Et fut immédiatement interdit par l’Occupant
Gréville raconte le tournage
MENACES, un film superbe avec Erich von Stroheim, Mireille Balin, Ginette Leclerc, Paul Demange et… Vanda Gréville, l’épouse du réalisateur.
Menaces
https://www.youtube.com/watch?v=ryNhRFnf4FE
Le film, réalisé dans de difficiles conditions en 1938, ne sortit qu’au bout de deux ans… et encore Gréville, lorsqu’il accepta de répondre à l’interview que vous allez lire, ignorait-il que son film serait interdit par l’Occupant (ça se comprend!). Il fallut attendre la Libération pour le revoir, agrémenté d’une nouvelle fin.
Gréville raconte…
« Le 3 octobre 1938, en déposant le premier manuscrit de Cinq jours d’angoisse à la Société des Auteurs, j’étais loin de penser que cette angoisse allait durer cinq mois, cinq trimestres… »
A la fin d’une production, lorsque des journalistes viennent interroger le metteur en scène, certains d’entre eux lui demandent s’il possède quelque réminiscence, quelque anecdote se rapportant à son dernier-né…
Menaces
« Pour Menaces, je peux dire sans me vanter qu’il nous reste un véritable volume de souvenirs dramatiques. Je passe sur la traditionnelle course d’obstacles, sur la navigation semée d’embûches qui précèdent toujours la mise à l’écran d’un sujet original, surtout lorsque ce sujet est qualifié par certains de «dangereux». C’est tout d’abord en Hollande que nous devions entreprendre Cinq jours d’angoisse, mais les Hollandais, qui avaient sans doute de bonnes raisons de ne pas croire aux promesses de la paix munichoise, décidèrent à la dernière minute d’écarter ce sujet. On m’offrit un autre scénario.
Têtu et déjà prêt à combattre pour mon enfant terrible, je déclinai cette offre et je revins à Paris avec l’espoir d’une rapide mise en chantier. C’est à ce moment que je fis appel au scénariste Curt Alexandre — maintenant légionnaire Curt Alexandre — et au dialoguiste Pierre Lestringuez — maintenant capitaine Pierre Lestringuez — pour me seconder dans une tâche qui s’avérait déjà fertile en péripéties. Je dois leur rendre hommage; car c’est grâce à leur concours, à leur ténacité et à leur optimisme que l’on put tenir jusqu’au bout.
Lorsque nous eûmes enfin trouvé un producteur prêt à se lancer dans l’aventure, un coup de téléphone nous apprit que le ministère des Affaires étrangères objectait au scénario. Ce n’était peut-être pas le moment, alors que la France s’efforçait de montrer sa bonne volonté vis-à-vis des promesses nazies, de mettre celles-ci en doute. Une petite conférence, la première, réunit les collaborateurs du film et, après avoir mis un peu d’huile dans les rouages scénaristiques, nous décidâmes de continuer..
Premier tour de manivelle
John Loder, qui m’était indispensable pour tourner le rôle d’un journaliste anglais, fut rappelé juste à ce moment-là à Londres pour y terminer un film commencé quelques mois auparavant. Il ne pouvait se défaire de ce contrat. Ce fut toujours entre deux avions qu’il vint tourner aux studios François Ier quelques scènes forcément écourtées…
Première difficulté
Environ huit jours après le commencement des prises de vues, notre film contracta une maladie contagieuse et fréquente : la panne d’argent. Grâce à l’admirable bonne volonté du personnel technique et à la complaisance des artistes, je pus poursuivre mon travail, tourner une semaine encore, réunir assez d’éléments pour pouvoir organiser une projection et trouver ainsi les capitaux nécessaires.
Première accalmie
Quinze jours, trois semaines… Les traits de crayon bleu s’allongeaient sur le tableau de travail, on démolissait des décors, Eric von Stroheim avait terminé son rôle, la course d’obstacles touchait à sa fin et nous étions un soir en projection, vers 19 h. 30 comme d’habitude…
Ce soir-là, la photographie d’Otto Heller, les cadrages d’Alain Douarinou, le jeu de Mireille Balin, de Ginette Leclerc, de Jean Galland et de tous les autres nous parurent de si bonne qualité que quelqu’un s’écria :
— C’est trop bien, ça ne peut pas continuer comme ça !…
A ce moment, la porte s’ouvrit et le caissier — personnage décidément fatidique dans tous les films — nous annonça, très pâle, que les laboratoires de Saint-Cloud avaient brûlé et que notre négatif entier était détruit. Ça paraît puéril maintenant, à l’heure où l’Europe est en flammes, de parler de désastre parce que quelques milliers de mètres de celluloïd ont flambé. Mais, à ce moment-là, il y eut un silence terrible. Un silence bientôt brisé par une sorte de susurrement douloureux…
Dans un coin, Mireille Balin pleurait…
C’était la deuxième fois que l’on pleurait pendant Cinq jours d’angoisse. Otto Heller, l’opérateur tchèque, avait déjà versé des larmes dix jours auparavant, lorsque, par les journaux, pendant une scène où Madeleine Lambert criait à Eric von Stroheim : «C’est la paix, monsieur Hoffmann, la paix!» nous avions appris que la Tchécoslovaquie était envahie.
