L’éternel complexe d’infériorité des Rolling Stones

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Les enfants gâtés du rock and roll circus

La presse a toujours opposé les Rolling Stones aux Beatles. Une rivalité montée de toutes pièces ? Oui et non. Sur un plan purement créatif, les Beatles n’ont jamais semblé désireux de se comparer aux Rolling Stones, préférant porter leur regard plus loin à l’Ouest, vers la Californie des Beach Boys. La vraie (saine) rivalité du rock des années 60 se jouait ainsi plutôt entre les Beatles et les Beach Boys. Paul McCartney vs. Brian Wilson. Sgt. Pepper’s Lonely Heart Club Band vs. Pet Sounds, etc. Les Stones eux, n’ont jamais inquiété les Beatles.

Rolling Stones vs. Beatles ? Vraiment ?

Récemment encore, Paul McCartney a jeté de l’huile sur le feu d’un vieux débat qu’on pensait dépassé : « C’est un groupe de reprise de blues. C’est ça que sont les Stones. Je pense que notre champs (celui des Beatles donc. Ndr) était plus vaste que le leur. » Ce qui a amusé Mick Jagger qui, sur scène, a répondu : « Paul McCartney est là, il va nous aider. Il va se joindre à nous plus tard pour une reprise de blues ! »

S’il plaisante -Macca n’était pas présent dans la salle-, Mick Jagger n’a probablement pas oublié que si le bassiste des Beatles avait déjà aidé les Stones. En 1963, alors que leur duo était déjà très productif, John Lennon et Paul McCartney avaient offert aux Stones le morceau I Wanna Be Your Man, leur permettant de se classer à la douzième position des charts britanniques. Un succès qui a d’autant plus inspiré le jeune manager des Stones, Andrew Loog Oldman à inciter Mick Jagger et Keith Richards à se retrousser les manches pour eux aussi composer en duo.

Et tant pis si à l’époque, I Wanna Be Your Man faisait plutôt office de lot de consolation pour les Stones. John Lennon ayant déclaré : « on n’allait pas leur donner quelque chose de génial non ? ».

Les sages paroles de Lemmy

The Rolling Stones et The Beatles

Les Beatles ont connu la gloire avant les Stones, qui se sont néanmoins rapidement hissés à leur niveau, si on ne considère uniquement que la popularité. Dès le début, la rivalité n’était donc qu’à sens unique. Il suffit de comparer les stratégies des deux managers, Brian Epstein et Andrew Loog Oldman pour s’en convaincre mais aussi de se souvenir de que disait Lemmy Kilmister à propos des deux formations (il ne fut pas le seul) :

« Les Beatles étaient de vrais durs. Brian Epstein les as rendus tout propres pour les conformer à la demande du marché mais c’étaient tout sauf des poules mouillées. Ils venaient de Liverpool, qui ressemble à Hambourg ou à Norfolk en Virginie -une ville dure avec tous ces dockers et ces marins qui passaient leur temps à se foutrent sur la gueule. Ringo vient du Dingle, qui est un putain de Bronx.

Les Rolling Stones eux, étaient des fils à maman. Ils étudiaient à la périphérie de Londres. Ils ont choisi d’aller mourir de faim en ville mais c’était un choix pour se donner une sorte d’aura. J’aimais bien les Stones mais ils étaient loin des Beatles, que ce soit au niveau de l’humour, de l’originalité, des chansons ou du look. Tout ce qu’ils avaient, c’était Mick Jagger qui dansait. Ils ont fait d’excellents disques mais ils ont toujours fait de la merde sur scène alors que les Beatles eux, assuraient. ».

La crédibilité de la rue

Car il n’y a pas que dans le hip-hop que ce que l’on appelle la « street credibility » compte. Pour le rock aussi. Et bien sûr, passer pour des bourgeois a toujours fait un peu tâche. Mais paradoxalement, si les Beatles étaient en effet issus des quartiers défavorisés de Liverpool, ils n’ont jamais cherché à prouver quoi que ce soit de ce côté là.

Brian Epstein les a transformés en gendres idéaux, ils ont pris ensuite leur envol et ont exploré différentes contrées musicales mais jamais ils n’ont semblé ressentir le besoin de rappeler qu’ils étaient « durs ». Ils l’étaient, c’est tout et tant pis pour ceux qui pensaient le contraire car pour eux, l’essentiel a vite été la musique et uniquement la musique.

