Le heavy metal, musique underground ?
La quatrième saison de la série Netflix Stranger Things a fait exploser tous les records d’audience mais a eu aussi pour effet secondaire d’à nouveau propulser Master of Puppets de Metallica à la tête des charts. Au point d’encourager le groupe californien à se fendre d’une vidéo de remerciements avant d’inviter l’acteur Joseph Quinn (celui qui joue le métalleux Eddie, qui reprend Master of Puppets à la guitare dans une scène clé) dans les coulisses du Lollapalooza. Des images de Stanger Things ont même été projetées derrière les musiciens pendant le concert.
Du côté de la communauté metal, un fossé s’est creusé. Pas le genre qu’on voit dans les festivals, quand les spectateurs s’amusent à se rentrer dedans. Même si ici aussi, certains ne se sont pas privés pour s’affronter sur les réseaux sociaux afin de déterminer si le fait que Stranger Things avait permis aux plus jeunes de découvrir Metallica était une bonne ou une mauvaise chose. Une question qui en appelle une autre. Le metal est-il devenu trop mainstream ? Où trop « à la mode » si vous préférez. La musique des enfers peut-elle évoluer en plein jour et avoir sa place dans les playlists aux côtés de trucs plus consensuels et surtout pas metal du tout ?
Le réveil des gardiens du temple
On appelle gardiens du temple ces vieux de la vieille qui aiment à rappeler, dès que l’occasion se présente, les règles à respecter pour être un bon metalhead. Ce sont les mêmes qui soulignent, sans même parfois s’en rendre compte, à grand renfort d’arguments pas toujours convaincants, qu’ils ont découvert tel ou tel groupe en cassette audio, l’année de la sortie du premier album ou au cours d’un voyage aux États-Unis ou ailleurs, avant tout le monde. Pour ces gens-là, le fait de découvrir Metallica avec Master of Puppets dans une série aussi populaire que Stranger Things n’est pas une bonne chose.
Et le fait d’entendre Metallica affirmer que tous les fans, les plus anciens comme les nouveaux, sont à égalité, n’a fait qu’ajouter un peu d’huile dans un brasier déjà vivace. Mais il faut s’y faire : aujourd’hui, grâce à Stranger Things, Master of Puppets connaît une nouvelle jeunesse et beaucoup de jeunes adolescents veulent le jouer à la guitare. N’en déplaise à ceux qui ont oublié qu’eux aussi ont jadis découvert des artistes dans des films ou autres et qu’ils n’auraient probablement pas apprécié la condescendance de quelqu’un qui serait venu les trouver pour les rabaisser.
Master of fans
On a vu circuler depuis la diffusion du fameux épisode des mèmes qui se moquaient de celles et ceux qui avaient découvert Metallica dans Stranger Things. Dans la plupart de ces mèmes humoristiques, plus ou moins acerbes ou cyniques, les « vrais fans », ou gardiens du temple c’est vous qui voyez, s’amusaient à l’idée qu’un jeune hérétique puisse écouter en boucle Master of Puppets avant de faire quelques recherches dans la disco du groupe pour finalement tomber sur St. Anger, voire pire, Lulu, l’album scandaleux produit par Metallica avec Lou Reed. Une façon de se délecter de l’ignorance des nouveaux venus concernant la carrière du groupe qu’ils se sont mis à idolâtrer pour de mauvaises raisons (selon les « vrais fans »).
On peut donc en déduire que selon les gardiens, être fan d’un groupe, et plus particulièrement d’un groupe de metal, car la règle ne semble pas s’appliquer pour tous les styles de musique, ça se mérite. Aujourd’hui, c’est trop facile. Tout est à portée de main. Si tu n’as pas au moins deux ou trois pirates, les albums en K7,en CD et en vinyle chez toi et que tu ne sais pas qui est Cliff Burton, tu peux aller te rhabiller et plutôt écouter des trucs nazes qui passent à la radio.
Le paradoxe du métalleux 2.0
Quand le metal est né dans sa forme définitive, disons le 13 février 1970, dans les studios Regent Sound à Londres, sous l’impulsion de Black Sabbath, cette musique se destinait à évoluer dans les ténèbres et à ne toucher qu’un public friand de sonorités différentes. Dans les années 1980, un certain metal, celui des Guns N’ Roses par exemple, a rencontré un franc succès auprès de la « plèbe ». Par la suite, le nu metal, le thrash, et à plus forte raison des genres plus obscurs comme le death ou le black, sans oublier le hardcore ou le doom et le sludge, ont continué à progresser dans la marge, à un ou deux succès planétaires près.
