Une précieuse singularité
Dès son premier film en 1999, on a vite compris que Sofia Coppola posait un regard sur le monde qui dépassait les moqueries pour la Fille à Papa. On a su aussi qu’elle s’exprimait par les musiques qu’elle choisissait. Ainsi, elle a révélé au grand public le duo français Air en lui confiant la BO de son superbe The Virgin Suicides. La réalisatrice a démontré une fois pour toutes que Jean-Benoît Dunckel et Nicolas Godin penchaient plus du côté des Seventies mi gainsbourrienne mi floydienne plutôt que de la pose branchouille.
Air – Playground Love – The Virgin Suicides OST (1999)
De même, dans son second long métrage en 2003, Lost In Translation, pour le sommet émotionnel de la rencontre entre Scarlett Johansson et Bill Murray, elle a ressorti du placard des Eighties, cette pépite à la fois acide et sucrée des frangins boudeurs de The Jesus And Mary Chain.
The Jesus And Mary Chain – Just Like Honey – Lost In Translation Soundtrack (2003)
Lors de son troisième film en 2006, la supposée biographie historique de Marie-Antoinette permet à Sofia Coppola d’encore aborder la confrontation entre les aspirations d’une ado ou d’une jeune femme – incarnée à nouveau par Kirsten Dunst – et la réalité contradictoire. D’où le choix d’une bande son marquée par la New Wave de la fin des années 70, et des groupes de la décennie 2000 s’en réclamant plus ou moins tels les Strokes. Et puis, quelques autres bizarreries anachroniques, trouvées ça et là…
Windsor For The Derby – The Melody Of A Fallen Tree – Marie-Antoinette Soundtrack (2006)
En introduction émergent une note longue de guitare ou de claviers, des accords d’acoustique, une nappe d’orgue, suivis d’un thème mélancolique à l’électrique et d’une séquence électronique, soutenus par le tempo de la batterie. La voix apparaît, mate tel un jeune Rog Waters de l’époque More. Le morceau défile à l’allure d’un rêve, et on n’est pas étonné de l’arrivée d’un séquenceur à la New Order quand s’éteint le chant, tandis que s’égrènent les chorus minimalistes de la 6 cordes. Estomaquant, au point d’acquérir le double CD du film. C’est ainsi qu’au milieu des dentelles et des soieries poudrées de Marie-Antoinette, Sofia Coppola nous a ouvert les portes de Windsor For The Derby.
Underneath the leaves where the blackbirds turn blue
If there’s room for me
There’s room for you
Place your ear to the ground, you hear a voice
It sings the song
The whole night long
I am the melody of the fallen tree
What comes between me
You and me
So sadly transient, you’d never guess
It could ever be
So easy to see
Across a frozen field you hear a call
With the urgency
Of the boiling sea
All your hopes and dreams they rise and fall
Secretly
A cacaphony
The love and brutality
They all turn on me
You hope to someday see
Patiently
So sadly obvious, you’d never guess
It could ever be
So hard to see
Énigmatique
Quel nom effectivement ! Le projet se monte en 1994 à Tampa en Floride autour des deux pères fondateurs Dan Matz et Jason McNeely. Leur premier album Calm Hades Float sort en 1996. Après plusieurs changements de casting et de lieux – Austin ou Philadelphie entre autres -, le gang dévoile son 6e LP en 2004 (Le 17 Août), We Fight Til Death sur le label Secretly Canadian. Notre sésame – repéré par Sofia – amorce le recueil. Celui-ci comporte 10 titres. Le livret rose de la version CD joue les timides : une feuille recto verso avec d’un côté l’illustration et de l’autre, les participants. Même la typo s’affiche énigmatique (Les précisions instrumentales viennent d’autres sources…). Citons Dan et Jason, chants / guitares, Benjamin Cissner, guitare, Tim White, batterie, Dan Burton, guitare, Anna Neighbor, basse / claviers, Maggie Polk, violon, et Charles Eyo-Ita (?). Dan Burton s’active également aux manettes de la console. Ben Swanson s’occupe du design et Mark Rice signe le dessin de couverture de sa plume (!) : un merle sur le dos…
Réminiscences
Après The Melody Of A Fallen Tree et une vignette brumeuse – The Cutter – reprenant sa séquence, le troisième thème Nightingale nous oriente sur d’autres pistes, étranges et complexes, rappelant les expériences du Rock germain des Seventies.
Windsor For The Derby – Nightingale – We Fight Til Death (2004)
Alors que l’hypnotique instrumental The Red Door lorgne vers les architectures du Post-Rock à la Tortoise, la pièce suivante, Logic And Surprise, est un doux songe électronique. Encore une fois, la voix évoque étonnamment le Waters des folkeries pastorales des premiers Pink Floyd. Notons aussi quelques chœurs féminins bienvenus.
Logic And Surprise
Dès les premières notes de Black Coats, on se retrouve sur les territoires soniques du trio Yo La Tengo, distorsions incluses. Chaque titre propose donc une atmosphère différente et captivante. Ainsi une fois les fuzz éteintes, A Spring Like Sixty en revient aux délicatesses acoustiques avec supplément de violon.
A Spring Like Sixty
Autre changement d’humeur, For People Unknown flirte avec les réminiscences Motorik des Teutons de Can période Mother sky (1970 / Soundtracks), pour vous situer le niveau.
For People Unknown
Enfin, avec le martial et noisy générique We Fight Til Death et son appendice Flight, l’équipe clôt ce recueil dans un crissement de larsen puis d’ébauches épurées de piano.
We Fight Til Death & Flight
Autant de louanges
Difficile à trouver en France, avec une distribution aléatoire, cet opus de Windsor For The Derby reste l’un des meilleurs albums du début des années 2000, et pour leurs fans, le sommet des Ricains. Mieux exposé grâce au film de Sofia Coppola, le collectif présentera encore trois LP, Giving Up the Ghost (2005), How We Lost (2007) et Against Love (2010), toujours assistés par le label Secretly Canadian et méritant autant de louanges. Pourtant l’engouement médiatique et surtout public s’amoindrira au fil des années. Depuis, Dan Matz et Jason McNeely privilégient des projets solo et semblent avoir mis leur précieuse singularité en sommeil…
Bruno Polaroïd