Les Stones au contraire, se sont changés en bad boys pour prendre le contre-pied. Une stratégie plutôt intelligente de la part d’Andrew Loog Oldman qui a en effet inscrit la troupe de Jagger dans une dynamique plus méchante et impitoyable. Et c’est donc ainsi, collés au blues des légendes du Delta comme une tique sur le dos d’un chien, que les Stones ont aussi cherché à embrasser l’attitude de rebelles d’antan. Le tout pour en livrer une version plus contemporaine. Enfin, surtout Mick Jagger à vrai dire…

La ballade de Richards l’insolent hédoniste et de Jagger le calculateur diabolique

Rolling Stones

S’il est né dans un milieu plutôt favorable, sans être un Rockfeller non plus, Keith Richards n’a pas eu à forcer pour encourager son public à le considérer comme un bad guy. Il lui suffisait d’être lui-même. Pour Keef, tout à semblé couler le source et c’est donc avec un naturel confondant qu’il s’est laissé glisser dans l’archétype que son manager avait prévu pour lui. Brian Jones, l’ange blond du groupe, s’est lui aussi cramé très rapidement. Ses frasques ayant peu à peu compromis l’image de gentil garçon aux cheveux d’or que le dossier de presse présentait.

Concernant Charlie Watts et Bill Wyman, c’est un peu particulier car eux se sont focalisés sur la musique sans s’intéresser outre mesure à tout le cirque autour. Même quand Keith mettait la villa Nellcote à feu et à sang pendant l’enregistrement de Exile on Main Street en France, les deux « gentils » Stones avaient préféré louer des maisons éloignées et ne venir qu’au moment des répétitions et des sessions.

Mick Jagger en revanche, a très tôt adopté une stratégie totalement dictée par sa volonté de s’imposer et de prouver qu’il était le meilleur. En adéquation avec l’impulsion de départ donnée par son manager, il a commencé à affirmer son leadership au sein même de son groupe en s’associant avec Richards pour peu à peu pousser Brian Jones vers la sortie. On pourrait développer là-dessus mais ce serait trop long et de toute façon, là n’est pas le sujet. Jagger qui a aussi eu le cul entre deux chaises.

Deux personnalités se débattant dans un seul corps : d’un côté le mec plutôt raisonnable et carriériste et de l’autre le fauteur de troubles pris d’un fervent désir de secouer la société. Avec le temps, les deux ont heureusement fini par cohabiter dans une relative harmonie.

Course à l’armement rock and roll

Quand les Beatles ont sorti Sgt Pepper’s Lonely Heart Club Band, Jagger a voulu explorer la même direction et a incité, contre l’avis de Brian Jones, ses comparses à bosser sur un album plus psychédélique et en cela assez éloigné des racines blues des débuts. Racines auxquelles ils se sont reconnectés depuis, sans plus bouger.

L’expérience ne fut pas des plus concluantes mais entre temps, Jagger a plusieurs fois flirté avec les forces obscures pour se bâtir une image totalement opposée à celle de McCartney. Et c’est donc à cette époque que les Stones sortaient avec Kenneth Anger, le cinéaste de l’occulte, grand admirateur d’Aleister Crowley. La fameuse période « Sympathy for the Devil », durant laquelle les Stones ont tenté le diable jusqu’au point de non retour.

En décembre 1969, quand le groupe débarqua à Altamont devant une foule compacte, assoiffée et complètement shootée, Mick Jagger a bien affirmé son image diabolique. Grand stratège, il agissait presque comme un maître de guerre qui n’aimait rien tant contrôler des foules de plus en plus énormes au seul profit de son ego.

Le problème, c’est qu’à Altamont, Jagger n’a rien contrôlé du tout et un spectateur est mort sous les coups de couteau d’un Hells Angels (les Hells avaient été embauchés pour assurer la sécurité). Quelques mois après la plus grande célébration hippie de tous les temps, les Stones portèrent ainsi le coup de grâce à une utopie déjà à l’agonie suite aux meurtres perpétrés par la « famille » de Charles Manson.

