OCEAN on the Rock
En prélude à la sortie d’un ouvrage supervisé par notre ex collaborateur sur Cultures Co, Daniel Lesueur, auteur et directeur de collection aux éditions du Camion Blanc, permettez cet extrait revu pour les besoins du « format ». Ce futur ouvrage devrait sortir courant 2020 et traiter des instruments de musique incongrus ou inhabituels utilisés dans le rock.
La pop et le rock, ces deux vieux amants, ont-ils attendu le catastrophisme ambiant pour intégrer l’océan à leur quête commune d’éternelle adolescence ? Bien sûr que non ! En chroniqueurs du quotidien, elle et il recèlent en leur sein moult chansons brodées de bleu marine.
L’océan par le menu
Tous océans confondus, l’imposant volume d’eau salée couvre plus de 70% de la surface du globe. Il est animé par deux mouvements circadiens : les marées. La variation de la hauteur du niveau des océans se meut sous l’influence gravitationnelle conjuguée de la Lune et du Soleil. Inversement proportionnel à sa taille, l’influence de ce dernier est 0,5 fois moindre que celle de la Lune. Ces mouvements entraînent des courants nommés différemment en fonction que la marée « monte » : flux ou flot, ou qu’elle « descend » : reflux ou jusant.
JANE’S ADDICTION – Ocean size (inaudible dans la chanson)
Sous l’effet d’une secousse sismique (ou tremblement de terre), des phénomènes extraordinaires peuvent agiter l’océan. On les nomme : raz de marée ou tsunami. Ces mouvements s’apparentent à des vagues dont la puissance est fonction de la profondeur de l’océan où elles se créent, de la distance de l’onde qui les constitue et de leur vitesse de déplacement. Un tel descriptif en fait un allié idéal pour condimenter les réjouissances sonores d’artistes solos ou groupes de rock.
L’océan et le rock en dix chansons
Les sons produits ou issus de l’océan sont divers et variés : ressac, clapotements, vagues, plus toute la fresque sonore de la faune marine dont il est le refuge. Quels musiciens de rock, énamourés d’écume, ont-ils glissés un témoignage de leurs passions aquatiques dans au moins une de leurs chansons ? Ci-joints dix exemples …
JEFFERSON AIRPLANE – Wooden ships
Tiré de « Volunteers » (1969), « Wooden ships » propose dans son introduction quelques vagues alanguies sur le sable blond d’une plage de Californie. Sorti en novembre 1969, on y ressent encore les fragrances du Summer of Love que le festival d’Altamont empuantira un mois plus tard, allant même, peut-être, jusqu’à y mettre un terme. Outre la charmeuse et charmante chanteuse Grace Slick, Jefferson Airplane compte Jorma Kaukonen et Jack Casady comme guitariste et bassiste, deux futurs Hot Tuna. Affublé son groupe du nom d’un poisson, véritable protéine de la mer, pourrait signifier une addiction aux fonds marins s’il n’y avait ce « hot » révélateur, l’expression « hot tuna » signifiant littéralement « bonite en chaleur ». Dont acte.
AU BONHEUR DES DAMES – L’île du bonheur
Au Bonheur Des Dames, voilà des musiciens qui n’ont peur de rien, des adeptes du : « Faisons-le comme on le sent, suivons nos envies ». Dans son premier long format : « Twist » (1973), célèbre pour contenir le single « Oh les filles », les Hommes livrent « L’île du bonheur », un « chachacha » parcouru de verve rock ‘n’ rollienne. Pour en caresser le cocotier, des vagues viennent s’échouer avec bonheur sur le sable de sa partition. Derrière un look pseudo-humoristique se cache des instrumentistes aguerris qui, au travers de ce titre, exposent non seulement leur éclectisme musical mais également leur talent.
The WHO – I am the sea / The real me
« I am the sea » introduit « Quadrophenia » (1973), l’opéra « Mod » de Pete Townshend. Le ressac des vagues sur la jetée de Brighton, la « Brighton Pier », accompagne les deux minutes dix qui précèdent « The real me ». Peut-on parler de « chanson » à son propos ? Il s’agit bien plus d’une ambiance, d’une ode à la Mer du nord célébrée par son auteur. Pour ce qui concerne « Quadrophenia », le double 33, il fait suite à « Who’s next » (1971), opéra rock manqué par The Who mais néanmoins disque célébré dans le Monde entier. Il aura suffi de deux années supplémentaires à Townshend pour, cette fois-ci, réussir son nouveau pari après « Tommy » (1969).
Kate BUSH – Moving
Tirée du premier Lp de la Belle : « Wuthering heights » (1978), « Moving » commence par le chant mystérieux de cétacés : des baleines. La légende veut que des marins perdus en mer aient assimilés l’apparente nostalgie de ces résonances éthérés au chant des mythiques sirènes, alimentant la croyance en ces êtres mi femme, mi poisson. Au-delà, avec ce titre, Kate Bush développe un style qui lui est propre : une mélodie cristalline et merveilleuse au service d’une voix à l’insondable profondeur. On comprend tout de suite pourquoi, à l’époque, David Gilmour du Floyd s’en enticha.
