En 1986, Prince décide de triturer à nouveau l’imagination de son public…
Parade, c’est le sacre du Petit Prince. Au milieu des années 80, les médias ne cessent d’opposer les talents de Prince Rogers Nelson et de Michael Jackson. Nul ne sait si les deux artistes se préoccupent réellement de cette pseudo rivalité, mais le fait est qu’en 1984, avec la sortie du film Purple Rain, Prince semble avoir voulu fournir une réponse au phénomène Thriller. La tonalité mainstream de son album suivant, Around the World in a Day (1985), ne fait que le confirmer. L’année suivante, Prince invite même Michael sur le tournage de son film Under a Cherry Moon, dans lequel il lui adresse un clin d’œil ostensible.
En 1986, amitié ou rivalité, le King of Pop s’est momentanément éclipsé de la vie médiatique, et Prince s’apprête à reprendre l’écriture de sa propre histoire. Celle d’un génial compositeur, éternel insatisfait au cerveau bouillonnant, et à la créativité compulsive.
Prince & The Revolution – New Position
Si les premiers albums du Kid de Minneapolis puisent essentiellement dans le funk et la new wave, la publication de Parade, marque une nouvelle orientation dans son cheminement artistique. Pour cet ultime opus avec le groupe The Revolution, Prince Rogers Nelson libère ses influences jazz et nourrit son funk expérimental d’un lyrisme très personnel.
C’est durant cette même année que les premiers conflits entre le compositeur et Warner Bros se manifestent. Au départ, fort du succès des opus précédents, Prince souhaite publier un triple album. Devant le refus de ses producteurs, il se résigne à disséminer ses œuvres sur ses productions à venir. Et compose l’album Parade, afin de rythmer sa deuxième expérience cinématographique, le film Under The Cherry Moon.
Under The Cherry Moon (trailer)
L’histoire met en scène le Kid (of course !), dans la peau d’un pianiste gigolo, et cherchant fortune sur la Côte d’Azur durant les années 30. Le film est tourné à Nice et voit débuter l’actrice Kristin Scott Thomas.
Les arrangements de l’orfèvre Clare Fischer, magnifient les sonorités jazz de la bande originale, recréant l’atmosphère des clubs d’avant-guerre. La teinte sépia est éloquente sur le titre suivant, véritable voyage dans le temps, où la voix de Prince démontre sa polyvalence.
Prince & The Revolution – Do U Lie ?
Under The Cherry Moon est très loin d’obtenir le succès de Purple Rain dans les salles. Il faut dire que cette fois, le Kid réalise lui-même l’adaptation cinématographique de son scénario.
Et de toute évidence, ses compétences derrière une caméra n’ont rien de comparables avec ses talents d’auteur-compositeur-interprète. Hormis quelques scènes marquantes, il faut bien avouer que le film n’aurait pas manqué au septième art. Cependant, encore une fois, la qualité de la bande originale alliée au charisme de Prince, sauvent grandement les meubles.
A commencer par ce titre, écrit avec son père John L.Nelson. Ce dernier, pianiste, est à l’origine de la précocité du jeune Prince Rogers Nelson. Lui donnant des leçons régulières, alimentant sa culture musicale au quotidien, il plaçait de grands espoirs en lui. C’est d’ailleurs John qui décida de le nommer Prince, selon lui, afin que l’enfant réalise tout ce qu’il n’avait pu accomplir.
Prince & The Revolution – Under The Cherry Moon
On retrouve cette même virtuosité lyrique sur le titre final Sometimes It Snows in April, bien que celui-ci soit signé par Wendy Melvoin et Lisa Coleman, deux membres de son groupe The Revolution.
Prince & The Revolution – Sometimes It Snows in April
Parade est un album marquant un virage positif dans l’univers du compositeur. Si le sexe occupe toujours une place importante dans ses textes, la névrose est moins présente, et Prince semble plus apaisé. Des titres comme Life Can Be So Nice, ou Anotherloverholenyohead, émanent une certaine joie de vivre.
Anotherloverholenyohead
Prince parvient à proposer un funk-pop très accessible, pourtant pourvu de mélodies ingénieuses, et d’arrangements élaborés. Difficile de résister au groove de Girls & Boys, titre sensuel au second degré entraînant et contagieux. Prince s’y essaie même au rap sur un court passage.
Quant à l’intro, c’est un cadeau fait par le compositeur à sa costumière française, Marie-France Drouin, créatrice de ses costumes de films, et de tournées, entre 1984 et 1986, et notamment de son fameux costume pourpre à dentelles et jabots.
Girls and Boys
Le célébrissime Kiss est, à l’origine, une démo acoustique d’une minute, couplet et refrain. Prince en fait cadeau au groupe Mazarati pour l’ouverture de leur album. Ces derniers remanient, développent, puis ramènent finalement le morceau à son essence. En entendant le résultat, Prince est impressionné et décide de l’inclure in extremis dans l’album Parade, non sans avoir ajouté la fameuse guitare funky du refrain et refait les voix. Il conserve le reste et crédite ses comparses. Warner n’est pas emballé à l’idée de le publier en single. Pourtant, après When Doves Cry et Let’s Go Crazy, ce titre devient le troisième number one au Billboard de l’artiste, et assurément son titre le plus populaire.
Kiss (version longue)
Le public est conquis, en particulier en Europe. La presse spécialisée est plus divisée, certains lui reprochant d’en faire trop. Parade est tout de même élu “Album de l’année 1986” par le New Musical Express.
“Prince a découragé beaucoup de fans noirs [avec cet album]. Je ne comprends pas leurs réactions. Les gens ne veulent pas que les artistes se répètent sans cesse, mais ils ne peuvent pas tolérer le changement non plus. Prince change tout le temps, travaillant toujours sur l’imagination du public, essayant toujours de garder une longueur d’avance. “
Chuck D (Public Enemy)
Porté par le succès des singles Kiss et Girls & Boys, l’album caracole en haut des classements. En revanche, le film Under a Cherry Moon est un fiasco. Dépité, par la suite, Prince se consacre exclusivement à la musique, domaine qu’il maîtrise le mieux, et dans lequel il est souvent considéré comme un virtuose. Il accouche l’année suivante de l’album plébiscité Sign O’ The Times.
Serge Debono