Des bandits qui se croyaient intouchables
L’histoire des jumeaux KRAY et de leurs méfaits se retrouve dans le livre Sexpionnage à Londres.
Nés en 1933, les Londoniens « Reggie » et « Ronny » Kray ont d’abord entamé une carrière de boxeurs et n’ont jamais perdu un seul combat.
Des matches truqués ?
Vedettes locales à 19 ans, ils n’en sont pas moins des malfrats. En 1952, ils sont appelés sous les drapeaux. Leur père était parvenu à déserter pendant la guerre, ils vont suivre son exemple… avec moins de succès. Dès le premier jour de leur incorporation, en effet, ils s’échappent de la caserne après avoir molesté l’agent recruteur. Le lendemain matin ils investissaient la prison militaire. Ils désertent à nouveau, se font reprendre par un flic en faction et le castagnent avant d’être conduits de force à la Tour de Londres. Là, ils sont provisoirement incarcérés avant d’être jugés par une cour martiale. Leur conduite en cellule fut si ignoble qu’ils furent réformés, l’Armée les jugeant indignes de porter l’uniforme.
Avant d’être rendus à la vie civile, ils s’évadèrent encore une fois. Toute une nuit, ils menèrent grande vie dans un night club de Canterbury, se délectant des cigarillos qu’ils avaient extorqués à leur gardien avant de prendre la poudre d’escampette.
Leurs casiers judiciaires étaient si chargés qu’ils n’avaient plus aucune chance de continuer leur carrière de boxeurs professionnels.
Le banditisme leur ouvrait de nouveaux horizons :
Racket, agressions à main armée avec leur gang surnommé The Firm…
En 1960, Ronnie purge une peine de dix-huit mois d’emprisonnement. A sa sortie, il prend la gérance d’une, puis de plusieurs boîtes de nuit où passera tout le gratin de la société anglo-saxonne. Des hommes politiques britanniques à l’actrice Diana Dors, sans oublier les artistes américains de passage en Europe. (Frank Sinatra, Judy Garland… deux noms qui fleurent bon la drogue et la mafia).
Les Beatles et les Rolling Stones gouvernaient la pop, Carnaby Street gouvernait le monde de la mode… Et mon frère et moi gouvernions Londres. Putain, on était intouchables… (extrait de My Story, autobiographie de Ronald Kray).
C’était vrai : ils étaient reçus sur les plateaux de télévision, David Bailey les prenait en photo. C’était le bon temps. Leurs méthodes expéditives faisaient école, des businessmen réclamaient leur « protection » pour écraser leurs rivaux.
En 1963 le Sunday Mirror, hebdo à scandales, révéla que Ronnie, qui était bisexuel, avait des relations avec le baron Robert Boothby, un parlementaire conservateur très controversé (depuis dix ans, il faisait campagne en faveur de la dépénalisation de l’homosexualité) et qu’en outre il organisait pour lui des orgies. L’information fut étouffée. Camouflée durant plusieurs mois, elle ressurgit discrètement dans les pages de la revue concurrente. Celle-là favorable au parti travailliste… Hélas, le travailliste Tom Driberg était lui aussi impliqué.
Bref, aucun des deux partis n’avait trop intérêt à ce que leurs journaux respectifs ébruitent le scandale, d’autant que Boothby menaçait de traîner le Sunday Mirror en justice. Boothby était glauque mais personne n’osait le dire. Il était trop influent et trop protégé : parmi ses nombreuses maîtresses figurait Dorothy Macmillan, l’épouse de Harold Macmillan, Premier ministre de 1957 à 1963. La rumeur prétend d’ailleurs que Boothby serait le père d’une des enfants des Macmillan.
Les frères Kray, sous la protection de Driberg et de Boothby, allaient pouvoir continuer leurs méfaits en toute impunité pendant encore trois ans, d’autant que personne n’osait porter plainte ou témoigner contre eux de peur de violentes représailles.
En 1965 les frangins son arrêtés pour avoir tenté de racketer Hew McGowan, patron du club le Hideaway. On en parla jusqu’à la Chambre des Lords où Boothby se scandilisa de leur détention.
Un mois plus tard, ils étaient libres… et possédaient le Hideaway immédiatement rebaptisé El Morocco. La même année Reggie épousa Frances Shea. Le mariage ne dura que huit semaines bien que le divorce n’ait jamais été prononcé. La presse annonça début 1967 le suicide de Frances. Ce n’est qu’en 2002 qu’une ex-petite amie révéla que c’était son frère Ronnie, jaloux, qui l’avait tuée. Cette histoire fut confirmée par un codétenu de Reggie : son frère lui avait avoué son crime deux jours après l’avoir accompli.
Une confrontation entre deux bandes rivales, celle des Kray et celle des Richardson, eut lieu à Noël 1965. George Cornell, de la bande adverse, traita Ronald Kray de grosse pouffe. Il en résulta une guerre des gangs.
