Ci-joint un avant-dernier extrait de l’ouvrage : « Pop Rock – Les instruments de l’ombre », qui sortira prochainement aux éditions du Camion Blanc. Merci Daniel de l’avoir permis. Merci Auguste pour l’avoir permis. Mes rencontres …
Accordéon, de l’amusette au Rock
Le Chevalier d’Éon était-il un homme ou une femme ? L’accordéon est-il musette ou pop’n’rock ? Comme il existe des êtres androgynes pour qui le « genre » ne s’exprime pas, il existe des instruments de musique qui font du « genre » leur compas : un coup ceci, un coup cela, un cercle, deux arcs de cercle, un angle droit. Avis d’un joueur de cornemuse : « Bon Scott, êtes-vous AC ou DC ? », « Ni l’un ni l’autre : je suis l’éclair entre les deux ».
En français
ARMENS – Ar-men
Outre Gérard Blanchard qui rudoie son « piano à bretelles » en attendant le retour de son amour, parti avec le loup dans les grottes de Rock-Amadour, ou comment sortir de la rime avec « toujours », des jeunes gens un zeste plus rock se sont intéressés à l’affaire « accordéon ». Les Lorientais d’Armens sont de ceux-là. Pourtant, en France, au même titre que le béret et la baguette de pain, sortir du cliché du musicien tout sourire envoyant un air de musette n’est pas chose aisée. Avec son rock traversé de folk celtique, Armens y parvient, oh combien !
Sur la chanson « Ar-men », extrait d’un premier CD auto produit puis de l’officiel Six différents (1999), l’accordéon lâche des riffs aussi puissant que ceux d’une guitare électrique. Ce qui fait sa force, c’est également son osmose avec un violon affirmant une présence similaire. Avouons que retrouver ces deux instruments dans une formation étiquetée « rock » n’est pas commun. Peut-on écrire que l’interprétation pop rock qu’en fait Armens sort ces instruments de l’ombre pour les mettre en lumière ?…
BLANKASS – L’ère de rien
Autre groupe français, autre utilisation « massive » d’un accordéon taillé dans le rock. Devenu la chose des frères Ledoux, Joan et Guillaume, Blankass est encore un groupe en 1998, lorsque sort L’ère de rien. Le deuxième morceau de l’album reprend ce titre. L’air de rien, il présente un mixage où l’accordéon et la voix sont en avant, faisant la part belle à une mélodie plutôt triste sur des paroles obscures, des envies d’ailleurs. Gage de qualité, deux ou trois écoutes suffisent à ce que la chanson s’ancre dans la mémoire.
Pour le reste du disque, malgré quelques sursauts, on compte les « décollages » sur les doigts d’une main. A noter, une cover du Clash dans sa langue originale, « Death or glory », comme une référence qui n’aurait pas essaimé. Dommage.
TÉLÉPHONE – New York avec toi
Voilà, c’est ça ! Un accordéon qui riffe comme une pelle électrique ! A grands coups de trique ! Inclue à la BO de Marche à l’ombre, « New York avec toi » fait partie de l’inconscient collectif français. Pourtant, l’album qui le porte : Un autre Monde (1984), déçoit son public à sa sortie. En fait, les mordus de Téléphone, fans de la première heure, n’adhèrent à rien après Crache ton venin (1979) : « C’est devenu de la variétoche ! ». Les puristes ont la dent dure.
Pourtant, Téléphone est peut-être bien « LE » groupe de rock français, celui qui accompagne les peines et les joies du quotidien. A ce titre, on peut tout lui pardonner, ou presque. Pour « New York avec toi », où est l’injure ?! Au cœur de ce postulat siège le duo « Aubertignac ». A les voir et entendre livrer des concerts intimistes sur les réseaux sociaux, beaucoup les considèrent tels des amis, des poteaux … à part Corine Marienneau.
En anglais
JETHRO TULL – Sealion
Non contant d’aligner une flûte traversière, sa marque de fabrique, et après y avoir apparié un violon, le Tull décide de pousser encore un peu plus loin sa muse. Au format vinyle, « Sealion » clôt la Face A de War child, album de 1974. Oh ! L’accordéon en question n’injecte qu’une courte grille d’accords au deux tiers de la chanson, sorte de pendant aux deux instruments sus cités, piment d’une guitare saturée. Si, dans ce cocktail, il n’est qu’un zeste, son apport aux sonorités bonifie les autres invités. Jethro Tull, libérateur des instruments ostracisés.
The WHO – Squeeze box
Du côté de Londres, Pete Townshend lie le « gros boutonneux » à un banjo dans le titre « Squeeze Box ». The Who ? On croirait presque entendre les Stones ! Le titre figure sur The Who by numbers, album de 1975 à la pochette gadget. Illustrée par une caricature du quatuor dessiné au « crayon », elle reprend un de ces jeux éducatifs pour enfants où l’on doit reconstituer un dessin en reliant des nombres. En plus de leur talent musical, les Who ont toujours eu de beaux visuels, le nez de Townshend mis à part, bien entendu (« On avait dit pas le physique ! »).
Billy JOEL – Vienna
Pendant que le Monde entier se destroy au punk, Billy Joel mitonne The stranger (1977), un menu cinq étoiles. S’il contient l’incontournable « Just the way you are », chanson jalousée par Stevie Wonder, y brillent tant d’autres médailles que celle des Arts et Lettres lui aurait été décernée si Joel avait été français. Outre arc en ciel et polenta, Mr Honesty expose des couleurs et goûts pluriels : « Pour produire des plats plus élaborés ».
Ainsi, des cuivres divers : clarinette, saxophone… ponctuent les titres jusqu’à « Vienna ». Dans celui-ci, un accordéon vient révérencieusement saluer la capitale autrichienne. Précisons qu’écouter « Vienna » dans un salon de thé, entre chocolat et chantilly, doit stimuler les glandes salivaires à s’en lécher les doigts.
Bob DYLAN – Beyond here lies nothin’
Bob Dylan fait appel au claviériste de Los Lobos (« La Bamba » !), afin qu’il manipule les touches nacrées du fruit de notre chronique sur son album Together through life (2009). Pour faire fleurir l’accordéon, le Zim lui associe une trompette et l’arrose d’accords de guitare bodybuildée. Les harmonies générées sont « phéromonales » ! « Beyond Here Lies Nothing » est une pièce de blues à la sensualité poisseuse qui s’immisce dans le répertoire de Dylan à l’opposé de ses « acoustiqueries » initiales. Et que dire du court-métrage qui l’image ?! Cliquez sur le lien, ci-dessus, vous verrez bien …
Bruce SPRINGSTEEN – 4th of july, Asbury Park (Sandy)
Cette chanson provient de l’album The wild, the innocent & The E Street shuffle (1973). Dany Federici y joue de l’accordéon. Pour saisir le lien qui unissait le Boss à son pianiste/accordéoniste, il faut se projeter plus loin dans sa discographie, jusqu’à Working on a dream (2009). Dans celui-ci, la chanson « The Last Carnival » anime d’un souffle sépia des bribes du passé. Guitare acoustique, chœurs aériens et, timidement, deux à trois notes d’accordéons en soutien.
C’est avec cette chanson toute en retenue que Bruce Springsteen a choisi de rendre hommage à son accordéoniste décédé. Pour que la boucle soit bouclée, Jason Federici, son fils, assure le lien. Pour celles et ceux qui en auraient douté, Springsteen, sous un aspect de docker, c’est essentiellement cela, un cœur qui bat.
Thierry Dauge
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