Jeanne Lee et Ran Blake – Le Jazz en apesanteur

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Jeanne Lee et Ran Blake
Le Jazz en apesanteur

Nougaro, dans son ode à sa Toulouse natale…

… avait évoqué, fouillant les tripes de la Ville Rose, une « bulle de Jazz ». Image qui épouse parfaitement l’OVNI, ou plutôt l’OMNI, Objet Musical Non Identifié, qui va atterrir en cette année 1961 dans les confins encore vierges de la Jazz Galaxy. À son bord, deux passagers, un homme et une femme. Mais ici, n’en déplaise au talentueux Francis Lai, point de « Chabadabada ». Loin des badinages balnéaires le propos serait plus céleste.

La passagère de notre sphère jazzy…

… c’est Jeanne Lee. Née en 1939 à New York, elle devient chanteuse professionnelle au début des années soixante après avoir étudié au Bard College, célèbre école d’art de la Grosse Pomme. Attirée par la déferlante free qui secoue le Jazz de cette époque, elle développe une technique vocale très libre qui puise aussi bien dans le Blues et le bon vieux Negro Spiritual que dans les improvisations audacieuses dans l’air du temps des sixties balbutiantes. C’est dans cet établissement qu’elle fait une rencontre décisive avec un autre étudiant, un certain Ran Blake…

… Qui n’est autre que le deuxième occupant…

… de cette soucoupe swinguante. Baby Ran voit le jour en 1935 à Springfield, Massachusets. Pianiste surdoué, il intègre lui aussi le Bard College où il sillonne avec passion les territoires du Jazz mais aussi de la musique classique, rêvant à d’inédites sonorités qu’engendrerait la fusion des deux styles. Songe devenu réalité car il deviendra un acteur reconnu du « Third Stream », mouvement apparu dans les années cinquante, mix du Jazz et de la musique classique européenne où improvisation et rigueur se livrent un doux combat riche en innovations. Séduit par son chant atypique, il noue une amitié solide avec la vocaliste et ne tarde pas à répéter en sa compagnie.

Une voix. Un piano….

… C’est dans cette configuration resserrée que le duo entre en studio en ce mois de novembre 1961 pour enregistrer « The Newest Sound Around ». Titre on ne peut plus évocateur tellement cette collaboration entre les deux artistes va être synonyme d’une approche totalement inédite et donner naissance à un album-phare dans l’histoire du Jazz chanté.

Quelques notes…

… aiguës puis graves, subtilement dissonantes, installent le climax sur l’intro de « Laura », composition qui ouvre l’album. Standard inusable du film d’Otto Preminger, cette Laura là s’évapore dans une ambiance quasi immatérielle lorsque la voix douce et profonde de Jeanne épouse les volutes éthérées de Ran. Toute la magie est là. Entre le jeu contrasté de Blake, tantôt dans une épure digne d’un Erik Satie, tantôt dans une puissance que n’auraient pas renié les plus féroces des boogie men, et la pureté du timbre de Jeanne Lee, aérien, en suspension, telle une mélodie délicatement glissée au creux de l’oreille.

Jeanne Lee et Ran Blake – The Newest Sound Around – Laura

Seule petite concession à cette intimité…

… le contrebassiste George Duvivier donne de ses quatre cordes sur deux morceaux, le sautillant « Season In The Sun » et le ténébreux « Evil Blues » où Jeanne Lee se livre à un scat aussi fluide que planant.

Jeanne Lee et Ran Blake – The Newest Sound Around – Season In The Sun

Jeanne Lee et Ran Blake – The Newest Sound Around – Evil Blues

D’autres classiques sont également revisités…

… comme « Summertime » où Gershwin se voit offrir un passeport pour le grand voyage stratosphérique. Hautes altitudes toutes aussi atteintes dans « Where Flamingos Fly », sommet intemporel de minimalisme où les deux complices, en sorciers vaudou modernes, jouent plus que jamais des silences pour mieux nous envôuter.

Jeanne Lee et Ran Blake – The Newest Sound Around – Where Flamingos Fly

Alors, prêts à suivre les flamants roses ?

Bio et discographie de Jeanne Lee ? Par ici
Bio et discographie de Ran Blake ? Par ici