Évocations d’une vie volée
Et si John Lennon avait survécu à ses blessures le 8 décembre 1980 ? Où serait-il aujourd’hui et plus important encore, que ferait-il ?
Il était une fois en Irlande…
Difficile d’imaginer que l’une des plus grandes rock stars de l’histoire de la musique vit ici depuis une quarantaine d’années. La maison est de taille modeste. Entièrement construite en pierre, elle dénote des bâtisses que l’on voit le plus souvent dans cette région de l’Irlande du Nord. Ses murs ne sont pas blancs mais grisâtres. La végétation a depuis bien longtemps entamé sa reconquête et rare sont les endroits où la mousse ou le lierre n’ont pas élu domicile.
De la cheminée s’échappe un mince filet de fumée. Nous sommes au mois d’avril mais les journées sont froides et parfois, notamment quand il pleut et que le vent se lève, on se souvient qu’il n’est pas rare que l’hiver joue les prolongations.
Le propriétaire de ce charmant cottage vit ici depuis l’année 1981 avec son épouse. Dans le village de Bushmills, tout le monde le connaît mais personne ne le traite comme un Beatle. Il est simplement John. John et Yoko évoluent comme deux personnes ordinaires. Ils font leurs courses dans les magasins du coin, se rendent de temps en temps au marché et il est fréquent de les croiser au pub The Scotch House, où ils discutent volontiers de tout et de rien avec les habitués. John Lennon a totalement arrêté d’enregistrer de la musique après la tentative d’assassinat de Mark Chapman, le 8 décembre 1980. Il ne s’est plus jamais produit sur scène non plus.
Changement de cap
Ce triste jour de décembre, Chapman a tiré plusieurs fois sur John Lennon alors que celui-ci regagnait son domicile accompagné de sa femme Yoko Ono. Une balle l’a raté et est allée briser une fenêtre du Dakota Building. Une autre l’a touché à l’épaule et la troisième a loupé de quelques millimètres son aorte. À l’hôpital, où il fut immédiatement emmené, les docteurs ont bien cru qu’il allait leur échapper mais la chance a une nouvelle fois souris à John, qui s’en est sorti. La convalescence fut longue et souvent douloureuse mais les visites de Yoko, du petit Sean, son fils de 5 ans ainsi que de Julian, son aîné, l’ont beaucoup aidé. Même ses anciens camarades George Harrison, Ringo Starr et Paul McCartney sont régulièrement passés le voir.
Quand il sortit de l’hôpital, John avait tout prévu. Le logement qu’il occupait depuis un moment déjà au Dakota avait été vidé depuis longtemps. Yoko s’était chargée de prospecter pour trouver une maison loin du tumulte new-yorkais. Alors qu’il luttait contre la mort, pensant que son heure était venue, John avait beaucoup pensé à sa vie, à ce qu’il avait accompli et à ce qu’il pourrait faire si jamais il survivait. Il avait alors repensé aux paroles de la chanson (Just Like) Starting Over. Un nouveau départ. Voilà ce qui lui fallait.
Isolation
Avec les Beatles, John Lennon a repoussé les limites de la création, imposé de nouveaux standards, composé d’innombrables chansons mémorables et gagné beaucoup d’argent. En solo, ou accompagné du Plastic Ono Band, il a continué à se montrer extrêmement créatif et a prouvé que même sans McCartney, il pouvait maintenir le niveau et continuer à offrir au monde des hymnes à la beauté indiscutable. Allongé sur son lit, meurtri et épuisé, il avait alors songé à tout arrêter. Après tout, il avait assez d’argent pour faire ce qu’il voulait. La musique était sa vie mais il sentait qu’il pourrait tout à fait continuer à composer et à écrire sans pour autant continuer à enregistrer. Il aspirait désormais à une vie paisible avec ses proches, loin du show business. Après avoir participé à sa rotation pendant de très nombreuses années, il était temps de se poser et de regarder la roue tourner sans lui.
Watching The Wheels
Bien sûr, au début, John et Yoko furent traqués par les journalistes et les fans. Double Fantasy venait de sortir quand John se fit tirer dessus et son nom était partout. Son rétablissement miracle a largement fait la une et partout on ne parlait que de lui. Le voir partir comme il l’a fait a frustré beaucoup de monde. Mais lui n’écoutait plus. Il ne prêtait pas attention au bruit ambiant et ne voulait qu’une chose : se reconnecter avec un mode de vie plus simple.
