Le Voyage de la peur – La cinéaste était en noir

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Le Voyage de la peur – La cinéaste était en noir

The Hitch-Hiker

Une route désertique. Quelque part en Californie, non loin de la frontière mexicaine. Une voiture, d’abord petit point minuscule à l’horizon, éclaire peu à peu de ses phares le ruban du macadam. À son bord, Roy et Gilbert. Deux vieux potes peinards qui partent en virée pêche, avec peut-être, cerise sur le gâteau, un petit détour dans un cabaret chaud de Mexicali. La conversation roule bon train et la bonne humeur est de mise. Alors quand surgit la silhouette d’un auto-stoppeur, les compères décident de s’arrêter pour charger le quidam. Sans le savoir encore ils viennent de changer le programme de la journée…

Arrêt sur image.

Stoppons là pour l’instant la bande-annonce. Bande-annonce ? Car oui, il s’agit bien d’un film. “Le Voyage de la peur“, “The Hitch-Hiker“, in english in the text. Sorti en 1953, il a été, fait encore exceptionnel à cette époque, réalisé par une femme. Une certaine Ida Lupino

Ida Lupino, la rebelle

Ida Lupino

Premières armes british

Née en 1918 à Londres, Ida Lupino est issue d’une dynastie de comédiens dont les origines remontent à la renaissance italienne. Un ADN qui l’attire très tôt, gamine, vers le théâtre puisqu’elle intègre à 13 ans l’Académie Royale d’Art Dramatique. Vite remarquée, elle fait ses débuts devant la caméra dans de petites productions sans lendemain. Peut-être, mais c’est en jetant un œil sur un de ces nanars que des dirigeants de la Paramount repèrent cette jeune actrice au charisme certain et lui proposent tout de go le rôle titre dans un de leurs projets, “Alice au pays des merveilles“.

Académie royale d'art dramatique
Académie Royale d’Art Dramatique

American dream

C’est donc à 15 ans que s’envole Ida Lupino vers les mirages d’Hollywood qui portent bien leurs noms car ça commence plutôt mal. La Paramount rétropédale et l’engagement promis tombe aux oubliettes. Trop sophistiquée pour le job, la môme, il paraît. Adieu Alice. Et bonjour quelques emplois sur des pellicules qui ne feront pas date dans l’histoire du 7ème art.

Paramount

La lumière qui s’éteint

Ou plutôt qui s’allume soudain pour l’apprentie star. 1939. Un film, “La Lumière qui s’éteint” (“The Light that Failed“), va être déterminant dans la carrière de la Lupino. Elle y incarne, dans une histoire de vengeance, une prostituée tourmentée à qui elle donne une véritable humanité, chose rare dans le cinéma des années 30 qui dépeignait ce type de personnage de manière caricaturale. Ce premier rôle digne de ce nom va déboucher sur une série de films, voire même de chefs-d’oeuvre comme “La grande évasion“, (“High Sierra“, à ne pas confondre avec celle de Steve McQueen) où elle donne la réplique au gigantesque Humphrey Bogart.

Ida Lupino
Ida Lupino dans “La lumière qui s’éteint”
Lupino Bogart
Avec Humphrey Bogart dans “High Sierra”

Fatale

Même si ces réalisations lui permettent de se faire un nom aux côtés des plus grands, Ida Lupino se rend compte qu’on l’utilise trop souvent dans les mêmes compositions de femmes fatales sulfureuses. Bref, Ida s’emmerde… Ce qui se passe derrière la caméra semble bien plus intéressant. Dans la série « le malheur des uns fait le bonheur des autres », un concours de circonstance va lui mettre le pied à l’étrier. Lors d’un tournage, le réalisateur jette l’éponge suite à une crise cardiaque. Ida, à l’arrache, termine le film et chope le virus. Elle sera cinéaste.

Ida Lupino
Ida Lupino, période “fatale”

The Filmakers

Avec son mari, le producteur et scénariste Collier Young, elle fonde sa société de production indépendante, The Filmakers. et devient, dans la foulée, la première femme à rejoindre le syndicat des réalisateurs, seule au milieu de 1300 hommes. Avec des budgets modestes et des acteurs peu connus, Ida Lupino monte des projets totalement à rebrousse poil du glamour tout puissant de ces années d’après-guerre. Ses films sont réalistes et abordent des sujets tabous comme la maladie avec “Faire face” (“Never Fear“) en 1949 ou le viol avec “Outrage” en 1950. Audacieuse, courageuse, en avance sur son temps, Ida envoie un bon de coup de pied dans la fourmilière auto-satisfaite du rêve américain qui restera, on s’en doute, insensible à ses prises de position. Les échecs commerciaux s’accumulent. C’est la faillite. Ida Lupino dissout The Filmakers après un dernier film.

Faire face film

Outrage film

Et quel film !
Une pépite…

Le Voyage de la peur

The Hitch-Hiker

Touche Play…

… Reprenons la lecture et retrouvons nos deux acolytes, Gilbert et Roy , en vadrouille pour aller taquiner la truite et plus, si affinités. Ils viennent donc de faire monter à bord un auto stoppeur perdu au beau milieu de la pampa. Mal leur en a pris. Le lascar qui tendait le pouce n’est autre qu’Emmett Myers, un criminel en fuite recherché par la police qui tente de passer la frontière pour s’évaporer au Mexique. Très vite Myers explique le topo tout en braquant son flingue sur les deux infortunés. La cavale ne fait que commencer…

The Hitch-Hiker -Extrait

Ida Lupino, avec ce film…

… change de registre, elle qui s’était forgé un style à part en abordant des sujets sociaux ancrés dans le quotidien. Car on tient là un pur film noir, genre très codé où l’esthétique, expressionniste, prend souvent le pas sur un souci de réalisme. Ida, toutefois, reste fidèle à elle même avec un scénario inspiré d’un fait réel, le massacre de six personnes en 1950 par un déséquilibré du nom de William Eward Cook. Elle ira même jusqu’à aller le rencontrer en prison pour mieux cerner le personnage.