Le 8 mars 1966, Richard Hart, un associé des Kray, était abattu dans un club du sud de Londres. Un certain Frankie Fraser (qui passera au total 42 ans de sa vie en prison) sera soupçonné puis relâché. Le jour suivant (9 mars 1966), Ronnie, persuadé que c’est Cornell qui a tué Hart, l’abat d’une balle dans la tête. L’assassinat a lieu dans le pub « The Blind Beggar » au milieu d’une foule de témoins qui se garderont bien d’en parler : Ronnie était diagnostiqué comme étant schizophrénique et paranoïaque. Il déclarera à la police que Cornell les avait menacés et qu’il était en état de légitime défense.
Le 12 décembre 1966, les Kray organisent l’évasion de la célèbre prison de Dartmoor d’un ex-compagnon de cellule de Ronnie, Frank Mitchell, le Tueur à la hache et le cachent dans l’appartement d’un complice. Le type, hélas, s’avère complètement fou et totalement ingérable. Qu’en faire ? Il disparut mystérieusement mais comme l’on ne trouva jamais son corps, les jumeaux Kray s’en sortirent presque blancs comme neige malgré une inculpation pour meurtre. Un membre de la bande The Firm, Freddie Foreman, écrira dans son autobiographie que Mitchell avait été tué au revolver et son cadavre jeté à la mer.
En octobre 1967, les deux frères sont suspectés d’avoir tué un certain Jack « The Hat » McVitie. Ce délinquant notoire avait été payé par eux pour dessouder un type ; McVitie ne l’avait pas fait mais il avait gardé l’argent. Reggie l’invita à une fête dont il ne reviendrait pas. Il fut poignardé au visage et à l’estomac ; son corps ne fut jamais retrouvé. Tony Lambrianou, un membre de la bande, écrit sans sa biographie que le foie de McVitie tomba sur le sol et qu’il alla le jeter dans les toilettes. C‘est à cette époque que l’inspecteur Leonard « Nipper » Read de Scotland Yard fut chargé de l’affaire ; il avait déjà travaillé sans succès sur le dossier Kray. Cette fois, il était déterminé à aller jusqu’au bout : il était parvenu à rassembler beaucoup de preuves contre eux, certes pas assez pour les voir passer en jugement, mais c’était en bonne voie.
Début 1968, les Kray chargent un membre de leur bande, Alan Bruce Cooper, d’engager quelqu’un pour aller chercher des explosifs à Glasgow en vue de commettre un attentat. Le gars, Paul Elvey, technicien de radios pirates depuis 1964, était déjà sous surveillance policière. Interrogé, il reconnut avoir participé à trois tentatives de meurtres… qui avaient toutes les trois foiré ! Les policiers crurent à de la maladresse de sa part jusqu’à ce que Alan Bruce Cooper révèle qu’il était un agent du Trésor américain, qu’il enquêtait sur les liens entre la mafia et les jumeaux Kray et que les attentats avortés étaient son œuvre : tout en les mettant sur le dos des Kray pour les faire tomber, il fallait éviter qu’ils fassent des victimes.
Les confessions de Paul Elvey, les renseignements qu’il fournit sur les trois tentatives de meurtres constituaient suffisamment d’éléments pour arrêter les deux frères.
Le 8 mai, les jumeaux, leur frère Charlie et quinze membres du gang furent arrêtés. Ils avaient fait régner la terreur trop longtemps dans le quartier de Whitechapel et ailleurs. Les jumeaux furent condamnés à la détention à perpétuité, Charlie à dix ans. Et cette fois, pas moyen de s’évader (ils bénéficieront d’une mesure de clémence exceptionnelle pour assister en 1982 à l’enterrement de leur mère). Ronnie, qui était plus qu’à moitié fou, passa le reste de sa vie derrière les barreaux d’un centre d’aliénés ; Reginald, considéré comme prisonnier très dangereux (catégorie A), fut placé au secret sans aucun contact avec quiconque.
Ce n’est pas pour autant qu’ils cessèrent leurs trafics en tous genres… Par des moyens que nous ignorons et dont la police apprit l’existence tardivement (sans doute des complicités grassement payées parmi le personnel des différents établissements où les trois étaient détenus), Reggie, Ronnie et Charlie avaient fondé Krayleigh Enterprises, une société de protection rapprochée pour stars du show business. Du 16 au 22 septembre 1984, soit vingt-sept ans après la dissolution du gang, Frank Sinatra, de passage à Londres, leur avait loué les services de dix-huit gardes du corps.
Ronnie mourut en 1995 à l’âge de 61 ans. Reggie, avec les années, perdit de sa superbe… et de sa dangerosité ; il rétrograda en catégorie C et fut transféré dans une prison du Norfolk. Affecté d’un cancer inopérable, âgé de 66 ans, il fut remis en liberté en août 2000 et mourut deux mois plus tard.
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