WARNING – Going to USA
https://www.youtube.com/watch?v=AnE84ewWUc4
Bien que Trust l’ait devancé dans cette voie, Warning fait figure d’éclaireur du heavy metal français. A sa suite, une vague de gangs cloutés s’apprête à envahir le pays, parallèle à la New Wave Of British Heavy Metal de nos cousins britanniques. Le premier album éponyme du groupe sort en 1981. Il est introduit par ce titre : « Going to USA ». Les premières secondes laissent entendre la corne de brume d’un cargo sur fond de cris de mouettes. Cette image sonore évoque l’entrée d’un transatlantique dans le port de New York. Cela pourrait bien être une idée de Dominique Blanc-Francard, sorcier du son ayant œuvré à la table de mixage des légendaires studios du Château d’Hérouville et producteur du disque. Le reste de l’album est à l’avenant, clair et puissant.
QUEENSRYCHE – Anybody listening ?
Cet anachronique combo de heavy metal américain qu’est Queensrÿche sort un formidable enregistrement en 1990 : « Empire ». Épris d’esthétisme musical, les néo romantiques œuvrant aux destinés du combo composent leurs chansons tels des tableaux de maître, note après note, tablant d’avantage sur les impressions ressenties que sur les barbelés des riffs qu’ils assènent. « Anyboby listening ? » clôt l’album. Le titre se termine par de longues minutes d’un océan au jusant, apaisante musique d’un des éléments originels, volutes de fumées diaphanes exhalées par la bouche du canon à l’issue du bombardement.
PINK FLOYD – Marooned
Pink Floyd, on le sait, aime produire ce qu’il est commun d’appeler des concept-albums. Dans ce contexte, lier les titres via une manipulation en studio renforce l’impression de compacité. Le procédé favorise la progression temporelle d’une histoire, son cheminement vers une conclusion. Pour « The division bell » (1994), entre « Poles appart » et « Marooned », les musiciens (ou le producteur, Bob Ezrin, spécialiste de l’implant sonore) ont choisi des mouettes et des vagues que l’on pressent retentir au coucher du soleil, juste avant que ne tombe l’obscurité. L’habillage favorise l’alizé nocturne parcouru d’images sépia.
BLUR – Clover over Dover
Avec « Parklife » (1994), Blur sort de l’ornière pop où il vivotait jusqu’alors, rejoignant ainsi la première division des groupes bankable. La responsabilité de ce succès revient en grande partie aux chansons « Girls and boys » et « Parklife ». Mais loin d’être un album à « singles », d’autres ritournelles en son sein valent le détour. A cet égard, « Clover over dover » expose une cristallerie merveilleuse, un temple mélodique et précieux. Si la chanson s’annonce dans un maelström de raillements et pleurements mêlés, mouettes et goélands s’exprimant de concert, elle se termine dans un fade out de l’éternel ressac des vagues sur les micas et quartz érodés d’une plage abandonnée.
OASIS – Champagne supernova
Oasis, éternel rival médiatique de Blur, se doit de réagir lorsque ce dernier se met à truster les charts internationaux. La réplique ? « (What’s the story ?) Morning glory ? » (1995). Ce disque contient deux poids lourds : « Wondewall » et « Don’t look back in anger », des titres devenues des classiques. Et puis, parce qu’il faut bien une dernière chanson, le groupe s’y colle en produisant sept minutes trente d’une power balade au pont central cataclysmique: « Champagne supernova ». Cette « Longueur » débute les pieds dans l’eau, au son caractéristique de vaguelettes chahutant les moellons en granit d’un quai ou d’une digue. L’intimité ressentie penche pour un petit port de pêche, en Cornouailles ou Bretagne, désormais un « ami ».
DAFT PUNK – Fresh
Et oui ! Un des groupes les plus « synthétiques » de la planète : Daft Punk, aime également à exposer son amour pour l’océan. Et, encore une fois, quoi de mieux qu’une première livraison discographique : « Homework » (1997), pour y glisser le flux et reflux de l’écume bercée par les vagues. Alanguies, étendues sur le sable, elles n’en rythment pas moins une chanson au tracé d’électrocardiogramme plat. Une note unique prend naissance, assimilable à du larsen, puis parcours linéairement l’enregistrement. Elle n’est brodée que d’un mantra numérisé, quatre minutes d’encodage reprenant d’une voix quasi humaine une sorte de mélopée. Organique, l’élément marin représente la promesse inscrite dans le titre : « Fresh ».
L’océan, infini ?
Si la « démonstration » s’arrête au milieu des 90’s, l’océan, lui, continue de musicaliser de par le Monde, et jusqu’à nos jours, les rimes inspirées du poète. Peut-on pour autant parler d’instrument de musique pour ces vastes étendues qui donnent son surnom à la planète « bleue » ? Sans aucun doute. Quoi de plus beau, de plus pénétrant que les sons d’un océan en mouvement ? Peut-être l’homme entend-il la résurgence de sa vie prénatale dans cette symphonie aquatique ? Après tout, c’est de là, qu’il provient : de la « mère ».
Charles TRENET – La mer
Thierry Dauge