Un genre prédomine : la chanson réaliste
Un univers féminin, de Damia à Edith Piaf
Dans le livre Les Reines du 78 tours (cliquer ICI) est analysé un genre bien spécifique de la première moitié du vingtième siècle : la chanson réaliste. elle sera ensuite balayée, avec l’invention du transistor, par la chanson de variété.
Il s’agit d’un genre bien à part, strictement féminin qui domina surtout l’entre-deux guerres. Il exista des dizaines de chanteuses réalistes… mais pas un seul chanteur réaliste !
La chanteuse réaliste porte sur ses frêles épaules toute la misère du monde : l’amour perdu, la misère et la fatalité. A partir de 1939, elle pourra ajouter à son fardeau le drame de la séparation avec son homme parti au front. Tout cela est interprété avec cynisme ou désespoir, hein, ‘ faut c’qui faut !
Le genre n’était pas nouveau : précédemment, de nombreuses chanteuses se l’étaient déjà approprié, puisant, au besoin, dans l’œuvre de Bruant, Jules Jouy et consorts. Contrairement à la Belle Epoque et aux Années folles (en anglais, roaring twenties), la période post-1929 était propice à la dépression, morale comme économique.
Le jeudi noir à Wall Street ne resta pas longtemps sans effet sur la vie française, même si, pour se convaincre du contraire, en 1934, optimiste, Danielle Darrieux chante La Crise est finie.
La fille de joie est triste… (paroles de « L’Accordéoniste »)
L’état d’esprit en 1930 est tout à fait à l’opposé de celui de 1900, lorsque les femmes oubliaient la misère, devenant ces cocottes réputées pour mener le monde. Cette fois, c’est l’inverse : la femme est abandonnée, maltraitée, frappée par son mec… ou son mac’, car la narratrice est souvent une prostituée.
Elle chante pour dénoncer sa condition :
« En maison » et « La Rue de la joie » (Damia), « Sous l’enseigne lumineuse » (Lys Gauty), « Le Tango des filles » (Lucienne Boyer), « Les Filles qui la nuit »… (Fréhel), « L’Hôtel des amours faciles » (André Turcy), « Les Poupées de minuit » (Berthe Sylva)… « Ce n’est pas drôle » (Annabella).
Un constat
A l’occasion de l’exposition « Le Cinéma au rendez-vous des arts, France, années 20 et 30 » qui se tint à la Bibliothèque nationale de France fin 1995, l’Américain Kelley Conway écrivait :
- La chanteuse réaliste joue plusieurs rôles : elle exprime l’anxiété que suscite le nouveau rôle des femmes dans la culture ; elle incarne une représentation authentique de l’univers des marginaux ; elle symbolise ce qu’il y a de transgression dans la solidarité et la sexualité féminines, avec en arrière-plan ce que cela comporte d’idée de justice, de lien social et d’attachement à Paris.
La chanteuse réaliste est toujours une fille du peuple
Et presque toujours parisienne des faubourgs ! Andrée Turc (1891-1974) est l’une des rares artistes à avoir acquis la renommée en dehors de la capitale. La jeune Toulonnaise qui fera carrière sous le nom à peine modifié d’Andrée Turcy a bien tenté de séduire Paris dans les années dix, à la Cigale, l’Eldorado et l’Olympia, mais le courant ne passe pas vraiment.
Elle abandonne alors le répertoire dit « réaliste » (on retiendra surtout « C’est dégueulasse », sur des paroles de Francis Carco) pour s’illustrer dans les revues d’inspiration marseillaise mises en scène par Vincent Scotto… et, dans les années vingt, elle triomphe de Nice à la Canebière, et enregistre le 78 tours « Quand je bois mon anisette ». Il faut dire que malgré la mode « réaliste », il existe quand même un public pour les chansons joyeuses et ensoleillées.
Les chanteuses réalistes les plus connues
Le premier nom qui vient à l’esprit est évidemment celui d’Edith Piaf… Mais il ne faut pas occulter ceux de Damia, Fréhel, Marie Dubas, Suzy Solidor et la sublime Yvonne George. Puis ensuite ce fut l’Occupation, et un autre genre musical s’installa…
Terminons avec une pure merveille : La charlotte prie Notre-Dame. Comparez la version originale de Marie DUBAS avec une reprise…
Daniel Lesueur – Culturesco