Ce spectacle, c’est une bifle !
Pas sûr que ce soit la critique la plus répandue en sortant d’un spectacle de stand-up. Mais pas sûr que ce ne soit pas la plus adaptée pour Edgar-Yves…
Rien à voir, bien entendu, avec le fait que cet humoriste juvénile de 36 ans (selon la préfecture) menace la salle (en particulier les courageux des quatre premiers rangs) de sortir son sexe pour les gifler avec à chaque réaction jugée un tant soit peu déplacée. Ou si, peut-être bien après tout.
Edgar-Yves est solide sur scène, mais il faut l’être aussi pour aller le voir. Champions du premier degré, amateurs du « on ne peut plus rien dire » et fragiles en tout genre, passez votre chemin. Edgar-Yves n’en a « plus rien à foutre », pour notre plus grand bonheur. Et s’il n’épargne rien ni personne, il distille sa philosophie de vie : être vigilant et rester un homme libre. Vous cherchez un homme soumis ? Vous ne le trouverez pas sur scène. Et, qui que vous soyez, vous ne le soumettrez pas. Demandez à Bolloré ou Hanouna : ils ont essayé !
Edgar-Yves censuré par Bolloré
Au fil du spectacle, il nous emmène dans son sillage et nous fait réfléchir : pourquoi le plus grand nombre choisit-il de suivre la voie qu’on lui indique, sans chercher celle qu’il pourrait se tracer ? Pourquoi devrait-on obéir aveuglément ? Et pourquoi certaines personnes viennent faire exploser notre bulle de bonheur et notre monde de Bisounours avec toute leur négativité et leur pessimisme ? Et si la vie, c’était ça ? Un jeu de piste géant où les chemins les plus intéressants ne sont pas les plus évidents ? Et pourquoi serait-on obligé de se lever toute sa vie pour faire un métier que l’on n’aime pas ? Est-ce que c’est vivre ou survivre ? Il répond à sa façon à la question : « Pensez-vous vraiment qu’il n’y a pas de sot métier ? » La salle est unanime : non. Pourtant, à « Pensez-vous vraiment qu’il n’y a pas des boulots où on se fait chier ? », les exclamations deviennent murmures gênés…
Ne jamais se soumettre
Et si la bienpensance nous maintenait dans un monde insipide, où chaque individu qui essaie de sortir du système était mis à l’index ? À l’index, ou au pénis ! Car essayez donc d’expliquer à Edgar-Yves qu’il doit être fidèle : « C’est mon zizi ! Qui va m’expliquer que je ne peux pas le mettre là où je veux ? » Et, à bien y réfléchir il a raison : pourquoi ne pourrait-on pas décider de ce que nous voulons faire de nous-mêmes ? C’est chiant : on vient pour rigoler et on se retrouve face à un humoriste ultra intelligent qui fait cogiter aussi fort qu’il fait rigoler. Alors oui, on rit, mais on réfléchit : et quand on se regarde en face, on se dit souvent qu’on a manqué de vigilance dans nos vie.
Et c’est ça, qui gratte, démange, dérange et fait rire : Edgar-Yves met ce qu’il veut où il veut. Et surtout un grand coup de pied dans les conventions et les règles absconses. Et un grand coup de pied à l’humour !
Derrière un noir qui réussit, y’a toujours un blanc qui prend du cash !
Enfin… Jusqu’à un certain point. Parce qu’il a beau sous-entendre qu’il n’a peur de rien, que rien ne peut l’arrêter et qu’il a un gros sexe, il n’a tout de même pas osé blaguer sur le conflit israélo-palestinien. Serait-ce à dire que, malgré son phallus démesuré, il manquerait de couilles, contrairement à Guillaume Meurice, qu’il charrie gentiment ?
Je ne fais que soulever la question : loin de moi l’idée de manquer de vigilance et de tirer des conclusions hâtives. J’aurais bien trop peur de le croiser un jour, alors que je me promène tranquillement dans la rue, et de l’entendre m’intimer, me regardant droit dans les yeux : « Tourne-toi !!! » Je vais donc m’abstenir de répondre, parce que, franchement, je ne suis pas sûre de passer super bien à l’image chez Harry Roselmack quand il faudra témoigner : « Je ne comprends pas, au début, j’étais juste venue voir le spectacle d’Edgar-Yves, et puis comme je l’ai bien aimé, j’ai décidé d’écrire quelque chose dessus, et tout se passait bien, jusqu’à ce que je j’évoque la taille de ses testicules… »
Ne manquez pas de vigilance !
Vous n’avez aucune excuse pour ne pas aller voir Edgar-Yves sur scène. C’est, sans aucun doute, l’un des tout meilleurs. Et, en plus de dérouler son spectacle, il joue avec son public et rebondit, avec un sens de l’improvisation aiguisé, sur chaque interpellation des spectateurs. Rien ne l’arrête, et le temps qui passe non plus. À Annecy il est resté sur scène plus de 2h30, sans compter sa première partie. Une première partie, une fois n’est pas coutume, à la hauteur de l’artiste, assurée de main de maître par Antoine Tartrat, le petit blanc de service. Lui aussi, manie de main de maître l’humour noir. Ou doit-il dire qu’il manie, lui aussi, l’humour de son maître noir ?
Vous n’êtes pas encore convaincus ? Allez découvrir ses sketchs sur Youtube. Et s’il vous manque encore une bonne raison pour vous décider, alors, penchez pour la pitié. Comme Edgar-Yves n’a pas été vigilant, il doit une somme à cinq chiffres à l’Urssaf. Alors faites deux bonnes actions pour le prix d’une : sauvez un humoriste et œuvrez pour une minorité visible !*
Delphine Hossa
*Celle des artistes en mesure de payer des impôts.