Le grunge a-t-il vraiment tué le hair metal ?

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Spandex vs. Flanelle

La rivalité entre le grunge et le heavy metal, ou plutôt le hair metal, pour être plus précis, ne date pas d’hier. Le premier aurait même tué le second au début des années 90. Une rivalité qui est revenue dans l’actualité ces dernières semaines quand Eddie Vedder, le vénérable leader de Pearl Jam, a décidé de l’ouvrir.

« Je travaillais à San Diego. J’installais du matériel dans les clubs. Je me retrouvais à des concerts auxquels je n’aurais pas choisi l’aller. Des groupes qui monopolisaient MTV à la fin des années 80. Des groupes de metal que, et j’essaie d’être gentil, je méprisais. Girls, Girls Girls, de Mötley Crüe. Putain. Je détestais ça. Je détestais l’image que ça donnait des hommes, et je détestais l’image que ça donnait des femmes. C’était tellement vide. Puis Guns N’ Roses est arrivé, et Dieu merci, ils avaient au moins un peu de mordant (…). J’ai apprécié une chose à cette époque : à Seattle, dans le public alternatif, les filles pouvaient porter des bottes de l’armée et des pulls, et leurs cheveux ressemblaient à ceux de Cat Power et non à ceux de Heather Locklear, même si je n’ai rien contre elle. Elles n’avaient pas besoin de se manquer de respect. Elles pouvaient avoir une opinion et être respectées. Je pense que c’est un changement qui a perduré. Ça semble tellement banal maintenant, mais avant ça, elles portaient des bustiers.”

Pearl Jam

Bien sûr, la réponse de Nikki Sixx, que l’on peut raisonnablement considérer comme le véritable patron de Mötley Crüe, ne s’est pas fait attendre :

« En considérant que Pearl Jam est l’un des groupes les plus ennuyeux de l’histoire, c’est une sorte de compliment non ? » Puis Eddie Vedder, inexplicablement, en a remis une couche, pendant un concert, en lançant une vanne au sujet de la batterie de Tommy Lee, qui en son temps, s’envolait dans les airs, précisant donc que son batteur à lui, n’avait pas besoin de tous ces artifices pour briller.

The Saints of Seattle

Je tenais jusque ici Eddie Vedder pour un mec assez raisonnable et discret. Pas vraiment le genre à faire la promo de son album en profitant de l’occasion pour tenter de flatter le mouvement Mee Too en rappelant que les mecs de Mötley Crüe étaient vraiment des sales cons qui traitaient les femmes comme des objets (et en de rares occasions, qui traitaient aussi les objets comme des femmes, mais c’est un autre problème). Le truc, c’est qu’il est indéniable que Vince Neil, Tommy Lee et Nikki Sixx (notez bien, je ne cite pas Mick Mars) ont certes à leur actif des trucs pas très glorieux voire carrément scandaleux. Il suffit de lire The Dirt, leur sulfureuse autobiographie pour s’en convaincre. Oui, ces types-là pouvaient se comporter comme des ordures avec les autres tout en s’infligeant bien plus à eux-mêmes. Les gars du grunge, Eddie Vedder en tête donc, en revanche, c’étaient vraiment des saints. Pour preuve, dans leur public, il n’y avait que des nanas en pull.

Nikki SIxx on stage

La réalité est néanmoins plus complexe, comme souvent. Car ce qu’oublie Eddie Vedder, c’est que toutes les filles qui, dans les années 80, se pointaient aux concert de Mötley Crüe, Poison ou, je ne sais pas moi, Cinderella, n’étaient pas toutes menacées, le couteau sous la gorge, pour porter un bustier et des jupes hyper courtes. Croyez-le ou non, mais certaines, pour ne pas dire la plupart, ou même, soyons fous, toutes, aimaient se fringuer comme ça. Tout comme celles qui allaient voir Mother Love Bone à Seattle avaient plus tendance à porter des pulls. Et oui, car à Seattle, contrairement à Los Angeles, il peut faire frisquet.

Une question de look

Plus sérieusement, en greffant sa promo sur une question brûlante et sensible, Eddie Vedder s’est méchamment viandé et a limité le public féminin à deux catégories, affirmant indirectement qu’il n’y avait que des filles exploitées et abusées aux shows de hair metal et que des nanas libres et couvertes des pieds à la tête dans les concerts grunge. Ce qui est parfaitement stupide. En cherchant bien, à l’époque, on devait même trouver des femmes qui aiment Mötley Crüe et Pearl Jam ! Poison et Alice in Chains. Ratt et Nirvana. Ce qu’il dit aussi, toujours indirectement, c’est que quelque part, ces filles n’avaient pas assez de personnalité pour se vêtir autrement que les gars qu’elles venaient voir. Imaginez un peu que vous vous pointiez à un show de KISS. La logique voudrait que vous portiez des maquillages. Obligatoirement ! Le lendemain, vous allez à un concert de Nickelback, et hop, vous voici affublé d’un vieux jean, d’une chemise à carreaux et d’une coupe mulet. Non non non, ce n’est pas réaliste.