Vieillir pied au plancher

Rolling Stones à Altamont

À partir de cet instant, Mick Jagger s’est calmé mais pas complètement non plus. Ce sentiment d’infériorité a toujours perduré. Du moins jusqu’au jour où les Beatles explosèrent en plein vol. De l’autre côté de l’Atlantique, Brian Wilson a lâché la rampe et son groupe s’est avéré beaucoup moins visionnaire que lorsqu’il tenait les commandes. Jimi Hendrix, Janis Joplin puis Jim Morrison sont morts et peu à peu, au fil de tumultueuses décennies, quelques-uns des plus grands géants du rock se sont éteints ou en tout cas calmés.

Les Rolling Stones eux, sont restés, envers et contre tous. Peu à peu, le combo s’est dédié à la scène. Les Anglais ont concentré leur force de frappe sur les stades. Ce qui a encouragé Jagger à répliquer à McCartney que si les Beatles n’existaient plus depuis longtemps, les Stones eux, remplissaient toujours les plus grandes arènes du monde. On a vu mieux comme répartie (surtout que Macca lui aussi remplit les stades. Sur son seul nom qui plus est). Au jeu de celui qui a la plus longue, Mick Jagger mise aujourd’hui avant tout sur la quantité.

Tous contre les Stones

Quelques semaines après la déclaration acerbe de McCartney, Roger Daltrey de The Who, un autre fameux ancien bagarreur des bas-fonds, a lancé une autre pique aux Stones : « On ne peut pas nier que Mick Jagger est toujours le showman numéro un du rock ‘n’ roll. Mais en tant que groupe, si vous étiez devant un pub et que vous entendiez cette musique en sortir, vous vous diriez : « Eh bien, c’est un groupe de pub médiocre ! » Sans vouloir manquer de respect. »

On peut avancer que derrière une telle remarque est motivée par la jalousie ou simplement par un pur désir de taquiner de vieux potes.

Sauf que voilà, en réalité, le ressenti de Daltrey traduit bien la position étrange que les Stones ont toujours occupée dans le rock and roll circus.

Dans le remarquable rockumentaire de Peter Jackson, Get Back, consacré aux sessions de l’album des Beatles Let It Be, John Lennon tente de convaincre George Harrison du fait que le manager Allan Klein pourrait faire beaucoup de bien aux Beatles. Il avance l’argument que grâce à Klein, les Stones ont gagné plus d’argent que les Beatles. Car oui, les Stones ont très tôt amassé des fortunes et c’est par ailleurs toujours le cas. Un empire que Mick Jagger a toujours mené d’une « langue » de fer, utilisant ses formidables dons de showman pour repousser l’inéluctable et lancer un défi au temps, bien aidé par ses comparses, à commencer par l’increvable Keith Richards.

It’s only rock and roll

Les Rolling Stones

Mick Jagger a souffert dès le début de la domination de Brian Jones. C’était lui qui était devant, les Stones était son groupe et les plus belles femmes le convoitaient lui. Quand Marianne Faithfull a rencontré pour la première fois Mick Jagger, elle n’a guère été impressionnée. Même si plus tard, elle s’est laissée séduire. Puis la chenille s’est transformée en papillon. Jones s’est laissé consumer par les drogues et Jagger a pris les devant pour s’imposer.

Il a aussi voulu faire du cinéma pour prouver qu’il pouvait réussir seul, mais est vite revenu aux Stones. Ce qu’il a toujours fait. Il s’est bâti une image à laquelle il est resté fidèle, a testé toutes sortes de limites mais est toujours resté dans le contrôle. Contrairement à Richards, Jagger n’a que très peu consommé de drogues. Car les drogues vous déconnectent de la réalité. Cette réalité que Jagger a sans cesse voulu contrôler pour régner sans partage.

Il est indéniable que les Rolling Stones sont l’un des plus grands groupes de tous les temps. Ne voyez pas ici une tentative pour les descendre en flèche car ce n’est pas le cas. Il s’agit juste d’une réflexion au sujet de cette course que les Stones ont mené pendant plus de 50 ans, pied au plancher. Et ils ont payé leur réussite au prix fort.

Une course aux nombreux virages, que Mick Jagger, cet ancien étudiant un peu complexé, a mené jusqu’au bout et continue par ailleurs à mener. Jagger, cette créature rock and roll unique en son genre, perpétuellement occupée à prouver sa valeur, concurrence ou non. En fait, à bien y regarder, cet article est un vibrant hommage. Si, si je vous assure.

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