Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil – Jean Yanne

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TOUT LE MONDE IL EST BEAU, TOUT LE MONDE IL EST GENTIL – Un film de Jean YANNE (1972)

Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil

Jean Yanne (1933/2003), bien que pratiquant lui-même un haut degré de mauvaise Foi, était un grand perturbateur de la pensée « convenable », un dénonciateur du mensonge public, un railleur des prédications politiques, formidable caricaturiste de la société. La contemporanéité de son propos vaut toujours nos jours, où lorsque les biais sociétaux se répètent dans le temps.

Outre Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil (1972), citons : Moi y’en a vouloir des sous (1973), Les chinois à Paris (1974) et, dans une moindre mesure car traitant de faits historiques (?), Deux heures moins le quart avant Jésus Christ (1982).

La Musique

En plus de réaliser ses propres films et d’y tenir les principaux rôles, Jean Yanne écrit les textes des chansons qui garnissent systématiquement leurs bandes originales.

Pour Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, il plante le décor dès le générique.

Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil

« Quand les pavés volent, comme de grands oiseaux gris, en plein dans la gueule des flics au regard surpris, quand ça Gay-Lussac, lorsque partout l’on entend, le bruit des matraques sur les crânes intelligents.
Dans la couleur de la nuit, le ciel m’offre son abri, et je pense à Jésus Christ, celui qu’a dit :
Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil !Quand dans le ciel calme, l’avion par-dessus les toits, verse son napalm sur le peuple indochinois, quand c’est la fringale, lorsqu’en place d’aliment, les feux du Bengale cuisent les petits enfants.
Dans la tiédeur de la nuit, la prière est mon appui, car je pense à Jésus Christ, celui qu’a dit :
Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil !Quand ça jordanise, quand le pauvre fedayin, copie par bêtise la prose à Mr Jourdain, quand le mercenaire, ne songe qu’à vivre en paix, et se désaltère avec un demi Biafrais.
Dans la fraîcheur de la nuit, je me sens tout attendri, en pensant à Jésus Christ, celui qu’a dit :
Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ! »

Ainsi, Jean Yanne qui, dès 1962, scandait : « J’aime pas le rock », dans un ancêtre du clip vidéo, présente pourtant des symptômes d’écriture similaires aux grands auteurs du genre, à savoir une critique et une dénonciation sans concessions des travers du monde. L’ex chansonnier y ajoute ce trait d’humour satirique et « no limit » qui le caractérisera tout au long de sa vie publique.

Tilt pour Jésus Christ

A la baguette et au pupitre, on retrouve un de ses proches amis, le chef d’orchestre Michel Magne, alors propriétaire du célébrissime studio d’enregistrements au Château d’Hérouville (David Bowie, T Rex, Pink Floyd, Elton John … mais aussi Eddy Mitchell, Johnny Hallyday, Michel Polnareff et quantité d’autres). M. Magne et surtout connu pour avoir composé les bandes son de la série des Angélique, des Fantomas, des OSS 117 et musicalisé nombre films à succès des années 60 (Un singe en hiver, Mélodie en sous-sol, Compartiment tueurs, Les Misérables …).

Pour Jean Yanne et cette fable satirique décrivant les milieux publicitaires et radiophoniques, il crée une palette de musiques allant de la sonate à la pop en passant par la java, le jerk, le tango, le blues et le mariachi. Question couleurs, il tutoie les toiles de Gauguin.

Notre père sur mesure

Habitué à mixer les genres musicaux, Jean Yanne avait déjà invité Magma et le Zeuhl dans son film précédent, Moi y’en a vouloir des sous.

Moi y’en a vouloir des sous – MAGMA

Il reste qu’un 33 tour peut bien contenir les meilleures chansons du monde, si le son n’y est pas … En 1972, Dominique Blanc-Francard est l’ingénieur du son attitré du Château. Orfèvre en son domaine, il passe de Michel Delpech et son déclaratif « Tu me fais planer », au 1er album éponyme de Warning, groupe de Hard Rock français. Le plus doué des faiseurs / enregistreurs de son dans le plus prestigieux des studios, la bande son de Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil lue au format vinyle chatoie d’une intensité et d’une précision diaboliques !

