Talkin’ Blues, l’âge d’or des Wailers saisi sur les ondes

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Une sublime dernière valse pour la triade des Caraïbes

A l’image des Peel Sessions, des concerts au Beat Club, ou à la BBC, Talkin’ Blues est une bénédiction pour les amateurs des Wailers première mouture. L’apogée d’une association de grands talents. Bob Marley, Peter Tosh, et Bunny Livingston, saisis en live au sommet de leur art, avec une haute qualité d’enregistrement.

Bob Marley & The Wailers (San Francisco 1973)
Bob Marley & The Wailers (San Francisco 1973)

Comme tout art, la musique est versatile. Et l’idée qu’un artiste puisse donner le meilleur de lui-même sur commande est illusoire. Il est donc primordial de savoir capturer ces instants magiques et éphémères, avant qu’ils ne s’envolent. A l’heure du numérique, rien de plus simple, mais imaginez cette époque où les chefs d’oeuvres des plus grands artistes étaient saisis sur des bandes inflammables et coûteuses… Il fallait avoir du flair. C’est exactement ce dont ont fait preuve le 31 octobre 1973, les techniciens de KSAN, radio californienne de San Francisco.

The Wailers – You Can’t Blame the Youth

The Wailers viennent alors d’interrompre une tournée américaine en première partie de Sly & the Family Stone. On pourrait croire que la formation jamaicaine a connu quelques difficultés à imposer ses rythmes caribéens sur la terre du blues et de la country. Mais c’est ignorer la concurrence redoutable qui règne à cette époque dans le monde de la musique. De toute évidence, Bob et ses acolytes sont trop performants. Le grand Sly craint qu’ils n’éclipsent ses prestations et celle de sa formation.

Sly Stone

Conclusion: la fièvre du reggae semble bien avoir conquis les terres américaines, mais les Wailers vont devoir patienter pour obtenir fortune et gloire. Une situation devenue difficile à vivre pour ses membres. Par la suite, elle deviendra une source de conflits entraînant la séparation du groupe, et le cavalier seul de Bob Marley.

Pourtant, à l’écoute de Talkin’ Blues, l’état de grâce conjugué de Peter, Bunny et Bob explose dans l’oreille de celui qui l’écoute comme un témoignage quasi unique de leurs prestations d’alors. Fougueux, sauvage, et emprunt de soul. Le message clair délivré par le groupe ne peut faire autrement que d’atteindre sa cible. D’autant que le petit Bob se lance désormais dans des impros virtuoses, et que le grand Peter ajoute tripes et véhémence à son flow rap et sa voix envoûtante de prédicateur…

The Wailers – Get up Stand

Je suis généralement plus enclin à faire la part belle aux albums studios. Ces derniers restituent, selon moi, la démarche créative originelle. Dans le cas présent, je me dois de faire une exception. Ni l’excellent Catch a Fire, ni l’incendiaire Burnin’, ne possèdent la force et la chaleur de Talkin’ Blues. Et si on est en quête d’imperfections liées au direct, il faut s’armer de patience. La maîtrise du collectif jamaïcain est stupéfiante.

Leurs titres sont magnifiés par leur culture soul et l’énergie brute qui émane de leur interprétation. Mention spéciale pour les frères Aston et Carlton Barrett (bassiste et percussionniste). Ainsi que pour Earl « Wire » Lindo, le magicien des ivoires. En ce soir du 31 octobre 1973, on croirait entendre un groupe qui souhaite entrer dans l’Histoire…

The Wailers – Burnin’ and Lootin’

Quand l’émission fut enfin publiée sur CD en 1991, la maison Island eut la bonne idée d’y ajouter deux sublimes versions alternatives. Une du titre Bend Down Low. Et l’autre, de cette petite douceur aérienne, ayant donné son nom à l’émission. Comme pour le titre précédent (Burnin’ and Lootin’) bien que les versions studios existantes soient plus qu’honorables, celle qui suit tutoie les anges…

The Wailers – Talkin’ Blues

Lors de cette première publication, Island Records eut l’idée plus discutable, d’intégrer en alternance avec les titres, des extraits d’interviews de Bob Marley relatant l’histoire des Wailers…

Même si cela créait une proximité avec l’artiste, et que sa voix de conteur n’avait rien de désagréable, cela gâchait un peu la dynamique de cette émission où les Wailers n’ont jamais paru si vifs et impliqués. J’ajouterais que les voix de Peter et Bunny auraient légitimement du venir nourrir le propos du leader.

The Wailers – Slave Driver

Si le titre Talkin’ Blues a un peu perdu de sons sens sur la réédition de 2002, sans les commentaires de Bob, l’ensemble est plus fluide, et augmenté de quelques titres.

Voilà pourquoi je ne me permettrais pas de me substituer au Roi des Rastas, en vous livrant une analyse détaillée de ce live d’anthologie, dont l’énergie et le degré de musicalité ne peuvent s’exprimer avec de simples mots.

Kinky Reggae

Pour finir, si vous aimez The Jimi Hendrix Experience, je dirais que ce Talkin’ Blues est un peu le Radio One (ou BBC Sessions) de Bob Marley, Peter Tosh, et Bunny Livingston. Un instant de grâce. Une immersion au coeur de l’envol de trois compositeurs talentueux. En espérant vous avoir convaincu de profiter de cet instant béni.

Serge Debono

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Serge Debono
Passionné de musique 60's et 70's, Serge Debono est l'auteur de "Crossroads, dans l'ombre de Jimi Hendrix", un livre à mi-chemin entre le roman initiatique et le conte rock, ainsi que d'une analyse du premier opus des Doors, tous deux publiés aux Editions André Odemard. Il est également chroniqueur et auteur de fictions sur le site Cultures Co, la page FB Carottes Rock Culture, ainsi que animateur sur la radio web Pop Culture.

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