Emménager dans une maison somme tout ordinaire, certes suffisamment bien placée pour permettre à ses occupants de s’endormir au doux son des embruns, mais loin des châteaux de rock stars et autres têtes couronnées, n’a pas été difficile pour John. Pour lui qui venait des quartiers populaires de Liverpool, ce retour aux sources était plutôt naturel. Dans la salle à manger trônait son piano, sa guitare n’était jamais loin et les murs arboraient quelques souvenirs des années Beatles mais ces derniers se résumaient à une ou deux photos. Sa famille était nettement plus présente avec des portraits de ses enfants, de sa mère et de sa tante Mimi. Son père aussi était présent. John était en paix. En paix avec les fantômes de son passé et en paix avec lui-même. Il ne lui fallut pas beaucoup de temps entre ces murs pour s’apercevoir qu’il avait pris la bonne décision.
#9 Dream
Yoko ne souhaita pas mettre un terme à sa carrière et continua ses activités. John lui, passait ses journées dans son potager, quand le temps et la saison le permettaient, dans son salon, où il lisait et jouait de la musique, ou dehors. Il aimait se promener et profiter de l’air pur de la mer. Malgré tout, cela ne fut possible qu’au bout de plusieurs années. John se doutait que le public finirait par se lasser. Il était certes un ex-Beatle mais personne n’est irremplaçable pour les masses se disait-il. Et en effet, conformément à ses aspirations, au bout de quelques années, les sollicitations des fans se firent plus rares et John Lennon devint au yeux du monde une sorte d’ermite qui, à un moment clé de sa carrière, avait pris une décision inexplicable.
À une ou deux reprises, on lui proposa des sommes indécentes pour reformer les Beatles. Chaque fois il répondit non. À quoi bon ? Tout avait déjà été dit et bien dit. Les trois autres étaient d’accord et jamais ce refus ne fut à la source de nouvelles querelles. Paul, Ringo et George passaient à l’occasion et quand ils le faisaient, la musique résonnait jusque tard dans la nuit entre les murs du cottage des Lennon.
Retour au présent
John déguste son café sur une petite table installée dehors. Aujourd’hui, Sean et Julian doivent venir. En excellents termes, ses deux fils viennent d’achever un road trip dans l’Ouest des États-Unis. Si John a souhaité se retirer de la vie publique, ses enfants ont pris la relève. Julian et Sean sont des musiciens accomplis même si bien sûr, l’ombre de leur illustre père a semble-t-il toujours contraint les critiques à ne considérer leur musique que par le prisme d’une comparaison jamais vraiment à leur avantage. Yoko sort de la maison, un livre à la main, et vient s’installer en face de son mari. Elle lui sourit et il lui sourit en retour avec cet air espiègle qu’il n’a jamais perdu.
Stand By Me
Cette nuit, John a rêvé de George. Depuis son décès en novembre 2001, le plus jeune des Beatles s’invite souvent dans les rêves de John. À chaque fois les deux hommes sont heureux de se retrouver. Dans la maison, la radio diffuse Jealous Guy. Si John n’a plus jamais sorti de disques, ses anciennes compositions font toujours les beaux jours des programmations. Plusieurs best-of ont aussi été réédités. Jamais l’argent n’a cessé d’affluer. De l’argent que John et Yoko utilisent principalement à des fins caritatives. Certes le Liverpuldien sait qu’on ne change pas le monde à coup de chèques mais ses actions aident beaucoup de personnes. Jamais ses idéaux ne l’ont quitté. Le cynisme en revanche, l’a depuis longtemps abandonné.
S’il ne fait habituellement pas attention quand il vient à entendre l’une de ses chansons, ce matin c’est différent. Sur les ondes, Jealous Guy laisse la place à I Am the Walrus. Programmation spéciale Beatles. C’est au tour d’Imagine, l’un de ses plus grands succès. Depuis quelques temps, Lennon songe à revenir en studio. Une dernière fois. À 80 ans, il est encore en voix et à assez de chansons pour remplir une trentaine d’albums. Il lui suffirait de sélectionner les meilleures. Comme au bon vieux temps. Il se dit qu’il serait peut-être bon d’en toucher deux mots à Paul, juste pour connaître son avis… Le son d’une voiture qui approche le tire de ses rêveries. Julian et Sean sont arrivés.