Tango Jésus

Le scénario

Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil est une critique sans concession des chaînes de radio doublée d’une gifle cinglante vis-à-vis de l’engouement général pour Jésus Christ et le mouvement « flower power » (parvenu à retardement en France) qui gagne les contemporains du film. Le jingle « Radio plus, radio plus, radio plus ! Jé-é-suuuus » en est témoin.

1972, la mini-jupe régnant sur la mode féminine, les cuisses des actrices envahissent l’écran. Le bout de tissu ou de cuir et les longues paires de jambes qui en émergent, émoustillent le spectateur au sortir de son usine. En effet, loin des édiles ou des chantres d’une « luxueuse » culture à la française, le film s’adresse au communs des mortels, les employés et autres ouvriers qui peuplent cette France qu’un 1er ministre nommera « d’en bas » quelques bévues linguistes plus tard.

Globalement, la décontraction d’une décennie sans nuages, les 70’s, tend à rendre le spectateur envieux ou nostalgique, en fonction de son âge.

Jésus, rends-moi Johnny

Synopsis : Christian Gerber, un journaliste de terrain se trouve en Amérique du Sud pour interviewer un « libérateur » du peuple opprimé. Seul professionnel à l’avoir réellement approché, mais sans témoignage après qu’on l’eut délesté de son magnétophone, il s’aperçoit que d’autres reporters livrent de faux reportages bidouillés depuis la piscine de leurs hôtels. Dépité, il revient en France pour découvrir un monde factice où les médias captent les auditeurs par la convoitise, à grands coups de pub, offres virtuelles destinées à occuper leurs esprits. Pendant ce temps-là, l’homme politique agit à sa guise. Toujours d’actualité ?

A partir de là, Gerber va user de moyens fallacieux, ceux-là même employés par les malfaisants, pour développer une campagne marketing ridiculisant le système.

Côté distribution : les acteurs

Une pléiade d’acteurs prêtent leurs jeux au scénario du Maître es « sarcasme ». Le truculent Bernard Blier, l’inébranlable Jacques François, les Frères Ennemis, le facétieux Michel Serrault, le malicieux Daniel Prévost, la parisienne Ginette Garcin, la pulpeuse Marina Vlady, un monde de gaudriole disparue, des dynamiteurs de morosité dont nous aurions grand besoin en 2020.

C’est de la merde

Tout le monde cabotine à loisir sous l’œil amusé du réalisateur, chacun puisant à l’excès dans son bagage des attitudes susceptibles de ridiculiser les personnages. La force de Jean Yanne réside dans cette impression qu’il ne dirige pas les acteurs, que tous jouent leurs propres rôles avec un naturel désarmant. Chouette réalisation « débraillée » au service d’un film jubilatoire !

La Morale

La « morale » de ce film c’est qu’il n’y en a pas. Chacun a le loisir de prendre sa vie en main ou de se laisser manipuler par des dictas imposés : la mode, la publicité, le monde politique et les médias en usant à satiété.

Par contre, l’humour apparaît comme un bon moyen de faire face, de ne pas plier. Dans le courant de ces années 70, d’autres que Jean Yanne ne se sont pas privés d’en faire autant. Pensons à Thierry Le Luron ou Coluche, des humoristes à la dent dure mais oh combien rafraîchissants par le principe qu’ils ont adopté : rien n’est sacré.

Alleluia garanti

De nos jours, certains osent toujours mais la censure règne sous cape. Alors, remontons le temps et gobergeons-nous du « je-m’en-foutisme » d’antan. Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ? Certainement … ou pas. Ça n’est qu’une question de point de vue …

Thierry Dauge

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