tout cela empêchant désormais un effet de mode massif et unanime, il est bien possible que Seven Nation Army soit le dernier tube planétaire de l’histoire du rock.
The White Stripes – Seven Nation Army (2003)
Entrer dans la légende suscite inévitablement des vocations, et engendre des reprises. En voici une sélection non exhaustive à travers des genres très diversifiés.
Le première provient d’un duo allemand. Costumés en cow boys ils se sont fait une spécialité de reprendre des standards à la sauce country ou bluegrass.
The BossHoss – Seven Nation Army (2005)
Durant les années 80, la soul music a bien failli s’éteindre totalement. Et puis, au fil du temps, chaque génération découvrant les oeuvres de James Brown, Marvin Gaye, Otis Redding et Aretha Franklin, les sonorités cuivrées de ce genre indispensable ont fini par refaire surface. Les fers de lance sont moins nombreux, et on est loin de la période dorée des années 60-70. Mais quelques artistes, comme la britannique Alice Russell, s’efforcent de raviver la flamme. A l’image de cette excellente reprise du standard des White Stripes.
Alice Russell – Seven Nation Army (2006)
Deux albums seulement furent publiés par le groupe The Dead 60s avant leur séparation. Cette formation de Liverpool oscillant entre punk rock et reggae-dub, livre ici une version de Seven Nation Army puisée dans les quartiers jamaïcains de Londres. Façon Guns of Brixton (The Clash)…
The Dead 60s – Seven Nation Army (2007)
L’instrumental épuré et le chant soul des trois membres de The Dynamics font la force de cette autre version reggae. Ce groupe s’est constitué en 2003 du côté de Lyon, inspiré par le Gorillaz de Damon Albarn.
The Dynamics – Seven Nation Army (2007)
On reste en France, avec le tourangeau Ben l’Oncle Soul. Son talent d’interprète s’est fait connaître en 2009, avec son premier opus et des titres comme Soulman. Ainsi qu’une excellente reprise de Seven Nation Army…
Ben l’Oncle Soul – Seven Nation Army (2009)
Christopher William Stoneking dit CW Stoneking, a l’air d’un artiste échappé d’un tunnel temporel. La voix et la musique de ce quinquagénaire australien font plus que puiser dans le jazz des années 40, et le vaudeville blues des années 20. D’ailleurs, Jack White en personne, véritable archéologue du blues, fera appel à ses services pour son album Boarding House Reach (2018).
En 2023, constituant pour lui une sorte de père spirituel, Tom Waits le présentait ainsi sur les antennes de la radio BBC 6 :
“C’est CW Stoneking, un artiste australien qui semble avoir 600 ans. Il est beaucoup plus jeune, en réalité, mais possède un style qui lui est propre.”
CW Stoneking (2012)
L’émission Taratata a connu quelques belles alchimies en direct-live. En 2013, les excellents BB Brunes croisent le fer avec la fine fleur du rock britannique, le groupe Hard-Fi. Des enfants de Jack White en quelque sorte. Pour un Seven Nation Army plein de déférence au garage-rock…
BB Brunes & Hard Fi – Live Taratata (2013)
La descente chromatique du riff a inspiré d’autres versions jazz. Comme celle des Vintage New Orleans. Pour l’occasion, la chanteuse Haley Reinhart vient entortiller sa fabuleuse voix de Hot Club autour des paroles, tel un rond de fumée…
Vintage New Orleans Dirge feat Haley Reinhardt (2015)
En conclusion, laissons le dernier mot, et la dernière version, à son auteur inventif John Anthony Gillis dit Jack White. On imagine sans mal que sous le coup des demandes incessantes, certaines semblant réduire son parcours à ce titre, il a dû le prendre en horreur. Pourtant, il semblerait que le guitariste se soit réconcilié avec son amulette…
Jack White – Live at Glastonbury(2022)
Serge Debono