Poison album

Il me vient des souvenirs d’une soirée en compagnie de Steel Panther, au Bikini à Toulouse. Steel Panther, c’est un peu un groupe d’imposteurs (le guitariste porte une perruque. Non pas parce qu’il est chauve mais parce à la ville, c’est un mec qui au fond, n’a rien de metal). Mais ils ont de bonnes chansons et ils sont drôles. Ils aiment aussi parler de cul, avec le même enthousiasme que Mötley Crüe du temps de Girls, Girls, Girls. Et bien ce soir-là, dans le public, quelques filles étaient en effet presque à poil. Et elles avaient l’air ravies ! Pourquoi ? Parce que tout le monde est différent et que la dernière fois que j’ai vérifié, on est encore en droit de faire comme on veut.

Fun, Fun, Fun

Alors non, ce n’est pas aussi simple qu’Eddie Vedder semble le penser. En cela, la réponse de Nikki Sixx a du sens. Oui, Pearl Jam a toujours été moins fun que Mötley Crüe. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui ont poussé le hair metal dans le fossé quand eut lieu la déferlante grunge.

Dans le film The Wrestler, Mickey Rourke et Marisa Tomei dansent sur Round and Round de Ratt dans un bar. Ce qui inspire à Mickey Rourke, qui pour rappel, joue un catcheur un peu looser, fan du heavy metal des années 80, une réflexion. Il dit que Kurt Cobain et tous ses potes ont tué le fun. Quel fun ? Celui incarné par les groupes du Sunset Strip qui ont régné pendant une bonne partie des années 1980 avant, il est vrai, de céder leur place en haut de la montagne. Pas faux Mickey. Avant, du côté du Whisky a Go Go et du Rainbow, on chantait au sujet des filles, de la fête, de la picole et de la drogue. On se pointait sur les planches attifé comme l’As de pique, dans un total mépris du bon goût et de la bien-séance, le sourire aux lèvres et on ne se prenait pas la tête. Le hair metal ? Une musique totalement décomplexée.

Mötley Crüe

Et puis sont arrivés ces mecs tristes, habillés avec des chemises en flanelle à carreaux, tirant la gueule. Aussi drogués, sinon plus, que les rois du Strip, ces types qui passaient leur temps à tirer la gueule, se sont fait les apôtres d’une musique plus sombre, renvoyant au punk primal et empruntant d’une certaine façon sa noirceur au heavy metal des débuts. Les chansons, tristes, crépusculaires, n’ont plus pris la forme d’invitations à la fiesta mais plus d’introspections terriblement déprimantes.

Smell like grunge spirit

Je ne dis pas que le grunge n’a pas engendré de bonnes choses. C’est même totalement l’inverse. Le grunge n’a engendré pour ainsi dire que du bon. Mais l’arrivée de Pearl Jam et Alice in Chains, puis le triomphe de Nevermind de Nirvana, a non seulement ringardisé le hair metal mais aussi poussé le public à considérer les choses autrement. Même en interview, des types comme Eddie Vedder semblaient se lamenter de leur condition de rocks star, visiblement inconscients de leur chance. Alors que des milliers d’apprentis rockeurs galéraient dans les clubs, eux, désormais au sommet, passaient leur temps à faire la gueule et à se plaindre. Ozzy Osbourne leur a d’ailleurs un jour conseillé de changer de métier si le leur leur causait autant de malheur.

Kickstart my heart

Quand Vince Neil et ses potes tournaient à la cocaïne, une drogue dite « festive », Layne Staley s’injectait de l’héroïne. Nikki Sixx a fait une overdose d’héroïne certes, mais s’il faillit perdre la vie, son enthousiasme n’a pas été entamé pour autant et il en a même tiré une super chanson (Kickstart My Heart). Quand Kurt Cobain a été proclamé héros du grunge, les autres, ceux qui portaient du spandex et du maquillage et qui passaient 3 heures dans leur loge pour se préparer avant les shows, ont vu leurs ventes d’albums chuter et leur musique reléguée au second plan. La fin d’une époque.
Pourtant, il y a quand même un peu d’hypocrisie là-dedans… Regardez Mike McCready, le guitariste de Pearl Jam. Un membre de la KISS Army, soit un groupe dont les codes, au niveau du look en tout cas, se rapprochent de ceux du hair metal. Le premier concert auquel a assisté Cobain ? Sammy Hagar ! Sans oublier ceux qui ont fait le pont. Le plus connu étant Duff McKagan, lui-même originaire de Seattle, un punk dans l’âme qui n’aurait pas fait tâche dans Alice in Chains, mais qui est devenu le bassiste des Guns N’ Roses. Et le look de Mother Love Bone on en parle ? En première partie de Cinderella, eux non plus n’auraient pas dépareillé. Jusqu’à ce qu’il se mettent à jouer en tout cas.

