GANG OF FOUR vs MAGAZINE – Post Punk / New Wave
Magazine ouvre le banc en juin 1978 avec Real Life, Gang Of Four le ferme en septembre 1979 avec Entertainement, la boucle est bouclée. Le « banc » de quoi ? D’une post punk / new wave intellectualisée, la crème, le sommet du genre !
Les deux formations reprennent les partitions là où des précurseurs avaient commencé à les écrire, des formations comme Wire qui, dès 1977, voyaient déjà plus loin que le punk. Et puis, en bons musiciens, ceux-là oubliaient de ne pas savoir jouer.
MAGAZINE
Initiateur de la formation avec de John McGeoch, Howard Devoto s’est d’abord illustré au côté de Pete Shelley au sein de Buzzcocks. Il quitte ces derniers après l’enregistrement d’un EP quatre titres, au moment où le succès pointe son museau luisant et avant la sortie d’Another music in a different kitchen (1978), album auquel il ne participe pas.
Avec Magazine, il célèbre le mariage synthétiseur / guitare, se rapprochant ainsi de son influence principale : Roxy Music. Real Life est un modèle de compositions plurielles, un album « dru » où la guitare, le chant et le clavier s’associent au bénéfice d’un rock classieusement relooké. Ce premier « touchdown » épouse les platines au millième de tour, centre la difficile cible de l’intérêt. Original du début à la fin, le qualificatif « d’incontournable » lui sied royalement.
MAGAZINE – Definitive Gaze
Les mélodies pleuvent telle la mousson aux Indes. Les mélomanes, assaillis, s’y vautrent avec concupiscence, buvant à la coupe ce nectar AOC. La dynamique à l’œuvre relève du miraculeux, de la divine surprise, ou comment culbuter les foules avec les éternelles sept mêmes notes. Que les chansons sonnent la charge ou qu’elles promeuvent l’introspection, il ne persiste pas une once de déchet entre la plume qui rédigea les notes et ceux qui les jouent. Les superlatifs font défauts tant les titres surprennent sans pour autant déconcerter. La première écoute, loin du « déjà-vu », sonne pourtant familier ou, plutôt, à l’idéal de celle qu’on attendait depuis toujours.
Shot By Both Sides
A la suite de cette centrale atomique, la deuxième livraison fait pâle figure … mais The Correct Use Of Soap (1980), troisième du nom, cale à nouveau le propos sur l’index « excellent ». Et puis … et puis l’érosion, les inévitables querelles d’ego drivent le groupe vers le split , le public vers le spleen. Une réminiscence appètente livrée en 2011, No Thyself, ranime la flamme, iridescente qui, carburant consumé, s’éteint pour de bon (?). Fin du règne. Reste les sillons, en premier lieu celui de Real Life, dont le soc des diamants ne se lasse qu’avec l’usure … le temps qu’une main experte ne le remplace. Alors, la giration reprend …
MAGAZINE – Motorcade
Magazine, à lire absolument !
GANG OF FOUR
Sur la pochette, les trois vignettes « poignée de main » sont encadrées d’un commentaire sans équivoque : « The Indian smiles, he thinks that the cowboy is his friend. The cowboy smiles, he is glad the Indian is fooled. Now he can exploit him». Signifiée dans les textes, l’intention tacle au ventre, énervée. Côté « violon », l’approche est complètement originale. La guitare aigrelette tranche des accords saccadés dans le lit d’une basse proéminente. La batterie débite des rythmes à l’avenant, déstructurés : The Cure meets DEVO dans une chambre froide pendant que The B-52’s, l’humour en moins, raclent les amygdales.
Le chant, quant à lui, est … Anglais ! Accent « labor », diction hachée, jeunesse éduquée revendiquant le droit au chapitre, stigmatisant un monde politique orchestré par une post aristocratie vieillissante et gangrenée. Du premier au dernier titre : ça claque !
GANG OF FOUR – Ether
L’écoute d’Entertainment procure une joie profonde, bonheur ressenti lorsque la musique se vêt d’inattendu, provoque l’innovation. Le son clair et net participe à ce sentiment, chaque instrument jaillissant des enceintes dans une bulle de simplicité désarmante. Au pays du numérique, une main destructrice aurait enveloppé tout ça, arasant les crêtes, les réduisant au silence sous prétexte d’homogénéité. Tel quel, le fil barbelé est cisaillé en tronçons tous plus blessant les uns que les autres. Qu’il est bon de se laisser piétiner par des assemblages de notes en liberté !
Damage Goods
On mesure l’intérêt d’un enregistrement à la taille de son sablier. Cette fameuse marche en avant a érodé bien des montagnes érigées en leurs temps. Lorsque la réécoute d’un disque sorti quarante ans plus tôt provoque un érectile engouement, c’est peut-être qu’il anticipait bien des mouvements. Et il y a fort à parier que la formule ne perde en rien le goût du bon vin, son énergie perdurant ad vitam aeternam au travers les décennies. Avec Entertainement, Gang Of Four supplante l’alchimiste dans sa quête d’éternelle jeunesse.
GANG OF FOUR – 5.45
Au contraire de Magazine, Gang Of Four, même s’il a grandement espacé ses livraisons, n’a pas jeté l’éponge. En 2019, il sort Happy Now, tout un programme. Si les chansons captent toujours l’attention, des regrets naissent quant à leur son. Non qu’il soit « pourri », mais tellement contemporain. On se prête alors à rêver à la façon dont elles auraient sonné quarante ans plus tôt.
GANG OF FOUR « et » MAGAZINE …
Post Punk ? New Wave ? Ces deux qualificatifs n’ont plus de sens à présent. La musique est emballée, calibrée, élaborée pour répondre à des critères en place : séduire les jeunes, les moins jeunes, les ménagères … C’est d’une telle pauvreté, ressassant sempiternellement les mêmes poncifs usés … Mais restent et perdurent les « vieux cons ». Pour ceux-là, rien à faire ! Ils sont ir-ré-cu-pé-ra-bles … et « irrécupérés ». Docteur, c’est grave ?
MAGAZINE – Recoil
GANG OF FOUR – Anthrax
Même pas mal !
Il faut, de temps en temps, se réclamer de la Confrérie. Magazine et Gang Of Four, deux occasions de le faire.
Thierry Dauge