On va un peu vite car le but de cette démonstration est de mettre en évidence le fait que depuis toujours, le metal a été considéré comme une musique adressée à des personnes bien particulières, finalement différentes de celles que les radios ont toujours visées. Notez bien que cela est surtout valable pour la France, car aux États-Unis ou en Angleterre, c’est tout de même légèrement différent. La France aurait-elle pu élever quelqu’un comme Ozzy Osbourne au rang de superstar ? Pas sûr…
Mais voilà, ces derniers temps, le metal s’est démocratisé sous nos latitudes. Des groupes comme Rammstein touchent un public très large. Un gars qui va voir les artificiers allemands sur scène le lundi, peut tout à fait se retrouver au premier rang d’un show d’Angèle le lendemain avant de se mettre en scène sur Tik Tok en train de jouer une reprise maladroite de Master of Puppets. Les frontières ont volé en éclat et ça ne plaît pas à tout le monde.
Le paradoxe, car il y a bien un paradoxe, c’est que certains métalleux, et je dis bien certains, n’aiment rien tant se plaindre du traitement peu enviable dont fait l’objet leur musique de prédilection. Dont ils font l’objet aussi d’ailleurs. Quand une partie de la communauté metal se réfugie auprès de groupes qui n’ont pas pour vocation de jouer dans les stades, d’autres se lamentent du fait qu’on entend plus de metal à la radio et que de manière générale, le metal est considéré comme un musique brouillonne.
Certains metalleux sont désespérément en quête de reconnaissance. Ils ont besoin que l’opinion publique approuve leurs goûts et reconnaisse la supériorité de leurs idoles. Pourquoi ? C’est un mystère.
La fête de l’enfer
Ces mêmes métalleux que l’on retrouve au Hellfest, en train d’hésiter devant les stands de bouffe entre un poke bowl à 18 €, une pizza à 20 € et une salade au chou kale à 10 € avant d’aller se désaltérer dans une micro-brasserie avec un verre lui aussi hors de prix. Et dire qu’avant, dans les concerts, on se sustentait avec des sandwichs aux steaks hachés surgelés et qu’on en redemandait.
C’est un fait, la communauté metal est divisée et s’est embourgeoisée. On retrouve d’un côté les metalheads bien contents de pouvoir sortir du bois et de l’autre ceux qui s’y enfoncent plus profondément. Et bien sûr, il y en a aussi qui s’en foutent, très au milieu, indifférents à ce genre de débat sans fin. Ce sont finalement eux les plus heureux.
Le Hellfest donc, participe en France directement à populariser la culture metal. Un bien ou un mal ? À chacun de voir. J’ai en tout cas du mal à comprendre comment on peut se réjouir de voir une ministre débarquer au concert des Guns. J’ai aussi du mal à piger comment certains peuvent se réjouir de voir le Hellfest se hisser à la première place des plus gros festivals français pour aller critiquer dans un même élan les spectateurs qui ne viennent que pour voir les têtes d’affiche. C’est un peu comme si le détendeur d’une carte à l’année à Disneyland fustigeait ceux qui venaient pour la première fois juste pour faire les manèges.
À l’heure où le parc Hellfest se prépare à ouvrir en permanence, avec des animations pour petits et grands, le metal lui, peut-il encore sonner comme une musique dangereuse ? Un gars avec les cheveux longs et crades, vêtu d’une veste à patch et d’un t-shirt Deicide peut-il encore effrayer les mamies ? Ces mêmes mamies qui se retrouvent tous les ans avant chaque Hellfest, invitées pour visiter le site et ainsi vérifier qu’aucune chèvre n’y est sacrifiée. Heureusement, le Hellfest, encore lui, a tout prévu, en vendant aux festivaliers des t-shirts ‘Survivors’ destinés à ceux qui ont « survécu » à l’intégralité de la fête, comme s’ils avaient participé au débarquement en Normandie.
Pour conclure
Si vous voulez mon avis, il n’y a bien sûr aucun mal, bien au contraire, à découvrir Metallica avec Stranger Things. Et cela même si on s’en tient à Master of Puppets. Pour autant, il est sûr qu’aujourd’hui en France, le metal n’effraie plus grand monde. C’est peut-être une bonne chose. Dans les allées du festival de l’enfer, la température est peut-être conforme au cahier des charges du domicile du grand cornu mais pour l’ambiance, c’est autre chose.
On joue sur plusieurs tableaux, on fait de la grande roue, on séduit les politiques et on voit à long terme. Chacun doit y trouver son compte et pour les autres, il reste heureusement des événements plus confidentiels où seule la musique compte et où on peut encore risquer de chopper une bonne gastro des familles en mangeant une chipolata pas fraîche pour 5 euros, frites comprises. Et dans ce genre de festival, c’est garanti sur facture, si un cuistot se pointe sur scène avec son groupe, ce ne sera pas parce qu’il est célèbre mais parce que sa musique justifie pleinement sa présence.