Kurt Cobain Unplugged

Axl Rose a tout de suite adoré le grunge et en particulier Nirvana. Quand Kurt Cobain a clairement exprimé son antipathie pour les Guns et pour toute cette scène, Axl en a été très peiné. Car on pourra dire ce qu’on voudra sur Axl Rose, mais pour lui, les barrières entre les genres et les préjugés n’avaient que peu d’importance. Il aimait autant Led Zeppelin qu’Elton John et autant Neil Young que Kurt Cobain. Cobain lui, était beaucoup plus cloisonné. Mais Cobain est mort et c’est donc forcément Axl Rose qui a endossé le mauvais rôle.

C’est dans les vieux pots qu’on fait la meilleure fusion

Revenons à Eddie Vedder. Aujourd’hui, le chanteur semble plus heureux de faire de la musique avec ses amis. Sur scène, il est assez jovial et ne se complaît plus dans des histoires déprimantes en chantant au sujet de l’amour perdu. Avec les années, les liens entre les anciennes gloires du grunge et celles du heavy metal californien se sont resserrés. Enfin pas pour tout le monde mais bon… Prenez Dave Grohl. Kurt Cobain détestait les Guns mais Grohl est pote avec Slash et Duff. Il a même prêté son trône à Axl quand il s’est pété la jambe. Mais Dave Grohl est une exception car sa culture est au fond très metal. Il est probable que pendant que Kurt écoutait Boston, lui se gavait déjà de trucs un peu plus brutaux.

Mötley-Crüe

Comment conclure… Le grunge a-t-il tué le metal ? Non. Comme le chante Jack Black dans le morceau The Metal de Tenacious D « No one can destroy the metal ». Plus sérieusement, il semblerait, quand on s’intéresse à l’histoire du hair metal, que celui-ci est plutôt passé au second plan de manière progressive. Quand Nirvana est arrivé, Mötley et compagnie accusaient déjà le coup. Il faut aussi rappeler que les Guns, sorte de groupe hybride, pas vraiment dans le hair mais pas dans le grunge non plus, à mi-chemin du hard, du heavy, du punk et du rock aux accents blues, ont changé la donne quand ils ont déboulé avec Appetite for Destruction. Nirvana a simplement incité le public, ou en tout cas une partie du public, à passer à autre chose. L’ambiance n’était pas non plus la même. Aux États-Unis, les années 80 ont rimé avec décadence, assurance et fiesta à tous les étages. Au début des années 90, le grunge a été la bande-son d’une gigantesque gueule de bois. Un cri du cœur désabusé venu du Nord, qui par la suite, s’est lui aussi fait remplacer sur le devant de la scène par le nu metal, après avoir imposé de nouvelles références.

Vince Neil on stage

Et puis, j’insiste là-dessus, mais Kurt Cobain est mort. Du côté des glammers, personne n’est mort. Personne de vraiment retentissant en tout cas. Car qui sait… Si Vince Neil avait perdu la vie et si de l’autre côté, Cobain avait continué ? Et bien aujourd’hui, si ça se trouve, c’est la tronche de surfer cocaïné de cette veille carne de Vince Neil que l’on retrouverait sur tous ces t-shirts. Mais non, Kurt s’est suicidé d’une balle dans la tête et Vince Neil a continué pour finalement ramener sa carrière solo à des performances pitoyables durant lesquelles il a du mal à aligner deux notes justes. Une autre forme de suicide…

Pourquoi choisir ?

J’aime tout autant Pearl Jam que Mötley Crüe. Après tout, pourquoi pas ? Je parie que je ne suis pas le seul. Et vous savez comment je fais pour accorder autant d’importance à l’un et à l’autre ? Et bien je ne sais pas vraiment. Enfin si je sais. C’est parce que la vie est ainsi faite. Il y a des jours où vous avez envie d’un truc qui balance et qui parle de nanas bien roulées, de bagnoles et de bitures. Là vous mettez Mötley Crüe sur votre platine. Le jour suivant, il pleut, vous avez le cafard et vous venez de renverser un pot de mayonnaise sur votre chemise à carreaux préférée. Pearl Jam remplace Mötley Crüe. C’est aussi simple que ça. Un jour on a envie de porter des jeans et le lendemain, sans aucune raison valable, on se pointe au boulot en cuissard rose avant de s’apercevoir que c’est vraiment déplacé. Dans un moment de faiblesse, on peut même se dire que le mec de Nickelback chante plutôt pas mal. Mais généralement, on s’aperçoit qu’en fait, on écoute Bryan Adams qui lui au moins, n’a jamais vraiment cédé à la nuque longue. M’enfin, je m’égare… Allez, ressaisis toi Eddie, ta musique est suffisamment bonne pour que tu nous épargne ces inepties.

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