Kate Bush enregistre son troisième album à la fin de l’année 1979. Oeuvre phare, « Never For Ever » va marquer plusieurs générations de musiciens, et la faire entrer dans les annales de la musique pop et électronique.
Quelques mois plus tôt, éprouvée nerveusement par les enjeux financiers de sa seule tournée, Kate Bush décide de se consacrer à son travail en studio. Sur les conseils de son ami Peter Gabriel, elle fait l’acquisition d’un engin révolutionnaire : le Fairlight CMI. L’objet se présente comme un orgue à double clavier équipé d’un échantillonneur numérique. Un instrument totalement novateur pour l’époque et qui va servir l’écriture de Never For Ever.
Entre pureté et technologie
Kate Bush s’enferme plusieurs semaines consécutives dans les studios d’Abbey Road avec son nouveau jouet, claquant des portes, brisant la vaisselle de la cantine, et tirant même à la carabine, afin d’obtenir des sons additionnels pour le futur mixage de son disque.
Paradoxalement, la compositrice décide de faire une large place aux instruments acoustiques. Son frère aîné, Paddy Bush, membre de son orchestre, est multi-instrumentiste. Scie musicale, mandoline, balalaïka (sur « Babooshka »), psaltérion, sitar ou harmonica se fondent dans une production léchée au degré élevé de sophistication. Toutefois, le piano reste central, et le chant presque toujours brut.
Une jeune artiste devenue « femme »
Never For Ever est l’œuvre d’une jeune fille devenue adulte et assumant sa féminité à travers des personnages crées de toute pièce. A l’image de la célèbre « Babooshka », épouse délaissée et guerrière vengeresse souhaitant piéger son époux en se créant une double identité, elle finira par tout perdre. Dans le clip, la contrebasse représente d’ailleurs le mari, de manière symbolique bien sûr…
Kate Bush – Babooshka (Never For Ever)
Depuis ses débuts, et son premier tube Wuthering Heights, il s’agit là de son oeuvre la plus innovante. Proche de l’album concept, Never For Ever contient notamment ce thème d’ambiance quasi instrumental, hommage au musicien britannique Frederick Delius. Un titre qui exhale les premières manifestations printanières…
Kate Bush – Delius (Never For Ever)
« Egypt » ou « All we ever look for » sont teintés de sonorités orientales qui s’accordent parfaitement à la voix de Kate, et à ses instrumentaux. Ils contribuent à affirmer son style romantique, évaporé et voyageur…
Kate Bush – All We Ever Look For (Never For Ever)
Le titre « Blow Away (For Bill) » est un hommage rendu à l’éclairagiste décédé durant la tournée de l’album « Lionheart ». Marquée par cette disparition tragique, Kate Bush y fera encore référence des années plus tard (« Moments of Pleasure »).
« Fondamentalement l’homme et la femme ont des natures très différentes voire opposées. Irréconciliables le plus souvent. Même les élans du sexe ne parviennent pas à combler le fossé. Sauf en de trop brefs instants. C’est là l’origine du malentendu. Le reste du temps nous nous cherchons comme des aveugles. » KB
Le thème de la femme baffouée est encore une fois développé sur une des pièces maîtresses de l’album. « The Wedding List », crescendo pop-rock aux accents funk est directement inspiré du film de François Truffaut, « La Mariée était en noir »…
Kate Bush – The Wedding List (Never For Ever)
« Violin » fait référence au violoniste virtuose Paganini qu’elle écoute depuis son enfance. Un titre de rock pur et rageur, où les guitares tranchent et les violons dépotent, et qui n’a pas grand chose à envier à Nina Hagen…
Kate Bush – Violin (Never For Ever)
« Infant Kiss » évoque dans une ballade aux chœurs mystiques, l’histoire osée d’une femme éprise d’un jeune garçon. Dans la foulée, et sans interruption, un titre de transition de 50 secondes, « Night Scented Stock ». Dix ans avant Jamiroquai, Kate Bush intègre dans une oeuvre pop, des didgeridoos australiens…
Kate Bush – Night Scented Stock
Cet intermède prépare merveilleusement au délicieux « Army Dreamers ». Berceuse obsessionnelle, onirique et antimilitariste, elle est dédiée aux rêveurs peuplant notre monde…
Kate Bush – Army Dreamers
L’album Never For Ever se termine par le vaporeux « Breathing ». Il est publié en premier single, deux mois avant Babooshka, et cinq mois avant la sortie officielle de l’album.
Kate Bush – Breathing
Au final, c’est une oeuvre très aboutie où la chanteuse commence à déployer ses quatre octaves de manière intelligente, sans esbroufe, tout en intégrant une batterie de sons et de chœurs masculins à ses compositions. Never For Ever est un succès critique, et une réussite commerciale puisque Kate devient la première femme anglaise à classer un album en tête des charts.
Jeune femme discrète et indépendante, elle se livre peu aux médias et fonde son propre label. A l’âge de 22 ans, Kate Bush impressionne par son talent et son professionnalisme. Louée par ses collaborateurs et la presse spécialisée, elle est baptisée « La Sorcière du Son ». Un surnom qu’elle justifiera pleinement sur son album suivant, « The Dreaming ».
Serge Debono