Le voyage de la peur

Fière de ses convictions…

… et toujours franche-tireuse, elle devient aussi la première femme, et peut-être une des seules à ce jour, à tourner un film noir, chasse gardée des mecs réputée pour son machisme. Du genre “on fait des films de durs pour les durs”. Non mais…

Ida Lupino

Casting

Ida lupino, pour le rôle de Roy, choisit Edmond O’Brien, un acteur solide à la filmographie déjà bien remplie. Il connaît le monde du thriller et du polar comme la poche de son imper, son expérience sera donc profitable. Gilbert, lui, sera interprété par Frank Lovejoy, comédien plus discret mais néanmoins rompu au genre avec plusieurs rôles de détective sous le borsalino. Et puis il y a le méchant. Et un méchant bien méchamment méchant. C’est William Talman qui décroche la timbale et qui endosse la défroque de Myers le tueur. Talman n’a que trois films à son actif mais il a l’aura du mec inquiétant. La gueule de l’emploi. Et le talent aussi. Sa composition dans “Le Voyage de la peur” est tout simplement saisissante.

Ida Lupino
Ida Lupino dirige ses trois acteurs principaux

71 minutes

C’est la durée du film. Avec Ida ça ne traîne pas. C’est sec, tendu, intense du début à la fin. Pas de gras sur une intrigue somme toute assez basique. Tout l’intérêt est dans la mise en scène virtuose de ce petit bijou esthétique où tout concourt à embarquer le spectateur dans un trip sensoriel et émotionnel.

Voyage de la peur
Ida Lupino sur le tournage

Tout d’abord le décor…

… Original. Souvent au cinéma les prises d’otages ont pour cadre une banque ou une maison (“Desperate Hours“, avec Bogart). Ici une modeste bagnole sera le théâtre principal, à tel point qu’on peut presque la considérer comme un personnage à part entière.

Le voyage de la peur

C’est qui ce type ?

Car on ne voit d’abord de Myers que le revolver dans sa main. La caméra, ensuite, le cadre en dessous de la ceinture. Ses intentions ? Plutôt claires. Ne pas laisser de traces. Le début de l’intrigue n’est qu’une succession d’automobilistes aussitôt transformés en viande froide et délestés de leurs menue monnaie.  Son état d’esprit ? Aux abois ? Psychopathe au sang froid ? Mystère mystère…

Le voyage de la peur

Intérieur

Myers vient de s’installer sur la banquette arrière. Dans l’ombre, son visage, livide, creusé, avance soudain dans la lumière. Le mec à qui on n’a même pas envie de demander du feu. Les plans serrés et les éclairages contrastés sur les tronches terrorisées de Roy et Gilbert installent une claustrophobie et une ambiance malsaine.

Le voyage de la peur

Extérieur

Le cauchemar continue. Ils ont beau s’extirper de l’habitacle étroit sous le soleil écrasant maintenant haut dans le ciel, l’étouffement reste le même sous la menace du flingue du killer. Vous espériez un petit bol d’air ? Faudra attendre…

Le voyage de la peur

Nuit

La nuit arrive. Bivouac. Ida Lupino ajoute à ce moment une caractéristique étrange au personnage du criminel, à la limite du fantastique. Myers dort avec un œil ouvert, séquelle probable d’un mauvais traitement du temps de son enfance. D’ailleurs dort-il vraiment ? Sous le regard fixe de ce cyclope, Roy et Gilbert ne savent pas à quoi s’en tenir. Tenter une évasion ? Ou pas ? That is the question. Flippant isn’t it ?

Le voyage de la peur

La situation semble inextricable…

… Mais petit à petit, Les deux prisonniers vont passer de l’état de soumission et de désespoir à celui de révolte. Pas envie de crever là. Pas déjà ! Ils tenteront le tout pour le tout. Car c’est la seule solution…

Le voyage de la peur

… Que je ne vous narrerai point. Si vous voyez un de ces quatre cette superbe toile, ça vous gâcherait le plaisir de connaître la fin, non ?

Petit écran

Ida Lupino va ensuite peu à peu délaisser le cinéma et amorcera une carrière à la télévision. Elle réalisera de nombreux épisodes pour des séries comme “Alfred Hitchcock présente, “La Quatrième dimension” ou encore “Les Incorruptibles“. Elle quitte définitivement les plateaux en 1995, vaincue par le crabe.

Le Voyage de la peur – The Hitch-Hiker

Réalisation : Ida Lupino
Scénario : Robert L. Joseph, Ida Lupino, Collier Young
Producteur : Collier Young
Musique : Leith Stevens
Durée : 71 minutes
Date de sortie : USA : 30 mars 1953 – France : 16 octobre 1953

Distribution :

Edmond O’Brien : Roy Collins
Frank Lovejoy : Gilbert Bowen
William Talman : Emmett Myers
José Torvay : le capitaine Alvarado
Sam Hayes : lui même – Radio broadcaster
Jean Del Val : l’inspecteur général
Clark Howat : L’agent gouvernemental

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