En quoi la monnaie nouvelle a-t-elle changé nos habitudes?
Tour d’horizon du timbre au croissant en passant par la valise diplomatique
On nous avait bien mis en garde : surtout, SURTOUT… ne raisonnez plus en FRANCS !
En quoi la monnaie nouvelle a-t-elle changé nos habitudes ?
Vous, je sais pas… mais moi je n’enverrai pas mes vœux, cette année : le timbre passe à 1,05€. Non, franchement, presque 7 francs… Heureusement que j’ai peu d’amis. Quelle économie !
Idem pour le croissant : 1 euro. Soit 6,55 francs. Je m’étonnais de mal digérer les derniers…
« Tout est plus cher depuis l’euro », entend-on fréquemment. Vrai ou faux ?
On nous avait bien mis en garde : au passage à l’euro, surtout, cessez de réfléchir en francs. C’est vrai qu’un kilo de tomates à 50 francs, c’est très cher, alors qu’à 7,50 euros, pour qui a de la bouillie dans la tête, ça semble donné.
Tout le monde se plaint. Tout le monde ? C’est pas sûr.
Prenons quelques exemples, du plus haut de l’Etat jusqu’à la France profonde, la France d’en bas comme la nommait Jean-Pierre Raffarin…
Les fonds secrets
Dira-t-on « enveloppe diplomatique » comme l’on disait « valise diplomatique » ? Considérant que tous les nombres doivent être divisés par 6,5555555, il est évident qu’un valise remplie de billets de 500 francs et ramenée de Suisse il y a vingt ans ne pèse pas le même poids qu’une enveloppe remplie de billets de 500 euros et remise à Las Vegas ou ailleurs il y a un peu moins de deux ans : un million d’euros en coupures de 500 euros ne pèse guère plus de deux kilos.
Avec l’euro, les détenteurs et passeurs de fonds secrets ont perdu en biceps ce qu’ils ont gagné en discrétion (une note spéciale à Alexandre B : grouille-toi d’en profiter mon mignon : dès le 27 janvier 2019, la majorité des banques centrales européennes arrêteront d’émettre les coupures violettes, notamment pour lutter contre les trafics. Bon, cela dit, « la majorité des banques » ça veut pas dire TOUTES… Avec un ou deux bons passeports diplomatiques, en un coup de jet…)
Voyons maintenant à l’autre bout de l’échelle sociale…
Les clochards
Leur passage d’une monnaie à l’autre s’est effectuée avec efficacité. Beaucoup plus prompts à réagir que 40 ans plus tôt, les clochards se sont très rapidement adaptés à la monnaie unique qui les autorise à toucher un plus vaste public puisque désormais ils peuvent solliciter les touristes qui ne peuvent plus leur embrouiller la tête avec le mark, la lire, la peseta et que sais-je encore (le dollar ? le yen ? Y a plus un Ricain ou un Jap qui vient en France. trop la trouille !). Le seul à qui le clochard ne demande rien, c’est l’Anglais, avec une livre sterling incalculable.
Le clochard est grand gagnant dans l’affaire car il a su po-si-ti-ver.
Explication…
Alors que le Nouveau Franc avait remplacé l’Ancien Franc au matin du 1er janvier 1960, le clochard n’avait pu se résigner à demander cent fois moins qu’avant le 1-1-1960. c’est la raison pour laquelle, durant quarante ans, jamais nous n’entendîmes « T’as pas un Nouveau franc » et encore moins « T’as pas un Franc ». La charité, oui. L’aumône, non. Dans le langage de tous les jours, c’était resté « T’as pas cent balles ».
Qui aurait imaginé…
Qui aurait pu imaginer qu’avec l’entrée en vigueur de l’euro, les mendiants allaient être atteints par un coup de jeunisme ? Or c’était facilement prévisible, et ce pour deux raisons :
1) s’il voulait continuer à demander la même somme, le tapeur devait faire une conversion. « T’as pas cent balles ? » devenait « T’as pas seize centimes d’euros ? ». Et encore il vous faisait grâce de la virgule. Or, seize centimes, ça embête tout le monde, on a rarement l’appoint et le clochard n’a pas toujours la monnaie à rendre. Bref, ennui et prise de tête. La somme fut donc revalorisée et, sans passer par la case « Nouveau franc » zappée depuis le 1-1-1960, on passa DIRECTEMENT à l’euro. Du coup, le clochard s’en sort grand gagnant, lui qui n’aurait jamais osé demander « T’as pas six francs et 55 centimes ? Je vous fais cadeau des chiffres après la virgule… ».
Mais, question, comment le clochard, que l’on aurait pu croire rétif à toute forme de modernité (refuser le Nouveau Franc en était, croyons-nous, une preuve irréfutable) avait-il pu s’adapter si vite à l’euro ? La réponse est dans notre « deuxièmement ».
Deuxièmement : vive la crise
Grâce à la crise de l’emploi, de plus en plus de diplômés sont à la rue. Ouf, nous voici rassurés. Et en tant que diplômés, il est légitime que, sous un pont, sur un banc public, nous les rémunérions six fois cinquante cinq plus qu’un SDF sans bagage, aux deux sens du terme.
Autres grands gagnants : les brocanteurs
Vous connaissez tous la ligne gracile, la courbe rassurante du signe qui symbolise l’euro : € . Ses rondeurs donnent confiance à la retraitée qui, aujourd’hui, paye la baguette de 200 grammes six fois plus cher que celle de 250 grammes il y a encore quelques années. Donc tous les commerçants ont, sans rechigné, remplacé les F par le signe € . Tous, sauf les brocanteurs. N’avez-vous pas remarqué qu’il n’y a que chez les brocanteurs que l’euro s’écrit E ?
Les brocanteurs font-ils partie d’une secte ?
Pourquoi les brocanteurs écrivent-ils E au lieu de € ? C’est tout simplement parce dans leurs étals fréquemment pouilleux un livre de poche tout corné et jauni dont ils ne parvenaient pas à se débarrasser à 1 F… cela valait-il le coup de gommer » 1 F » pour inscrire à la place « 0,16 € » ? Franchement ? Ils ont donc rajouté une barre en bas de « F ». Et ainsi le livre de poche tout corné et jauni dont ils ne parvenaient pas à se débarrasser à 1 F… est proposé à 1 € mais écrit 1 E. Soit 6,55 fois plus cher ! Idem pour des centaines d’autres rougnes non cotées. D’où ce stupide adage : « Si c’est vraiment invendable, autant que ce soit invendable à cher qu’à pas cher ».
Le denier du culte
Authentique : dans une église au moins (à Nice très précisément), au passage de l’euro, le bedeau bedonnant, pour inciter ses brebis à donner, avait placé un panneau indiquant : « 2 € = 10 F ». On ne peut plus faire confiance à personne !