Mississippi John Hurt, l’homme tranquille du Blues

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Mississippi John Hurt, l’homme tranquille du Blues

Mississippi John Hurt

Petite chronique expresso sur le zinc

— Tu crois que c’est cette maison là ?
— Oui oui, ça correspond bien, j’en suis sûr…
— Bon Dieu, c’qu’i’fait chaud !
— On est bientôt arrivé, allez…

Les deux jeunes types en bras de chemise…

… remontent la colline dans le tremblement de chaleur qui émane des champs grillés par le soleil. Ils se sont garés en contrebas. Pas la peine de risquer les pneus de la vieille Dodge dans ce chemin défoncé. Le groupe de bicoques se rapproche. La troisième boîte aux lettres, on leur a dit dans ce magasin, en ville. La porte est fermée. On se regarde. « Je frappe ou tu frappes ? » semble se demander le duo, comme soudainement frappé de timidité. « Bon, allez » dit le plus décidé.

Attente…

… La chaleur se fait tout à coup encore plus accablante. « Merde, il doit pas être là » dit l’autre au moment où la porte s’ouvre sur un vieux Noir qui a l’air de se demander ce que lui veulent ces deux blanc becs. « J’ai rien fait d’mal ! » leur crie-t-il, une lueur de panique s’allumant dans ses yeux. Déjà il referme la porte.

— Non non !!! Monsieur Hurt !!! Ce n’est pas ce que vous croyez ! On n’est pas de la police ! On vient pour la musique !
— La musique ?
— Oui, la musique ! Votre musique !!!
— ….Ahh ? ….Eh bien…. Entrez….

Mississippi John Hurt

« J’ai rien fait d’mal ! »

Non, monsieur Hurt, vous n’avez rien fait de mal. Vous auriez plutôt fait du bien à beaucoup de monde…

John Smith Hurt voit le jour en 1892 à Teoc, Mississippi…

… puis part avec ses parents à Avalon deux ans plus tard. Il passera toute sa vie dans cette région, ce qui lui vaudra ce surnom de « Mississippi ». À 9 ans, fini l’école, le jeune John part trimer aux champs pour aider sa mère à maintenir à flot l’exploitation de coton, de maïs et de pommes de terre que le père leur a laissé suite à son décès. Pas vraiment la joie. Seules rares bouffées d’oxygène, des soirées dansantes organisées dans le patelin dans lesquelles se produisent des musiciens et chanteurs locaux. John est ébloui par cet ambiance et se voit bien dans une vie d’artiste. Certainement sensible à cet éveil, madame Hurt a la riche idée de lui offrir une guitare. Un cadeau qui va changer radicalement le destin du jeune métayer.

Mississippi House
Dessin : Poup

La vie continue…

… toujours aussi dure. John a maintenant 23 ans et alterne travail à la ferme et sur des chantiers de chemin de fer. Malgré la fatigue il n’a jamais cessé de bûcher ses six cordes, bossant d’arrache-pied et en parfait autodidacte à l’oreille affûtée un répertoire varié, Country, Folk et Blues. Cet éclectisme lui permet de mettre au point une technique originale proche du « picking », jeu où les doigts assurent à la fois la rythmique et les mélodies.

Willie Namour…

… violoniste réputé, ne se trompe pas à l’écoute de ce guitariste pas comme les autres et engage à l’occasion Hurt pour l’accompagner. Persuadé de son talent, il le met en contact avec Tommy Rockwell des disques Okeh. Après une audition réussie, c’est un enregistrement de 8 titres à Memphis. Puis 12 encore à New York. Hélas c’est un échec commercial. La musique de Hurt, jugée trop rurale, passéiste, ne fait plus recette. Les années trente naissantes voient le Blues changer et devenir plus urbain avec des artistes comme Big Bill Broonzy, Blind Boy Fuller ou Robert Johnson. Hurt retourne à la ferme après cette parenthèse musicale.

Une parenthèse qui se referme pour… 35 ans…

Mississippi John Hurt

Années soixante…

… La musique du Diable connaît un renouveau, surtout chez le public blanc, notamment en Angleterre. Les enregistrements de Mississippi John Hurt sont devenus mythiques pour un public pointu. Parmi eux, Tom Hawskins et Mike Stewart, deux jeunes passionnés, bien décidés à mettre la main sur le musicien. Selon des rumeurs il serait toujours vivant. Oui mais voilà, où le trouver ? C’est à l’écoute d’une de ses chansons, « Avalon Blues« , que Tom et Mike parviennent à situer Avalon, le bercail de Hurt. Arrivés sur place, la guigne. Ils découvrent que le village n’existe plus. Coup de chance, on leur indique qu’un certain John Hurt vit un peu plus loin dans un hameau.

C’est ainsi…

… qu’un beau jour de 1963 John Hurt entend frapper à sa porte…
La suite est comme un film au dénouement heureux pour le vieux bluesman qui se laisse convaincre d’aller à Washington où il enregistre à nouveau mais dans des conditions techniquement bien plus confortables qu’en 1928. Puis c’est toute une série de concerts dans des clubs Folk avant de triompher devant les milliers de spectateurs du Newport Folk Festival et du Philadelphia Folk Festival, séduits par la beauté de la musique et la bonté du bonhomme.

Mississippi John Hurt
Mississippi John Hurt au Newport Folk Festival 1963

Mississippi John Hurt

Paisible…

… C’est le mot qui vient à l’esprit à l’évocation de Mississippi John Hurt. Parmi ses enregistrements des années soixante, tous remarquables, se trouve une véritable pépite, l’album « Today ». On y découvre ce Blues apaisé où le jeu de guitare, souple et fluide, fait merveille. Ici pas de riffs féroces. Hurt caresse les cordes en amoureux du son cristallin qu’il affectionne tant.

Mississippi John Hurt

La voix, douce, atypique…

… nous raconte au creux de l’oreille la vie simple de la campagne. Là aussi Mississippi John Hurt s’éloigne des thèmes souvent crus du Blues, évocateurs de prouesses alcooliques et sexuelles. Les« Backdoor Man » et autres « Little Red Rooster » ne font pas partie du paysage du doux bluesman. Et pourtant, étonnamment, se dégage quelque chose de puissant. Rassurant aussi. Une force tranquille distillée par cette musique profondément intime.

Mississippi John Hurt – You’re Going To Walk That Lonesome Valley

Mississippi John Hurt s’installera quelques temps à Washington…

… mais le mal du pays sera le plus fort. Il retourne dans son Mississippi natal où il s’achète une maison. Fidèle à lui-même, Il y partira en douceur, dans son sommeil, en 1966. Belle fin d’une belle histoire, celle de la renaissance d’un musicien hors norme à l’élégante discrétion.

Mississippi John Hurt
Mississippi John Hurt et Brownie McGhee au Newport Folk Festival 1963 – Crédit Photo : John Byrne

Mississippi John Hurt – Today

Face A
Pay Day – I’m Satisfied – Candy Man – Make Me A Pallet On Your Floor – Talking Casey – Corrina Corrinna

Face B
Coffee Blues – Louis Collins – Hot Time In The Old Town Tonight – If You Don’t Want Me Baby – Spike Driver’s Blues – Beulah Land

Label : Vanguard Records

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