Maintenant, tout était en cendres, il n’y avait plus qu’à s’en aller, qu’à oublier Cinq jours d’angoisse… Pierre Lestringuez se retourna vers moi et me demanda :
— .Quand recommence-t-on ?
Recommencer ! C’était le désir de tous et nous pensions déjà à profiter de la fatalité, à modifier le scénario au gré des événements qui, en cette année 1939, allaient trop vite, comme un film à l’accéléré…
Arbitrage, protocole…
Toutes sortes de mots juridiques dansèrent devant les yeux du metteur en scène au lieu des gros plans, des enchaînés, des panoramiques…
Cependant, je boudai diverses propositions, j’avais décidé avec un entêtement singulier de terminer envers et contre tout, malgré le feu, malgré Hitler qui faisait résonner son affreux bruit de bottes à nos oreilles et qui nous plongeait en pleine «guerre des nerfs».
Un soir, ô miracle, on me téléphona. Les commanditaires, maintenant que tout recommençait à aller mal en Europe, s’étaient subitement souvenus de mon scénario. On voulait reprendre Cinq jours d’angoisse…
Une fois de plus, les décors s’élevèrent. Une fois de plus on se retrouva sur le plateau, au bistro du coin, avec le sourire de ceux qui ont joué un bon tour au destin. Cette fois, on allait terminer, pas d’histoire…
Ce ne furent pas les histoires, mais l’Histoire qui nous arrêta.
Coup d’Etat à Dantzig, rappel immédiat de certaines catégories. De nouveau et jusqu’à la mobilisation générale nous vécûmes des heures tragiques. Celles-là mêmes que vivaient dans le film les personnages imaginaires. On ne savait plus où commençaient, où s’arrêtaient l’actualité et la fiction. Maurice Maillot, qui joue un aviateur, arriva soudain dans le décor en uniforme. Les figurants crurent que c’était pour tourner: il était mobilisé, vraiment mobilisé…
Un à un, les artistes, les machinistes partaient au gré de leurs fascicules. On se dépêchait de tourner un dernier gros plan, une dernière scène d’ensemble, on voulait finir, on voulait arracher une dernière scène aux événements… Les passerelles se vidaient. Il n’y eut plus que douze électriciens, plus que huit, plus que six. L’opérateur poussait le travelling, le maquilleur tenait le microphone, Lestringuez, déjà quelque part en France, me téléphonait des dialogues de la dernière minute…
Inutile !
Hitler en avait décidé autrement, ce fut la guerre…
Non. Henri Bosc, Paul Démange et les interprètes féminines nous restaient encore. Et Jean Galland était là. Jean Galland, lieutenant d’artillerie, ancien combattant, sans affectation immédiate, dont j’avais déjà pu apprécier le talent, la camaraderie et le dévouement dans Remous et dans Marchand d’amour.
Avec ce «dernier carré» nous pouvions terminer les ultimes scènes, et les premiers, les seuls en France, tourner en temps de guerre. Ce fut fait grâce à l’optimisme et à la compréhension des producteurs.
Cinq jours d’angoisse, enfin fini, allait s’appeler Menaces…
« Dans quelques jours, cette production va paraître sur les écrans de Paris » , continue Gréville ». Que ce film plaise ou qu’il déplaise, nous aurons au moins la satisfaction d’avoir terminé la tâche entreprise, malgré Hitler, malgré les flammes, malgré la guerre, malgré tout! »
Aujourd’hui…
Nos amis cinéphiles nous apportent de passionnantes informations. ARNAUD nous écrit :
- « Oui c’est très intéressant, et le cinéma français continua de ne parler de rien jusqu’à l’Occupation (et bien sûr après, mais là c’est normal!). je ne vois que ce film pour parler de la montée des périls (ensuite il y eut Untel père et fils, et Une fausse alerte (The French Way) pour parler de la guerre en soi (voir notre article). Menaces est donc véritablement à part et on a l’impression que John Loder joue son propre rôle; des scènes ont été ajoutées à la Libération, tournées sur la facade de l’hôtel (qui existe toujours d’ailleurs) et la version que l’on a est avec ces quelques minutes ajoutées.
- François précise qu’une « curiosité » du film tient aussi au fait que Mireille Balin et Ginette Leclerc ont commencé à tourner ce film anti-allemand en 1938… mais n’ont pas été en mesure de le terminer en 1944 en raison de leur sympathie pour ces mêmes Allemands!
- Un des derniers plans du film tourné en 1944 montre une silhouette blanche qui fait des signes à la fenêtre de l’Hôtel des Grands Hommes place du Panthéon…. C’est une doublure de Ginette Leclerc qui était alors « indisponible »….
Daniel Lesueur